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Histoire d'Algérie La colonisation française (1830 à 1962)

El Haik et Laadjar de l’imagerie coloniale à symbole de résistance

Ce vêtement blanc couvrant et cette petite voilette de soie triangulaire qui fait partie depuis des siècles de nos coutumes vestimentaires, sont devenue pendant la colonisation française un symbole phare de notre Révolution.

Comment cet habit traditionnel, symbole, à la fois de pudeur et d’élégance féminine est devenu un emblème de la résistance algérienne ? 

Avant la Guerre de Libération, les femmes algériennes ne se trouvaient pas réellement parmi les préoccupations, ni du colonisateur ni du mouvement nationaliste. Ses positions sociale et politique n’ont jamais été prises en considération. Mais l’algérienne ne va pas fléchir, et le déclenchement de la Guerre de Libération fut, pour elle, le renversement.

Le haik en tant qu’habit et symbole représentatif des femmes algériennes a suscité l’intérêt des forces coloniales bien avant le déclenchement de la Guerre de Libération. Cet intérêt s’est manifesté sous diverses formes et multiples actions en fonction des périodes et du but recherché.  Il faut savoir qu’au début de la colonisation, les femmes étaient représentées par des œuvres dites orientalistes dans des postures lascives, et dans des intérieurs qui font rêver en créant ainsi le mythe de la mauresque. Des peintres français, comme Delacroix, vont dénuder les Algériennes pour en faire des œuvres artistiques inspirées de leur pure imagination. 

La figure de la mauresque en tant que telle, ne disparaît qu’au début du XX e siècle, pour réapparaître entre les deux guerres mondiales. Ainsi, vers 1930, elle n’est plus la muse des peintres, mais la « Fatma » des voyageurs.  De l’exotisme en brochure à travers des images de femmes en haiek, représentatives du pays, sur des affiches de promotions touristiques, ou encore des cartes postales. 

Les femmes algériennes deviennent un levier politique important au déclenchement de la guerre de libération. La femme voilée, devient « le sujet à libérer du joug familial, et social ». Cela découle d’une conviction française irréfutable, qui a suivit le droit de vote pour les femmes en France et qui est que la femme est le pilier de l’édification de toute société ; « Ayons la femme et tout le reste suivra ». D’où les programmes minutieusement élaborés qu’ils ont mobilisés pour dévoiler l’Algérienne et l’allier de leurs côtés.

Pour les français il est donc évident que pour porter un coup à la structure de la société algérienne et anéantir toute forme de résistance, il faut conquérir les femmes,  les séduire en évoquant leur émancipation, ce qui passe par lui faire tomber son voile : symbole extérieur de son identité. 

Dans le but d’affaiblir toute forme de résistance, une campagne d’occidentalisation (c’est le terme employé par les médias de cette époque) débute le 13 mai 1958 visant la femme algérienne. Le pouvoir colonial aidé par la population européenne veut de grès ou de force, obliger les femmes algériennes à se débarrasser du haïkS’en suit des actes de menaces, de renvoi des femmes musulmanes de leur travail ou des actes délibérés d’arrachage de voile sur la voie publique par la population européenne. Les algériennes vont donc renverser la tendance et faire de cet habit l’emblème ultime de sa résistance.

Haiek, ajar et couffins … Un chaînon de la révolution urbaine

Au-delà de sa fonction vestimentaire traditionnelle le haik était un acte de résistance nationale algérienne contre la politique coloniale française. Par sa seule présence dans l’espace public il permettait de réaffirmer quotidiennement l’attachement du peuple algérien à son identité et à sa détermination à résister face à la barbarie coloniale.

Pendant la guerre d’Algérie et notamment lors de la bataille d’Alger, cet habit a permis aux femmes de transporter au péril de leur vie des documents, des armes et des bombes destinées aux combattants algériens afin de mener des actions armées contre les forces de l’occupant. Ce vêtement a donc été un moyen d’émancipation et de combat pour les femmes algériennes et qui leur a permis de s’engager pleinement dans le processus d’affranchissement du pays, auquel elles sont adhérées librement.

On a vu qu’un même vêtement pouvait représenter deux visions contraires. Objet de soumission pour certains, moyen de lutte pour d’autres, quels sont les origines de cet habit dont la force est aussi cette dualité : 

Selon une première version, il serait apparu en Algérie avec l’arrivée des Andalous en Afrique du nord au 16ème siècle.  Selon une seconde version, il aurait été introduit à Alger avec l’arrivée des ottomans à peu près à la même période. Sa fonction est protectrice et préserve les femmes de la vue des étrangers tel qu’indiqué dans la religion musulmane. Sa composition varie au gré du temps et peut aller de la soie à la laine, incrusté de filament d’or à l’occasion des cérémonies de mariage. Cet habit traditionnel indiquait également la catégorie sociale dans la matière de l’habit et la façon de le porter dans un milieu urbain ou rural.

La haïk, associé à la voilette, assure aux musulmanes de la région Afrique du nord, anonymat et autonomie, de sorte à ce qu’elles puissent vaquer à leurs occupations en ville, en toute quiétude et en adéquation avec les habitudes religieuses mais surtout sociales d’alors. En effet, ce vêtement s’enroule, maintenue à la taille par une ceinture, couvre tout le corps et la chevelure tandis que le visage est partiellement masqué d’un petit triangle de dentelle brodée surnommé Laadjar ne laissant apparaître que les yeux.

Inversement aux représentations orientalistes, on sait à travers des écrits que les citadines de la période ottomane ont une vie sociale assez riche, et un quotidien ponctué de sorties et visites familiales. On est assez loin d’imagerie de la « détenue » du Harem…  Certains récits de captifs évoquent même le fait que les algéroises parlaient le sabir : un langage métissé commercial, et que les plus riches d’entre elles « traitaient seules les conditions de rachats de leurs esclaves ». Ce à quoi ne pourrait s’adonner une femme prisonnière comme le laissait sous-entendre la littérature orientaliste.

L’ensemble Haiek /voilette n’est donc pas nécessairement motivé par une perte de liberté (pour la période dont il question), mais peut être vu comme avant tout une conviction mais aussi un outil distinctif, qui a permis aux femmes à différentes époques une certaine autonomie, favorisée et rendue possible par le port d’une tenue qui demeure protectrice et identitaire. 

Rym Maiz

Sources :

Le costume traditionnel algérien de P. Pichault

Les costumes d’Algérie, Leyla Belkaid, 2003.

Les mots de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora, 2005

Des femmes écrivent l’Afrique : L’Afrique du Nord, Fatima Sadiqi, ‎Amira Nowaira, ‎Azza El Kholy, 2013.

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