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Histoire d'Algérie La colonisation française (1830 à 1962)

Arrivée de l’armée française à Sidi Fredj et Staoueli – Partie 3

Hussein pacha avait remis à l’agha Ibrahim de très forte somme d’argent pour être distribuées aux combattant, dans l’intention d’accélérer le service et d’encourager les soldats ; cependant cet agha na rien donné à ceux à qui le dey avait destiné ces sommes…

Hussein pacha, toujours pour exciter au combat et provoquer la cupidité des kabails, promit aussi à quiconque apporterait la tête d’un ennemi une somme de 500 fr pour récompense ; il désigna l’agha Ibrahim comme chargé par lui de compter cette somme en échange d’un reçu que donnerait celui qui l’aurait gagnée et lui en apporterait les preuves convaincantes. Au lieu de remplir les volontés de son maitre, et de payer comptant la récompense promise, il renvoyait les soldats en leur disant de se présenter après la bataille pour recevoir ce qui leur été dû. J’ignore entièrement ce qu’est devenu l’énorme quantité d’argent qui se trouvait chez l’agha.

Dans la matinée du jour suivant, l’agha avec sa suite et ce qui l’entourait s »étant rendu au lieu dit Sidi Fredj, le camp resta vacant, car il n’y avait tout au plus que quarante personnes pour garder les bagages, encore étaient-ils sans armes et sans aucun moyen de défense.

Dès lors, ayant pu me convaincre par moi-même, que le commandement de l’armée était confié à un homme n’ayant aucune connaissance de l’art militaire, je regardait la Régence comme perdue, et retournai tristement à Alger. En bonne tactique de défense, devait-il laisser son camp abandonné ? Ne devait-il pas y conserver une réserve d’à peu près le tiers de son armée, et garder des troupes fraiches pour pouvoir renforcer son armée victorieuse, ou bien soutenir la retraite ? Physiquement et moralement parlant, cette tactique donne de la confiance et inspire du courage ; dans le cas contraire, si l’armée bat en retraite, en se dirigeant vers le camps, elle trouve toutes les tentes vides et n’a d’autre ressource que la fuite et le désespoir.

Pour donner une idée exacte de son imprévoyance et son incapacité, je citerai un fait qui m’est arrivé à moi, durant le temps que j’ai passé près de lui.

Une nuit, je me trouvais au milieu de son camp, j’avais besoin de quelque chose, et au lieu d’envoyer le domestique, je fus moi-même à sa tente ; je parcourus le camp, j’entrai chez lui, je pris ce dont j’avais besoin sans que personne s’en aperçut, toute l’armée était dans un profond sommeil, et je ne rencontrai pas une seule sentinelle pour veiller contre une attaque de l’ennemi.

Par tout ce qui précède, on voit qu’il existe entre lui et son prédécesseur Yahia agha, une bien grande différence dans leurs moyens, soit militaires soit administratifs.

J’avais l’habitude, lorsque Yahia agha revenait de l’armée, d’aller à sa rencontre à Mitidja, et là je passais un jour avec lui. Je me souviens alors, quoique en temps de paix, son armée était mieux équipée et mieux organisée, qu’elle était plus nombreuse que celle organisée par Ibrahim agha pour combattre les français. Il avait l’habitude de faire manœuvrer son artillerie chaque jour, et de mettre en état de défense comme si l’ennemi devait l’attaquer. Les postes de son camp était toujours sur le qui vive : un poste était chargée de surveiller tout le camp en général ; un autre spécial pour les chevaux surveillait leur entrée et leur sortie ; un enfin entourait sa tente particulière ; il se composait de huit hommes à l’extérieur, de deux à l’intérieur et d’un à l’entrée ; à chaque demi-heure, celui de l’entrée de sa tente criait à la sentinelle du dehors de lui répondre par un signal d’ordre ; celle-ci s’adressait à la sentinelle placée pour les chevaux, ensuite à celle de l’artillerie, puis à celle du camp général, et ainsi de suite, de sorte que le camp était bien surveillé.

Quand la régence eut perdu Yahia agha, tous les hommes sensés pressentirent la perte d’Alger. Personne n’approuva donc cet évènement. D’ailleurs eût-il même été coupable, on n’aurait jamais du le remplacer par Ibrahim agha. C’est une faute capitale et impardonnable, la seule peut-être que l’on puisse reprocher à Hussein Pacha pendant les treize années de son règne ; cette faute a été d’autant plus sentie qu’elle fut commise au moment où nous étions en guerre avec la France, et par un prince qui avait donné tant de preuve de modération et d’équité qu’on était loin de s’attendre à un acte semblable de sa part.

Ainsi donc, Ibrahim agha voulait faire la guerre aux français sans troupe organisée, sans munitions, sans vivres, sans orge pour les chevaux, et sans avoir la capacité nécessaire pour faire la guerre.

Lors de la défaite de Staoueli, cet agha quitta le camp, entièrement découragé et comme s’il eut perdu la tête. Les tentes, le corps de musique, les drapeaux et toute son armée, il avait tout abandonné. Si Bourmont, ce jour là, eût dirigé sa troupe vers Fort de l’Empereur, il n’aurait rencontré aucun obstacle.

Deux jours après, Hussein Pacha m’ayant fait appeler pour connaitre l »état réel des affaires, je lui répondis : « La guerre est une chance hasardeuse ; le chef ne doit jamais se désespérer, car son découragement équivaudrait à une entière défaite ; avec de la résistance et de la persévérance, une mauvaise cause peut devenir bonne. »

Je lui parlai avec franchise de la conduise honteuse de son gendre Ibrahim agha, ce que personne n’avait encore osé faire. Il me chargea de l’aller trouver pour l’encourager et l’engager à réunir son armée, et à ne plus songer au passé. M’étant rendu chez lui, je ne trouvai que des soldats dispersés à gauche à droite. Cependant, après de longues recherches, je parvins à le découvrir dans une maison de campagne où il se tenait caché avec trois ou quatre de ses domestiques. Lorsque je lui eus adressé la parole, je vis que je n’avais plus affaire à un homme, mais à un enfant, tant il montrait de faiblesse et de découragement. Ce fut donc vainement que je tachai de lui inspirer de l’énergie, et je crus devoir revenir chez le dey. Après qu’il eut connaissance de la conduite de son gendre, et quand je lui eus fait part de toute la peine que j’avais eut pour le trouver, le dey me dit :  » Vous êtes parti animé par l’espérance, et vous revenez sans que vos démarches aient eu le moindre succès ?  » « Le peuple, lui répondis-je alors, n’est qu’un troupeau, il lui faut un berger ; votre peuple est sans berger, et l’ennemi avance. ».

L’armée était sans chef, et les kabails ignoraient en quel lieu ce chef s’était caché. Il ne restait don c plus qu’à livrer la ville aux français. Le pacha ne connaissait pas le caractère pusillanime de l’agha ; il lui croyait plus de mérite qu’il n’en a. C’est pourquoi il m’ordonna de retourner chez lui, et de le forcer de se rendre à son camp. Il me suivit malgré lui, et nous rassemblâmes autant qu’il nous fut possible le peu de soldats qui étaient équipés et disponibles. Quoique je fusse convaincu d’avance que nous ne pourrions soutenir le siège et défendre la ville, cependant je mis toute la bonne volonté possible pour remplir cette mission… A SUIVRE

Extrait de « Le Miroir » de Hamdane Ben Othman-Khoja

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