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UNE LUNE POUR L’HISTOIRE – Partie 2 -L’énigme des sites mégalithiques, par Chawki Amari

Le mois du patrimoine, 18 avril-18 mai, coïncide cette année avec le mois de ramadan. Babzman vous propose un petit tour du secteur en 7 parties. Bon appétit.

2- L’ENIGME DES SITES MEGALITHIQUES

Dolmens, Cromlech, nécropoles néolithiques, trilitères, allées couvertes, chouchats et houanets, les monuments classés mégalithiques sont aussi nombreux en Algérie qu’en Europe, même s’ils gardent encore le mystère de leur âge et constructeurs.

   Il y avait bien quelque chose avant. Utilisant les ressources disponibles non périssables, déjà en mouvement écologique, les premiers bâtisseurs du pays ont pris des rochers et pierres pour ériger des structures étranges. Dolmens, allées couvertes et cromlechs, nécropoles géantes comme celle de Roknia ou du Djebel Mazela de Bounouara, à Gastel sur le massif d’El Dyr qui surplombe Tebessa, Ras El Ain Bou Merzoug près de Batna et le Djebel Ksaïbi au Sud de Constantine ou  encore la Koudiat Bou Taïeb près de Collo, on trouve ces constructions mégalithiques essentiellement à l’Est, comme également les dolmens d’Aït Garet (El Kseur), Ibarissen (Toudja) et les fameuses allées couvertes d’Aït Rhouna, pays du chanteur El Ankis, du réalisateur Mohamed Ifticène et même du corsaire Raïs Hamidou. Mais il y a en a aussi à l’Ouest, à Sidi Hosni (Columnata-Tissemsilt), à Cherchell dans la nécropole de l’Oued N’sara et on en trouve même à Djelfa (dolmens du moulin de Djelfa) ainsi qu’à Alger, dolmens de Beni Messous au bord de l’oued du même nom et à Bologhine. Si le dolmen fait référence à l’Europe celtique mégalithique, ils sont très nombreux en Algérie, où les noms diffèrent, Houanet (magasins) pour leur forme en kiosque qui montre encore l’esprit commerçant des Algériens, ou encore les Chouchet, les plus caractéristiques à l’image de la soixantaine de petites tours signalées à Chouchet er-Roumaïl dans le Djebel Kherrouba des Aurès et qui a donné leur nom (choucha, calotte, de leur forme chapeautée au dessus par une couverture rocheuse ronde), à ces constructions circulaires dans lesquelles on a retrouvé des ossements et qui sont donc des tombes. Mais de qui ? Si elles n’apparaissent qu’en Algérie orientale où elles couvrent l’Aurès et les monts du Hodna, c’est-à-dire l’actuelle zone des chaouïs, qui aux dernières recherches, ne sont pas forcément les descendants de ces constructeurs, on retrouve quelques monuments plus au Sud, la frontière des Nememchas fermant la région dolménique d’Algérie orientale. Oui, mais qui les a construits ?

Des Européens déjà en Algérie ?

   Ce qu’on appelle la civilisation mégalithique est en Europe du Nord ce vaste champ de pierres du néolithique (Stone Henge ou les alignements de Carnac), signe d’une ère particulière de la Préhistoire, entre rites funéraires, célébrations et observations des étoiles. Mais si les dimensions des dolmens nord-africains sont beaucoup plus modestes (le maximum semble être cette dalle de 5 m sur 3 m à Mahidjiba, près de Constantine), ils compensent par leur nombre, aucune région d’Europe ne possédant autant de nécropoles que l’Algérie et la Tunisie. Immenses nécropoles d’Aïn el-Bey, de Ras el-Aïn Bou Merzoug, Sigus, Sila, Bou Nouara, Gastel, Malitar, Ellez, Dougga et surtout Roknia dans la wilaya de Guelma à quelques kilomètres du Hammam Meskhoutine, ce sont plus de 3000 monuments mégalithiques s’étendant sur plusieurs kilomètres uniquement pour ce dernier cité, là où en exemple, 4000 dolmens sont signalés sur tout le territoire français. Mais de quoi sont-ils le nom ? En dehors de l’archéologie, la légende affirme que le nom du Hammam Meskhoutine, les maudits, rebaptisé Hammam Debbagh depuis, est du à une malédiction qui a transformé des humains en pierre, pétrifiés et figés là pour l’éternité à contempler les hommes et les femmes se baigner dans ces eaux thermales. Mais l’origine de ces monuments n’est toujours pas identifiée avec précision, en Kabylie, les allées couvertes d’Aït Rhouna sont à rapprocher pour G. Camps, qui a beaucoup travaillé sur les mégalithes d’Afrique du Nord, des navetas des Iles Baléares et des Tombes de Géants de Sardaigne. Des Européens passés par là il y a 5000 ans et qui se sont installés ? En effet, plus on descend dans le Sud, plus rares sont ces constructions, même s’il y a bien des trilitères au Sahara, c’est-à-dire une pierre horizontale posée sur deux pierres verticales ainsi qu’un type de choucha à In Edjar, dans le plateau du Fadnoun qui relie Illizi à Djanet, mais sans dalle de couverture, ou des monuments à margelle comme à Abalessa, Tit et Silet dans le Hoggar. Sont-ils tous liés ? Par leur âge, leur nature ou par l’identité de leurs constructeurs ?

Le mystère des premiers bâtisseurs

   Ces constructeurs de mégalithes sont visiblement Méditerranéens et pas réellement Africains, plus habitués aux bazinas, tumulus et autres constructions typiques de la région. D’ailleurs, des archéologues français ont tout d’abord cru bon d’expliquer ces mégalithes par l’arrivée de Gaulois mercenaires de Carthage ou à de Rome en Afrique jusqu’à ce que les spécialistes durent admettre ensuite que ces sépultures dolméniques sont trop nombreuses pour être l’œuvre d’individus isolés et qu’il s’agit bien d’un peuple, le peuple des mégalithes. Sauf que les archéologues ne sont toujours pas d’accord à ce sujet, Cro-Magnon en Europe pour les uns descendu bronzer au Sud, Méditerranéens ou Proto-berbères selon les autres, il y a aussi de l’idéologie dans l’affaire, contrairement à son corps, chacun veut être le plus vieux possible historiquement. Pour l’histoire d’ailleurs, dès 1863, le Français L. Féraud fouille un dolmen à Bou Merzoug  et découvre une monnaie romaine, donnant ainsi un argument à opposer à tous ceux qui veulent placer les mégalithes algériens dans l’époque de leurs homologues européens du Nord (moins 6000 ans environ), concluant rapidement qu’à l’époque romaine on construisait encore des dolmens et qu’ils n’ont donc que 2000 ans. Le dolmen de Sigus contenait d’ailleurs un vase romain, l’allée couverte d’Ait Rhouna est encore attribuée par les habitants aux Romains et à Cherchell, la nécropole de l’Oued N’sara fait référence aux Nazaréens (nsaras), donc Chrétiens. Mais rien n’est moins sûr, les mégalithes sont probablement datés du Néolithique même si peu d’objets, poteries ou outillages de l’époque n’ont été retrouvés dans ces sites à part des bijoux, comme dans les dolmens de Roknia et Bou Nouara, en bronze et cuivre pur, ou ce petit vase exhumé de l’un des dolmens de Beni Messous à Alger et qui possède les caractéristiques de l’époque du Bronze final, c’est-à-dire moins 4000, 3000 ans.     Ces bâtisseurs sont-ils les premiers habitants du pays ? Comme au Sahara, des populations noires étaient là bien avant, les sculpteurs des gravures rupestres du Tassili N-Ajjers et Hoggar (moins 8000 pour les plus anciennes), sont considérés par les Touaregs eux-mêmes comme n’étant pas leurs Ancêtres, les dénommant d’ailleurs Kel Erou, ce qui signifie ceux d’avant. En tous les cas d’après les spécialistes, si le dolmen était un monument autochtone nord-africain associé au peuplement berbère, il aurait du s’étendre à l’ensemble du Maghreb et même au Sahara, terre des tumulus et bazinas, qui n’est pas celle des dolmens. 

Carte : Gabriel Camps – Nécropoles mégalithiques d’Algérie orientale et de Tunisie. 1 : Beni Messous, 2 : Médéa, 3 : Djelfa, 4 : Aït Raouna, 5 : Ibarissen, 6 : Aït Garet, 7 : Koudiat es Snam, 8 : Ouled Hannech, 9 : Cavallo, 10 : Tamalous, Collo, 11 : Le Kheneg, 12 : Ras el Aïn Bou Merzoug, 13 : Sila, 14 : Bou Nouara, 15 : Sigus, 16 : Ichoukkane, 17 : Roknia, 18 : Guelaat bou Atfane, 19 : Nador, 20 : Koudiat el Batoum, 21 : Tazbent, 22 : Gastel, 23, Kalaat es Snam, 24 : Bulla Regia, 25 : Le Kef, 26 : Dougga, 27 : Teboursouk, 28 : Chaouach, 29 : Hammam Zouakra, 30 : Elles, 31 : Magraoua, 32 : Maktar, 33 : Hir Bou Ghanem, 34 : Haïdra, 35 : Dar Bel Ouar, 36 : Enfida, 37 : El Alia

La première guerre civile

   Ce que l’on sait de sûr dans cette Afrique du Nord centrale qui deviendra plus tard l’Algérie, une bataille discrète a lieu il y a 10.000 ans. L’équivalent du Cro-Magnon européen, l’Homme de Mechta El Arbi et d’Afalou est déjà installé dans le Nord du Maghreb, le Mechtoïde appelé aussi Ibéro-maurusien bien que cette dénomination soit impropre, avéré plus tard n’ayant rien à voir avec les Ibères de la péninsule espagnole. Mais de l’Est, le Capsien va venir le concurrencer, un Protoméditerranéen dont le nom est tiré du site préhistorique de Gafsa, en Tunisie. Deux variétés d’Homo Sapiens Sapiens modernes, le type 1, Mechtoïde mésocrâne à face courte selon la terminologie des anthropologues, ressemble à Saïd Sadi ou Amar Saïdani, le discours en moins, le type 2, légèrement plus grand, est un dolichocéphale à voûte variable et plus proche de Sellal, l’intelligence en plus. C’est ce dernier qui a gagné et le premier s’est fondu ou a disparu, même si c’est peut-être lui qui a construit ces fameux mégalithes un peu partout. Mais rien n’est moins sûr, la densité de dolmens, chouchets et autre allées couvertes est infiniment plus grande entre l’Algérie orientale et la Tunisie occidentale, domaine de prédilection du Capsien. C’est donc lui, le Tunisien, le constructeur, peut-être déjà protoberbère et maçon, à moins que ce ne soit ni l’un ni l’autre mais comme le soutiennent certains archéologues un peuple arrivé avec marteaux et burins pour construire quelque chose dans cette terre si vaste, puis parti à cause de l’hostilité locale, disparu, pétrifié sur place ou fondu lui aussi dans la masse du Capsien qui aurait eu de très belles femmes, ayant lui-même absorbé le Mechtoïde. Nous sommes donc tous des Tunisiens. Mais qui a construit les mégalithes ?

Mêmes les pierres peuvent être détruites

   En dehors de leur identité, les sites mégalithiques sont sujets à diverses détériorations et très peu défendus, comme s’il s’agissait d’un peuple lointain qui ne nous concerne pas. Pourtant classifiés et protégés de fait par des lois claires, ils ne sont pas moins en danger, non balisés, souvent non dégagés ou non clôturés, ou simplement oubliés comme les dolmens de Beni Messous intégrés à des propriétés privées. L’année dernière encore, les mégalithes du site archéologique de Bou Nouara près d’El Khroub où 3000 dolmens dorment du sommeil du juste, ont subi une destruction planifiée, réduits en gravier par des engins de travaux publics. L’alerte a été donnée, les chantiers arrêtés mais rien ne dit qu’ils ne reprennent pas, d’où la proposition de clôturer tous ces ensembles d’un passé particulier, aménager les sites en lieux de tourisme et de culture pourquoi pas payants, ce qui permettrait aux gardiens, jardiniers et aménageurs d’être rétribués pour les surveiller et les entretenir.

   S’ils sont très nombreux, ces ensembles mégalithiques sous responsabilité officielle du ministère de la culture sont néanmoins en péril, comme l’ont été d’autres monuments plus récents par effacement de machine arrière, vestiges français, puis berbères et romains, re-protégés par la suite. Mais le fait que les mégalithes ne soient pas identifiés avec précision, leur âge et la signature de leurs bâtisseurs étant encore flous, contribue peut-être à les regarder de haut avec une certaine dose de mépris. D’où cette nécessité de continuer les recherches pour les resituer dans le temps et la filiation. Qui étaient ces premiers constructeurs ? C’est encore un mystère et les constructeurs de cités, résidences ou promotions immobilières ne se posent pas la question, ils bâtissent eux aussi, sur les constructions mégalithiques, nécropoles, dolmens et grottes funéraires des Anciens. Aujourd’hui encore peu connus, si ces vestiges des temps protohistoriques sont classés mais en danger, dans 1000 ans nous saurons qui les a détruits. C’est l’avantage de l’époque moderne par rapport au Néolithique, on a les noms de tous les entrepreneurs.

Chawki Amari

Photo à la Une : Gasmi M – Dolmen à Roknia

Photo intérieur : Illustration d’un dolmen de Roknia dans l’Encyclopédie soviétique de 1926

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