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Lalla Fadhma N’soumer : Une Figure de Résistance Inébranlable

En juillet 1854, l’Algérie est partiellement occupée. Elle a été soumise dans le sang par les hommes du général Bugeaud. Mais seules les plaines des régions d’Alger, de Constantine et d’Oran sont aux mains des Français. Au nord-est, la Kabylie, demeure une poche de résistance. Après avoir hésité sur le sort qu’il fallait réserver à cette région, les forces coloniales française décide de s’en emparer.
Au cœur du massif du Djurdjura, au terme de plusieurs batailles, l’armée française doit battre en retraite… face à une jeune femme : Lalla Fadhma N’Soumer.

Qui est-elle ? Et de quelle manière a-t-elle résisté à la conquête française ?

Lalla Fadhma N’Soumer, de son vrai nom, Fatma Sid Ahmed, est née à Ouerdja, dans le massif du Djurdjura, en Kabylie au sein d’une famille très respectée et réputée. Elle a quatre frères aînés et son père est le chef d’une école coranique. Désireuse d’apprendre la jeune Fadhma réussi à être scolarisée dans la zaouia de son père à une époque où aucune fille ne l’était. Cette école coranique de la confrérie musulmane Rahmaniyya a permis à Fadhma d’affiner son don de l’éloquence, d’aiguiser son sens de l’analyse, mais surtout de nourrir son esprit dans la religion.

A tout juste 16 ans, elle a refusé la consommation d’un mariage qui lui a été imposé par l’un de ses frères à la mort de leur père, brisant ainsi un maillon patriarcal sacré dans une société conservatrice. Le mariage en général ne l’intéressait pas, Fadhma semble déjà s’inquiéter du sort de la Kabylie et souhaite se consacrer à la protection de sa terre. La jeune femme ne deviendra jamais mère mais s’imposera, dans la vie publique, non seulement en tant que
combattante, mais aussi comme chef guerrière et stratège, s’immisçant dans des sphères alors strictement réservées aux hommes.
Ce rejet du mariage et son tempérament fougueux lui vaudront à l’époque le surnom en kabyle de Fadhma N’Ouerdja, un terme utiliser pour décrire celle qui refuse de se plier aux coutumes. C’est aussi une façon de décrire ces femmes qui, au lieu d’épouser un rôle domestique, préfère se dévouer aux activités intellectuelles, et parfois même, au combat et aux luttes sociales. C’est sans doute cet esprit rebelle qui l’érigera en icône des mouvements féministes.

La prophétesse :
Sa légende reprend les grands thèmes de Dihya, reine guerrière et devineresse. Ainsi Lalla Fadhma N’Soumer est également affublée du don de voyance et est souvent surnommée la « prophétesse ». Dotée d’une rare intelligence, les prévisions stratégiques de Fadhma s’avéraient très souvent justes. Aux yeux des tribus qui la suivaient, ces prédictions devenaient des prémonitions divines…


La résistante

Portraits présumés du Chérif Boubaghla et de Lalla Fatma n’Soumer conduisant l’armée révolutionnaire signé en bas à droite: F Philippoteaux 1866

C’est à Soumer qu’elle se trouve une place et rejoint la résistance. En effet après s’être enfuie de sa prison conjugale, Fadhma rejoint son frère si Tahar dans le village de Soumer, où il dirige une école coranique vers 1850. Elle assiste son frère pour la direction de l’école, et se consacre particulièrement aux enfants et aux pauvres et acquière une excellente réputation auprès des villageois qui lui attribuerons le patronyme de N’Soumer.
L’Emir Abdelkader vaincu en 1847, l’Algérie devient constitutionnellement française en 1848, mais le pays résiste à l’occupation. Seules Alger, Constantine et Oran sont aux mains de l’ennemi. La Kabylie, région montagneuse et difficile d’accès, n’était pas l’objectif principal des troupes françaises. Mais la poche de résistance kabyle s’amplifie et se consolide, elle devient rapidement une menace pour les colonies occupées. Pour les français, la soumission des Kabyles devient alors primordiale.

L’avancée des troupes françaises dans la région du Djurdjura, va jeter Fadhma N’soumer dans la rébellion dès 1847. Dans un premier temps, elle va récolter les denrées utiles pour les insurgés, puis elle mobilisera et fédérera les hommes qu’elle mènera au combat. En 1849, elle se rallie à si Mohammed El-Hachemi, un chef de guerre qui avait participé à l’insurrection populaire qui embrasa le Dahra dans la vallée du Chélif (une région montagneuse située au nord de l’Algérie) aux côtés de Boumaza, chef de la résistance populaire.
En 1850, la Tajmaât (assemblée) du village la mandate avec son frère si Tahar à diriger les Imseblen (les volontaires de la mort). Ces hommes sont venus de tous les villages kabyles pour renforcer les troupes des insurgés dirigées par un chef de guerre proche de l’Emir Abdelkader, Mohammed Lamjad ben Abdelmalek, dit le Chérif Boubaghla. Elle s’était engagée à ces cotés avec ses hommes dans la bataille de Tazrouts (près de Aïn El Hemmam). Une bataille sanglante où la ténacité de Lalla Fadhma N’soumer n’acceptant aucun relâchement ni marche arrière finit par pousser l’ennemi à battre en retraite.

Charles Joseph François Wolff qui commandait le bataillon de l’armée française était mortifié devant la retraite de sa compagnie. Lui, un commandant des forces françaises, lourdement armés, aguerris et entraînés a été vaincu… Par qui ? Une femme… Mais pas des moindre ! Lalla Fadhma N’Soumer, une femme qui s’était constitué une armée de guerriers qui n’hésitait pas à venir chercher sa bénédiction presque divine, tant sa réputation l’avait précédée. Les Français eux-mêmes étaient émerveillés par cette aura quasi mystique. Émile Carrey, écrivain et médecin lors de la campagne de Kabylie en 1857 avait écrit ; « Elle sait conjurer tous les périls, et peut, s’il lui plaît, faire reculer l’invasion française. ».

Grâce à son génie et à l’élaboration de tactique de guerre digne des plus grands chefs, elle accède à des assemblées réservées exclusivement aux hommes, et gagne le titre de Lalla, titre honorifique réservé aux femmes en raison de leur âge ou de leur rang. Désormais ce n’est plus Fadhma N’Soumer mais Lalla Fadhma N’Soumer.
A la mort du Chérif Boubaghla, en 1854, elle prend la tête de la résistance et poursuit la lutte. Lalla Fadhma N’Soumer infligera des pertes inouïes à l’arrogant maréchal Randon et à ses troupes entre 1854 et 1856, à Azazga, à Larbaâ Nath-Irathen, à Tachkirt,… Ce qui va le contraindre à demander un cessez-le-feu, après la bataille de Tachkirt où il a perdu plus de 800 soldats, dont 56 officiers.
A ce maréchal elle dira : « Nous faisons partie de cette montagne, nous sommes comme les pierres et les rochers qui la composent. Tôt ou tard, vous partirez et nous, nous resterons. »

Gouverneur Randon

Déterminé à tuer cette résistance qui avait déjà infligé trop de dégâts, le gouverneur Randon, brise le cessez le feu et ordonne en 1857 l’envoi de 35 000 soldats français en renfort face aux Kabyles. Malgré sa réputation et sa bravoure
lalla Fadhma N’Soumer fut rattrapée par la réalité du terrain : face aux Français, les combattants kabyles étaient en infériorité numérique. Elle est capturée et emprisonnée cette même année, ce qui porte le coup de grâce à la résistance. Certains diront qu’elle s’est rendue de son plein gré pour épargner la vie des autres femmes.
Traînée dans la tente du maréchal Randon impatient de connaître cette mystérieuse femme qui lui avait tenu si ardemment tête, ce dernier lui demande : “Qu’avez-vous à vous battre pour un pays si inclément ?” Sa réponse est cinglante : “Ces montagnes nous ont appris l’honneur !” Randon ébranlé en entendant cela la surnommera “La Jeanne d’arc du Djurdjura”.


Lalla Fadhma N’Soumeur sera déportée vers un camp militaire dans les Issers avant d’être incarcérée à Tablat. C’est d’ailleurs là-bas qu’elle trouvera la mort en 1863, à l’âge de 33 ans, après six ans de détention. La chronique rapporte qu’elle est morte de chagrin pour son peuple et pour son pays. Cependant il a fallu attendre l’année 1995 pour voir ses ossements rapatriés à El-Alia dans l’indifférence générale, un 8 mars. 1863-1995. Il aura donc fallu 132 ans pour que Fadhma n’Soumeur ait sa place au Carré des martyrs. 132 ans !

Rym Maiz

Sources :

Achour Cheurfi, Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie, Alger, ANEP, 2006

Tahar Oussedik, Lla Fat’ma n’Soumeur, Alger

Algérie, une guerre sans gloire, Histoire d’une enquête, Florence Beaugé, Calmann-Lévy

Malha Benbrahim, Documents sur Fadhma N’Soumeur (1830-1861)

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