La jeunesse grecque se révolte contre la dictature en 1973

Le 17 novembre 1973 représente le début du soulèvement de la jeunesse grecque contre le régime des colonels. Cette date sera commémorée à l’occasion de la fête de «Gauchebdo» du 17 novembre à Neuchâtel. (Par Paris Kyritsis)

Au matin du 17 novembre 1973, la Grèce est sous dictature militaire depuis bientôt sept longues années. Un groupe de colonels, avec à leur tête Georgios Papadopoulos, a pris le pouvoir par un coup d’État en 1967 sous le prétexte habituel de la «menace communiste». Le soutien des États-Unis et des autres pays «libres» est tacite…mais immédiat car le pays est frontalier de trois pays socialistes. En quelques semaines, les colonels traquent puis emprisonnent les opposant politiques de gauche et du centre, appliquent la censure, allongent le service militaire et tentent d’imposer une idéologie nationaliste basée sur le triptyque: patrie, famille, religion. La période de la dictature marquera également la langue du pays. Les colonels tentent d’effacer les langues vernaculaires en imposent la katharevousa, une langue artificielle et élitiste, «purifiée» de tous les emprunts turcs, serbes ou albanais. Une chape de plomb s’impose à l’intérieur du pays, mais à l’extérieur la résistance s’organise et passe par l’art et la culture. En effet, la chasse au rouge a provoqué l’exil de nombreux compositeurs, chanteurs, poètes et écrivains. L’un des plus connus, Mikis Theodorakis, compose en exil en France des œuvres qui figureront parmi ses compositions les plus célèbres et qui portent les traces de la dictature. De même, le poète nobélisé Odysseas Elytis quitte le pays et refusera prix et distinctions. Ils sont suivis par de nombreux artistes qui marquent le répertoire culturel grec encore aujourd’hui.

Le 17 novembre 1973, des milliers d’étudiants sont barricadés depuis plusieurs jours dans l’Ecole polytechnique et scandent «pain, éducation, liberté». Ils ont installé une radio clandestine qui leur permet de faire connaître leur cause dans toute la Grèce. A minuit, les chars de l’armée forcent la barrière de l’enceinte, bilan: 24 morts. Les étudiants sont ensuite expulsés de force puis enfermés, et la répression se renforce. Mais le temps des colonels est compté. Après cette action brutale, les colonels perdent petit à petit le soutien des pays «libres», dont les opinions publiques ont été travaillées par les artistes grecs exilés.

Symbole de la résistance étudiante

Le 17 novembre est donc une date sanglante, mais c’est celle qui est restée dans les mémoires comme le symbole de la résistance des étudiants face à la dictature. Elle représente le début de la fin de cette dernière, qui sombre quelques mois plus tard après l’échec d’un coup d’État à Chypre.

45 ans ont passé depuis la chute de la dictature en Grèce, mais au regard de l’histoire, ce n’est pas beaucoup. La dictature a laissé des traces qui réapparaissent avec la crise du néolibéralisme qui a touché la Grèce en 2011, puis avec les mesures d’austérité imposées par l’Union européenne qui ont amplifié la dépression économique. Dès lors, le consensus autour de la période post-dictature que l’on appelle metapolitefsi et le bipartisme qui la caractérisait se brise. L’Union européenne n’est plus l’institution qui apporte stabilité (et financements), mais montre son visage autoritaire et impérialiste. Et les vieux démons resurgissent. Ainsi, Aube dorée, qui apparaît comme un mouvement nouveau, a d’abord regroupé les différents inconditionnels de la dictature, qui végétaient dans différents groupuscules et au sein du parti Nouvelle démocratie (droite). Ils reprennent confiance et n’hésitent plus à appeler ouvertement au coup d’État, comme en juin dernier. Il n’est par ailleurs plus rare d’entendre des gens dire dans les rues d’Athènes que Papadopoulos «était quand même le moins corrompu de tous les dirigeants du pays». Le constat est devenu banal: les dirigeants sociaux-démocrates, en pratiquant une corruption à large échelle et en trahissant les classes populaires, ont contribué au retour des extrêmes-droites.

Mobilisation étudiante

Mais heureusement, depuis la crise, dans un contexte de perte de repères, la symbolique de résistance, portée par la date du 17 novembre, se voit renforcée à travers les très nombreuses manifestations et conférences organisées par la myriade de mouvements étudiants ou politiques qui ont pignon sur rue dans les universités grecques ainsi que dans le quartier Exarheia, qui ceinture l’école polytechnique. La date est également récupérée et célébrée en petite pompe par Syriza, le parti au pouvoir, afin de se donner une image de gauche radicale à petits frais. Dans une Grèce toujours marquée par les effets de la crise du néolibéralisme et sous tutelle de l’Union européenne, les symboles de résistance et de révolte restent importants. Ils sont essentiels car ils rappellent que la liberté a toujours été le fruit de la lutte et inspirent chaque génération pour les combats futurs. Dans des temps incertains, ils gardent la flamme allumée, quelque part, dans le cœur de millions de personnes.

 

Source : https://www.gauchebdo.ch/2018/11/08/la-jeunesse-grecque-se-revolte-contre-la-dictature-en-1973/

Image : Manifestation devant l’école polytechnique. Sur les piliers il est écrit : dehors les USA ,dehors l’OTAN. (LDD)

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1 Comment

MESSWAR 27 mars 2019 - 14 h 22 min

Nice post, and thanks for sharing this with us.

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