Sous la période coloniale, l’Algérie est régie par le code civil français et le droit coutumier. En 1962, le pays « estime qu’il y a d’autres urgences que de légiférer rapidement sur le statut de la famille et celui de la femme », selon Liliane Graïne, auteure de la thèse « Etre une femme en Algérie ». Mais « l’idée de produire un code conforme aux traditions arabo-musulmanes et à l’option socialiste n’est pas enterrée pour autant », ajoute-t-elle. La question resurgit par trois fois jusqu’en 1969, mais est rapidement enterré du fait de l’opposition au sein du pouvoir entre « révolutionnaires », partisans d’une égalité absolue entre hommes et femmes et « conservateurs », défenseurs du droit musulman en tant que reflet de l’identité nationale. Le débat qui s’instaure est crucial : » il touche au projet de société jamais défini depuis 1962, assure Liliane Graïne. Quels doivent être le statut et la place de la religion dans un pays qui aspire à la modernité, tout en refusant d’y perdre son âme ? »
Après la mort du président Boumediène en décembre 1978, trois avant-projets sont élaborés, dont les deux derniers « confirment la dimension patriarcale et inégalitaire du fiqh malikite » (jurisprudence issue d’une des quatre branches du sunnisme qui admet comme source de droit le Coran, la sunna, la coutume médinoise et le principe d’utilité générale). En octobre 1981 les moudjâhidâtes (combattantes pendant la guerre d’Algérie) descendent dans la rue et le nouveau président Chadli Bendjedid retire le dernier avant-projet.
Le 9 juin 1984, celui-ci promulgue pourtant un Code de la famille adopté à huis-clos par l’APN constituée du parti unique, le FLN. Il espère par cela calmer les conservateurs alors que le pays traverse une crise économique. Le 18 juin, le ministre de la Justice explique à la presse que ce code représente le choix de l’Algérie pour un projet de société « gouverné par une morale socialiste qui respecte les valeurs arabo-islamiques du peuple algérien. » Il refuse les comportements « étrangers qui portent atteinte à notre morale et remettent en cause notre identité culturelle ».
Que dit le Code ?
Le code est un texte juridique de 224 articles qui reprend à son compte les principales dispositions coraniques, surtout en matière de droit civil et successoral. Il consacre l’inégalité juridique de l’homme et de la femme et institue celle-ci comme mineure à vie. Quelques exemples :
– Le texte institue une famille de type patriarcal où la femme est traitée comme une mineure permanente. Elle a le devoir d’obéir au chef de famille et de lui accorder les égards dus à son rang (art.39).
– Quel que soit son âge, la femme ne peut jamais se marier de sa propre autorité. C’est à son « tuteur matrimonial » (wali) qu’incombe la responsabilité de la marier. Le tuteur est le plus proche parent homme de la femme : son père, son oncle, voire son fils. (art.11)
– La polygamie est maintenue : « Il est permis de contracter mariage avec plus d’une épouse dans les limites de la chari’a si le motif est justifié, les conditions et l’intention d’équité réunies et, après information préalable des précédente et future épouses. » (art.8)
– Le divorce intervient seul par la volonté de l’époux (art.48). La mère a automatiquement le droit de garde de ses enfants mais c’est le père qui en est le tuteur (art.87). Si la mère se remarie, elle est déchue de son droit de garde. Le logement est également attribué au père lors du divorce.
– Une Algérienne ne peut pas épouser un non-musulman (art.31)
– Lors de l’héritage, la femme n’a droit qu’à la moitié de ce qui revient à l’homme.
Quelles réactions à ce Code ?
En 1985 naît la première association indépendante de femmes, l' »Association pour l’Egalité devant la Loi entre les hommes et les femmes ». Elles seront plus d’une trentaine à voir le jour dans les années suivantes. En 1990, elles sont des milliers de femmes à manifester pour l’abrogation du code : des rassemblements, des marches, des publications et des pétitions sont initiés. Le 8 mars 1997, 14 associations lancent une pétition d’un million de signatures autour de 22 amendements émanant de l’atelier de Rabéa Mechernène, alors ministre de la Solidarité. De 1992 à 2002, toutes les occasions sont bonnes pour revendiquer l’abrogation des dispositions discriminatoires et les remplacer par des lois égalitaires.
En 2003 débute alors la campagne « 20 ans Barakat ! » contre le Code de la famille. De nombreuses associations de femmes y participent et produisent un CD et un clip pour financer cette campagne
Le collectif lance une pétition afin d’abroger le Code. En décembre 2003 et à cinq mois des élections présidentielles, Abdelaziz Bouteflika relance le débat sur le statut de la femme. Le ministre de la Justice installe une commission interministérielle chargée de revoir « dans le sens de l’amélioration » les articles du code de la famille les plus discriminatoires à l’égard des femmes. Les militantes féministes craignent une opération électoraliste.
Un Code amendé, 21 ans après
Février 2005. Plus de vingt ans après sa promulgation, le Code est en enfin amendé par le président Bouteflika. Les féministes sont partagées entre quelques amendements positifs et le maintien de nombreuses dispositions discriminantes. Ainsi, l’âge du mariage est ramené à 19 ans pour les deux sexes (21 ans pour l’homme et 18 pour la femme auparavant). Lors du divorce, le mari est tenu d’assurer un logement à ses enfants mineurs qui sont à la garde de leur mère. Celle-ci obtient l’autorité parentale, mais seulement lorsqu’elle est divorcée. Si elle veut divorcer, la femme a trois motifs supplémentaires mais cela est toujours soumis à des conditions particulières, contrairement au mari. Ce dernier garde d’ailleurs so, pouvoir de répudiation.
Concernant le tutorat, celui-ci est toujours présent : la femme a besoin d’un tutorat matrimonial pour se marier. Bonne nouvelle, ce dernier ne peut pas la contraindre à se marier. La polygamie est également maintenue mais assortie du consentement préalable de la première épouse ainsi que de la future épouse. Un juge doit vérifier la réalité de ce consentement. L’épouse doit toujours obéissance à son mari et sa part d’héritage par rapport à l’homme (la moitié) n’évolue pas. Enfin, la filiation de la nationalité algérienne par la mère est reconnue. Elle ne résultait auparavant que de la filiation paternelle.
Ces amendements ne permettent pas d’améliorer la situation de la femme, qui peut être jetée à la rue par son mari ou n’a pas d’autorité parentale sur ses enfants. Associations féministes et militantes continuent actuellement le combat pour l’abrogation du Code.
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