A la mémoire impérissable de la magistrate Nadia Berrabah
Il y a 27 ans, Nadia Benrabah née Boukhors avocate et vice-présidente du tribunal d’Alger fut lâchement assassinée à Birkhadem: La femme de Djamil Berrabah a été tuée sous ses yeux. Depuis il n’a de cesse de réclamer justice pour les familles de victimes du terrorisme.
Témoignage:
La salle de la Maison du peuple, à Alger, a du mal à contenir, en cette fin février, le millier de femmes et d’hommes venus manifester leur colère contre la parution d’un décret indemnisant les familles victimes du terrorisme mais aussi celles des terroristes tués. Des portraits de soldats assassinés par les intégristes, de femmes et de simples civils, jeunes pour la plupart, sont brandis par la foule. » On n’ira pas voter « , crie une femme. » Nous sommes prêts à prendre les armes si une amnistie générale est décrétée « , lance un homme.
Derrière ce rassemblement, le CNOT (Comité national contre l’oubli et la trahison), qui regroupe les associations de familles victimes du terrorisme intégriste, présidé par Djamil Berrabah, quarante-huit ans, enseignant à l’École nationale d’administration d’Alger. L’homme n’a pas oublié sa femme, Nadia, trente-huit ans, magistrate à la cour d’appel d’Alger, assassinée sous ses yeux par les intégristes. Malgré tout, Djamil dit ne nourrir aucune haine envers les assassins. Mais il ne veut pas pardonner. Il veut que justice soit rendue.
Les Berrabah et leurs trois enfants habitaient un appartement dans une impasse située à la cité El Bina, dans le faubourg de Birkhadem, à Alger. Ce 27 février 1995, par la fenêtre, Djamil remarque la présence de deux jeunes. » Ce sont deux lycéens « , lui dit Nadia. Pourtant, il se sait menacé. Lui et sa femme figurent sur une liste de 118 personnalités condamnées à mort par le FIS. Avant de sortir, il arme son pistolet. Les deux jeunes se trompent de cible en le confondant avec son voisin qui venait de le précéder.
» Quand je les ai vus le braquer, je n’ai pas hésité. J’ai tiré. J’en ai blessé un à l’épaule. Mais j’ignorais qu’il y avait deux autres groupes de trois et quatre terroristes, embusqués à l’angle d’une ruelle qui donne sur notre impasse. Mon voisin a été blessé. Sa voiture barrait l’impasse. On ne pouvait plus se sauver. » Berrabah raconte ensuite que les neuf hommes se sont dirigés vers lui en ouvrant le feu.
» Ma femme a essayé de rentrer à la maison mais elle a été touchée. Moi, j’ai continué à tirer mais je ne pouvais pas tous les contenir. L’un d’eux s’est approché de ma femme en l’achevant de deux balles à bout portant dans la tête. » Berrabah n’a alors qu’une idée, défendre chèrement sa peau. La fusillade dure un quart d’heure. » J’ai vidé mon chargeur sur celui qui semblait être leur chef quand il s’est approché de moi en tirant. Il s’est effondré. Ses complices l’ont ramassé et l’ont mis dans la Renault 5 du voisin et sont partis.
« Djamil poursuit : » J’ai couru vers ma femme. J’ai pris sa tête dans mes mains et je me suis mis à hurler » Sauvez-la, sauvez-la ! « . Puis j’ai senti quelque chose de chaud dans mon pantalon. Après je me suis réveillé à l’hôpital. Je ne savais pas que j’étais blessé car je ne ressentais rien sur le moment. » Djamil Berrabah a reçu cinq balles. Il doit être de nouveau hospitalisé en Allemagne pour retirer deux balles logées dans sa cuisse gauche. Il a identifié l’un des tueurs. Un jeune habitant le même quartier que lui. L’homme a été condamné à dix ans de prison deux ans plus tard parce que au moment des faits il était mineur. De cet épisode tragique de sa vie, il dit : » Tu sais, je me rappelle des terroristes vivants, mais pas de celui que j’ai tué et dont le cadavre a été abandonné par ses complices quelques kilomètres plus loin.
« Depuis, Djamil Berrabah milite à Djazaïrouna, une association de familles victimes du terrorisme islamiste, présidée par Cherifa Keddar, une jeune rescapée du carnage du village de Raïs, en août 1997, où plus de 200 femmes, enfants et hommes ont été massacrés par le GIA. Tous deux ont lutté pour que les enfants des victimes du terrorisme passent leurs vacances en France avec l’aide du Secours populaire. Une initiative qui n’a pas abouti parce que le gouvernement de Ahmed Ouyahia avait interdit aux gamins de sortir du territoire. Aujourd’hui, il continue son combat.
Hassane Zerrouky
Témoignage de Djamil Berrabah 20 février 2017:
« Le 27 février 1995, un 27 éme jour du mois de Ramadhan , mon épouse Nadia a été froidement assassinée devant mes yeux par un groupe de terroristes fortement armés , criant Allah Akbar. Moi même gravement blessé par plusieurs balles, je n’ai pas pu la sauver. Depuis ce fatidique jour ma vie et celle de mes trois enfants a totalement basculé . Je suis en permanence animé par un sentiment d’injustice , cela est d’autant que Nadia était un modèle , dans son métier de juge, de probité et d’honnêteté. Je remercie toutes celles et ceux qui chaque m’exprime leur solidarité et leur compassion à travers les réseaux sociaux. Je reproduis à l’occasion de cette 22 eme commémoration l’hommage qui lui a été rendu l’an dernier par mon ami Bachir Dahak qui l’a longtemps côtoyée en sa qualité d’avocat. Merci de coller cet hommage sur votre page.
Mon cher Djamil Tu sais bien qu’ à chaque fois que le nom de Nadia est évoqué cela me replonge dans la période où, avec quelques avocats, nous avions le sentiment de plaider devant une juge dans le vrai sens du terme , une juge qui savait ce que chaque dossier contenait et qui, dans ses décisions ne faisait parler que le droit. Les avocats corrompus ou influents qui donnaient à leurs clients le verdict avant même de plaider en prenaient toujours pour leur grade avec elle. Elle pouvait acquitter un lampiste à qui on avait prévu de faire porter le chapeau et de condamner un gros bonnet qui toisait tout le monde avec mépris, sans oublier sa mise aux arrêts à l’audience.
Je me rappelle de ce jeune milliardaire du fer à béton chez qui on avait retrouvé plusieurs kilos de kif .Flanqué de quatre avocats qui n’avaient pas l’habitude de perdre leurs procès, il s’était évanoui lorsque Nadia lui annonça qu’il risquait la peine maximum . Lorsqu’il reprit ses esprits, dans les couloirs de la Cour d’Appel, elle lui ajouta qu’il aurait mieux fait d’avoir des avocats qui connaissaient un peu de droit au lieu de ces entremetteurs à succès qui faisaient honte au vrais juristes. Elle pouvait aussi être fair play et accepter qu’un jeune avocat lui fasse annuler toute une procédure en mettant en avant un vice de procédure ou en signalant qu’un témoin clé avait été oublié ou , comme souvent à El Harrach , « empêché » de comparaître.
L’assassinat de Nadia et des autres magistrats inflexibles et incorruptibles, est pour moi le signal de départ de la déliquescence de l’Etat , de sa descente programmée aux abîmes, de sa clochardisation et de sa livraison à l’appétit insatiable des maffias diverses et variées qui ne voulaient plus supporter quelque contrôle que ce soit . C’était le prix à payer pour que ces nouveaux barons de l’économie informelle (pour ne pas dire maffieuse) accompagnent les officines publiques qui ont régulé et planifié le terrorisme dans l’attente de transformer les rentes publiques en rentes privées. L’assassinat de Nadia et de ses collègues faisait partie de ce plan diabolique consistant à éliminer tout contre-pouvoir, toute forme de résistance ou d’opposition à la grande redistribution des cartes qui allait forcément se faire à l’ombre du droit et loin de toute légalité.
Elle a assisté, comme nous, à l’acquittement scandaleux des tous premiers « bandits du libéralisme » , elle a compris très vite vers quelle dérive nous allions et elle a essayé, avec ses armes et ses convictions républicaines, d’y faire face .Elle ne savait pas que l’hydre avait plusieurs têtes , que les ennemis (internes) du pays étaient déterminés et qu’ils avaient besoin de victimes sacrificielles pour installer durablement une justice bananière, à l’instar des républiques du même acabit . Comme ses aînés qui sont morts pour la liberté , Nadia est morte d’avoir voulu que son pays et son peuple soient fiers de leur justice. Nadia est morte pour avoir exprimé son refus de capituler devant l’indicible vague du déshonneur qui a fini par engloutir tant de ses collègues et qui a , surtout , fini par emporter , loin , très loin, l’idée même de la justice . »
Article envoyé par Djalil Kezzal