Le 12 septembre 1876, au palais royal de Bruxelles, le roi Léopold II ouvre une Conférence de géographie consacrée à l’Afrique. Elle réunit une trentaine de savants de toute l’Europe.
La version officielle avance l’idée de relancer l’exploration du continent en vue d’« ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’a pas encore pénétré » et de lutter contre la traite des noirs par les musulmans.
Officieusement, nous sommes à l’époque où les dirigeants européens rivalisent de vitesse pour planter leur drapeau sur les dernières terres insoumises de la planète.
Le rêve de Léopold II
Le roi des Belges Léopold II (41 ans) rêve d’offrir une colonie à la Belgique. Ayant beaucoup voyagé avant de succéder à son père le 17 décembre 1865, il cultive un intérêt très vif pour l’outre-mer. C’est ainsi que le 19 septembre 1876, sa conférence de Bruxelles se conclut par la création d’une « Association internationale pour l’exploration et la civilisation de l’Afrique centrale », plus communément appelée Association Internationale Africaine. Elle est placée sous la présidence du roi et se donne un drapeau bleu étoilé d’or (semblable au drapeau actuel de l’Union européenne !).
Le 23 novembre 1878, Léopold II crée au nom de l’Association un Comité d’études du haut-Congo, lequel signe aussitôt un contrat de cinq ans avec le célèbre journaliste anglo-américain Henri Morton Stanley en vue d’explorer le bassin du Congo, principal fleuve d’Afrique centrale.
Malheureux Congo
Il convient de préciser que la région a été en contact avec les Européens dès le XVe siècle. C’est ainsi qu’un roi du Congo s’était volontairement converti au catholicisme sous l’influence de voyageurs portugais. Mais les marchands d’esclaves occidentaux n’avaient pas tardé à combattre et détruire cette influence, et la région avait quelque peu retrouvé son mode de fonctionnement antérieur, jusqu’à ce que survienne Stanley.
Avec une escouade de mercenaires européens et de supplétifs africains, l’aventurier remonte le cours du Congo et conclut des traités avec les chefs de tribus locaux, au nom de son royal commanditaire.
Les Belges n’ayant aucun goût pour les aventures coloniales (comme d’ailleurs les citoyens ordinaires du reste de l’Europe), c’est en son nom personnel et avec sa fortune que le roi mène la conquête du Congo… sans jamais y mettre les pieds.
Il projette en particulier de construire un chemin de fer entre l’estuaire du Congo et le Stanley Pool, une retenue naturelle en amont de l’estuaire, séparée de celui-ci par des cataractes qui empêchent le transport par voie d’eau. En 1882 est fondée Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), sur le Stanley Pool.
Londres tente de freiner les ambitions du roi des Belges et encourage le Portugal à s’approprier la partie sud de l’estuaire. De son côté, la France, présente au nord de l’estuaire, promet à Léopold II de ne pas intervenir au sud. Le chancelier allemand Bismarck s’entremet habilement et convoque une conférence internationale à Berlin, en 1885.
Celle-ci aboutit à un compromis par lequel Léopold II se voit reconnaître à titre personnel la possession de la rive gauche du Congo, curieusement baptisée « État indépendant du Congo » ! En avril 1885, le Parlement de Bruxelles autorise « Sa Majesté à être le chef de l’État fondé en Afrique par l’Association Internationale ».
Le roi va dès lors tout faire pour rentabiliser sa conquête et lui permettre de s’autofinancer.
Dans l’intérieur du pays, ses agents entament l’exploitation des ressources locales par des méthodes souvent brutales. Ils soumettent les autochtones à des corvées pour développer notamment l’exploitation du caoutchouc ou collecter l’ivoire. Les réfractaires sont nombreux et les colons ripostent par une répression impitoyable. En 1904, un collaborateur de l’entreprise royale, Edmund Dene Morel, indigné, démissionne et fonde la « Congo Reform Association ». Cette ONG avant la lettre alerte l’opinion européenne en vue de faire cesser le scandale.
Une commission d’enquête internationale se penche sur les accusations portées contre les agents du roi des Belges, généralement par des Britanniques pas mécontents de se défausser sur autrui de leurs propres exactions coloniales. Elle dédouane les compagnies de l’accusation de couper les mains des réfractaires mais reconnaît des exactions innombrables dans l’exploitation du territoire : travail forcé, esclavage, brutalités…
Quelques années avant sa mort (17 décembre 1909), Léopold II lègue le Congo à la Belgique. Le gouvernement n’accepte le « cadeau » qu’après beaucoup d’hésitations. C’est seulement le 15 novembre 1908 que le territoire devient officiellement colonie belge. La Belgique va poursuivre son exploitation avec plus de ménagement qu’auparavant, jusqu’à la chute des empires coloniaux. Le Congo devient indépendant de façon bâclée et désastreuse le 30 juin 1960.
On peut lire sur la tragédie du Congo : Les fantômes du roi Léopold (Belfond). Terrifiant. Sur la colonisation du continent africain, rien ne vaut Le partage de l’Afrique, 1880-1914, par Henri Wesseling (Denoël).