L’identité d’un peuple ne saurait se résumer à la seule connaissance de son histoire événementielle. L’étude des coutumes, traditions et croyances populaires, place les Hommes dans leur environnement et nous propulse au cœur même du mode de fonctionnement d’une société.
En ce sens, nous nous intéresserons aujourd’hui à la population kabyle, qui a longtemps baigné dans un ensemble de croyances magico-religieuses, et du rituel consacré au mariage. S’il est attribué au seul fait des femmes, le rituel magique met tout le monde d’accord, sur son existence et la capacité avec laquelle, il peut intercéder dans la vie d’ici-bas.
La terreur du célibat
Parmi les rituels magiques les plus prisés, on dénombre ceux auxquels on a recours pour prendre son destin en main. On appelle cela de la magie positive, car ils interviennent le plus souvent en cas d’infortune, ou d’un destin qui se fait attendre. Il convient de préciser que dans les communautés ou la structure familiale joue un rôle prépondérant dans la bonne marche de la société, les trois choses considérées comme essentielles, et qui rythment la vie après la naissance, sont : le passage à l’âge adulte, le mariage, et la procréation. Si l’une d’elle fait défaut, la réputation de la famille s’en verra ternie, et ses relations sociales (donc économiques) altérées.
Ainsi, dans une société ou il n’y a pas de place pour le célibat, situation scandaleuse et facteur de désordre pour la famille, le recours aux pratiques magiques pour forcer le destin, semble être considéré comme une solution à un éventuel égarement de la jouvencelle, qui contrairement au jeune homme représentant du rôle actif en étant à l’initiative d’une demande en mariage, est dans l’attente. C’est donc la jeune fille qui sera l’objet du rite, en cas de trop longue espérance. Elle sera prise en charge le plus souvent par sa mère, ou une tante bienveillante, perpétrant l’usage d’une pratique féminine, et s’en ira trouver de l’aide chez une envoûteuse de leur connaissance.
Cérémonie d’envoûtement
La magicienne, reçoit la jeune fille en mal d’époux , et lui fait une simple visite « zyara », consistant en une improvisation versifiées, au cours de laquelle l’instigatrice en bournous et foulard blanc, tient un chapelet (misbaha) entre les mains, qu’elle manipule de manière circulaire. Il se dit que ce sont les saints invoqués au secours de la jeune fille, qui parlent au travers l’improvisation de la faiseuse de miracle.
Voici un exemple de récitation, inspirée par une jeune fille en mal d’amour :
Je vois qu’il reviendra, il te donne le pouvoir d’en décider
Il t’ôtera la souillure, car il y’a beaucoup de paroles sur toi.
Je vois que tu n’as pas à avoir peur, on t’enlèvera les sorcelleries
Je vois que tout va bien. Voila l’envoyé qui va arriver,
Ta porte s’ouvrira »
La récitation qui commence généralement par un constat fait de la situation de la jeune fille, se termine par un message d’espoir, annonciateur d’un dénouement heureux. Le « remède » est souvent suivi d’un rite que la jeune fille doit suivre, lorsqu’il n’y a pas d’autres obstacles, tels que l’ensorcellement par quelques cousines/ amies jalouses, et en ce cas, plusieurs visites chez la magicienne sont à prévoir. Revenons donc à ce fameux rituel, que nous abordons à travers l’exemple de la savonnette, que la demoiselle doit préparer, et porter à la magicienne lors de la consultation suivante, afin qu’elle puisse la doter de ses vertus prodigieux en récitant les vers suivants :
« Sa savonnette est brillante, Son amour est comme la lune quand elle paraît, ou le soleil quand il brûle »
La jeune fille doit prendre un bain en se lavant avec, tout en prononçant les paroles suivantes :
« Mon eau est comme le ruisseau, Il viendra vers moi, Comme l’eau des grands courants »
La savonnette devenue magique, se charge de transmettre son pouvoir à l’eau du bain. L’association de l’eau pure, à l’image du jeune homme rêvé et de la savonnette envoûteuse et secrètement charmeuse comme devrait l’être la jeune fille, préfigure l’union de deux être, qui ne sauraient tarder à se rencontrer !
Mira B.G
Sources :
- J-C Musso : dépôts rituels des sanctuaires de la Grande-Kabylie, 1971
- J-C Musso : esquisse d’une théorie générale de la magie, 1980
- N. Plantade, la guerre des femmes, magie et amour en Algérie, 1988
- Image 1 : Tableau J.Migonney,Femmes kabyles revenant de la fontaine,1910
- Image 2 : Photographie d’une femme kabyle, 1880
1 commentaire
Tout à fait:les petites histoires qui ont fait la grande! je vous remercie de nous aider à mieux nous connaitre nous même.