Ces questions ne sont pas sans s’interroger aussi pourquoi Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaid, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem et Larbi Ben M’hidisont-ils les personnages centraux du déclenchement ? Ajouté à Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Ahmed Ben Bella. Pourquoi eux et pourquoi pas Messali Hadj ou Ferhat Abbas ? Certains auraient-ils été plus courageux que d’autres ?Ce n’est pas sûr du tout. La difficulté quand il s’agit d’interroger l’action ou l’inaction des hommes, elle ne peut se résumer à leurs parcours, leurs actes ou leur position. L’homme est ainsi fait qu’on fait appel à cela à des sciences telles que la médecine ou la psychologie.
La date du 1 er novembre a été choisie parce que c’est la Toussaint. Un jour férié. Et cela laissait suffisamment de temps aux six acteurs du déclenchement pour se préparer. Bien que leur préparation date depuis au moins deux années, il reste encore à mobiliser. Et comme le soulève feu Mohamed Boudiaf, il fut question pendant longtemps d’insérer au groupe une tête connue, qui bénéficie de beaucoup de notoriété. Il s’agissait de faire porter le coup de l’insurrection hors des frontières algériennes. Et avoir un ambassadeur, un leader pouvait servir. Des hommes que les six touchèrent, personne ne voulut intégrer le mouvement. Ils ne s’en remirent qu’à eux-mêmes et à la population algérienne qu’ils comptaient bien faire gagner à leur cause ; la population algérienne n’attendait que ça.
L’inconscient collectif algérien a la mémoire longue. Et 1830, ce n’est pas si loin. En 1954, on porte les stigmates des expropriations des terres, de la famine, de l’humiliation. Mais pourquoi alors 1954 ? Il ne faut pas voir dans la question pourquoi avoir attendu 1954. Car de 1830 à 1954, le combat ne s’est presque jamais arrêté. Qu’il s’agisse de l’entrée des Français à Blida dès le début de la colonisation ou plus tard dans le Sud à Laghouat, les peuples se sont battus, rebellés et ont tout fait pour faire reculer l’adversaire. Mais pourquoi cela a-t-il marché en 1954 ? Peut-être d’abord parce que l’unité algérienne existait au moins dans l’inconscient. Il ne s’agissait plus de tribus éparses. Mais d’autochtones que les Français avaient placés tous sous la même bannière. Ensuite parce que l’information circulait mieux et plus vite.
La presse a contribué à raccourcir les distances et à impliquer les Sétifiens à l’Algérois. Le 8 mai 1945 fut un tournant, pas uniquement dans son atrocité mais par l’empathie qu’il révèle chez chaque «autochtone». Et parce que l’information circule. Mais 1954, c’est presque 10 ans après 1945. La moitié d’une génération. Didouche Mourad, originaire d’Alger, a tout juste 15 ans lors des massacres de Sétif et Guelma. Ahmed Ben Bella, originaire de Maghnia, a environ 26 ou 27 ans. Répondre à la France exige de la cohésion et de la stratégie. L’ère des réseaux sociaux n’existe pas. Organiser des rencontres par accointances politiques ne pouvait donc se faire du jour au lendemain. Ce qui va jouer en cette veille de déclenchement, ce sont les parcours politiques de chacun. C’est le rôle prépondérant du parti de Messali Hadj. Celui-là même qui s’opposera à l’insurrection armée. Celui-là même qui ordonnera que les peines de prison soient purgées lorsque l’un des membres se faisait emprisonné, aura moulu les consciences. Il aura été le levier nécessaire à la rencontre des six et à l’idée même de déclenchement. En effet, quand serait-il si des implosions n’avaient existé au sien du MTLD ?Les chemins se créent parfois ou souvent à cause des contre-courants, des barrages.
L’activité politique joue ainsi un rôle prépondérant. Elle construit un schéma de pensée, elle ouvre la voie à des alternatives et confronte des idées. Elle permet l’immersion de la solution armée. Autre revers de l’histoire : la France a besoin de chair humaine pour aller se battre au front contre les Allemands. Les Marocains, les Sénégalais et les Algériens leur seront utiles à cette cause. Et finalement, cela servira les Algériens. Ben Bella a eu la légion d’honneur pour son rôle à Monte Cassino. Il manipule les armes. Et connaît les stratégies de guerre. La voie qui achemine au déclenchement est faite de revers, de coup du sort. Elle rejoint la voie de l’émotion et du sentiment d’injustice. Ces chemins se creusent dans l’intellect assujetti au savoir. Qui puisent dans les instincts et les résiliences.
Le déclenchement est le produit de tout ça auquel on y ajoute la chance ou la volonté de Dieu. Et le déclenchement fut.
Zineb A. Maïche
Extrait revue Babzman, Edition spéciale 1er Novembre
1 Comment
Les principaux acteurs sont Benbella, Ait-Ahmed et Krim que vous citez en dernier , je ne comprends pas dans quel esprit.