Parler du « chaâbi » algérois, c’est d’abord aller à sa source. El HADJ M’HAMED EL ANKA reste le pôle de cet art auquel il mit son empreinte pour le répandre à travers les âges.
Né à Bab EJDID en 1907, il grandit à la Casbah à la rue Tombouctou. Originaire de la commune de Fréha de la wilaya de Tizi Ouzou en Kabylie, son père AIT OUARAB Ben Hadj Saïd faisait partie de ces personnes modestes qui venaient à la conquête de la Casbah pour des raisons économiques. Souffrant le jour de sa naissance, l’oncle maternel s’est présenté au service d’état civil pour porter le nouveau venu sur les registres. En disant « ana khalo » ( je suis son oncle),le préposé a transcrit HALO comme nom de famille. Ainsi El ANKA porta le nom de HALO Mohamed Idir.
Sa mère Fatma Boudjemaï a œuvré à son éducation et c’est ainsi qu’il fut inscrit à trois écoles. Il fréquenta une école coranique (de 1912 à 1914), l’école Brahim Fatah (à la Casbah) de 1914 à 1917 et une autre à Dellys jusqu’en 1918. Quand il quitta l’école définitivement il n’avait pas encore 11 ans.
Amoureux du « medh », chant religieux dont un des maîtres était Mustapha NADOR, il intégra dès cet âge, son orchestre en s’activant au « tar »grâce à Si SaÏd LARBI qui avait remarqué le sens du rythme de l’élève dont il fit part à Mustapha NADOR.
Puis un certain KHIOUDJI qui serait le demi-frère du regretté El Hadj Mrizek l’intégra à son orchestre en qualité de musicien attitré.
M’Hamed n’avait que 19 ans quand NADOR décéda. Il prit alors le relais de son maître comme par nature et animait les fêtes familiales avec un orchestre qui comptait Si Said LARBI, Omar BEBEO et Mustapha Oulid el Meddah comme musiciens. Dès l’âge de 20 ans et pendant 5 ans, il profita de l’enseignement de Si Ahmed Oulid LAKEHAL.
Les citadins d’alors, fidèles à la musique arabo-andalouse avec sa rigueur voyaient d’un mauvais œil la transgression de cet art par ce jeune du nom d’artiste M’hamed El Meddah de part ses nouvelles touches et sa façon particulière se jouer les « istikhbarates » ou préludes des « qasidates ». Ce qui lui a valu le sobriquet de M’hamed El HARRAS, le casseur en quelque sorte.
C’est en 1928 que M’hamed enregistre chez COLUMBIA Records plus de 27 oeuvres sur disques 78 tours, profitant des progrès du phonographe, contrairement aux « meddahines » de son époque et de quelques uns qui l’ont précédé. Sa participation à l’inauguration de Radio PTT, contribua à le propulser vers l’audience d’un grand public grâce à la Radio.
Si Saïd Larbi meurt en 1931 et le jeune M’hamed se retrouve maître des lieux et occupe la scène. Sa réputation grandit avec l’intégration du « mandole » mandoline à bras large donnant plus de timbre à la musique. Un nouvel art était né.
A trente ans, M’hamed devint HADJ après son pélèrinage à la Mecque. Dès son retour en 1937, il reprend ses tournées en Algérie et en France et renouvelle sa formation en intégrant Hadj Abderrahmane Guechoud, Kaddour Cherchalli (Abdelkader Bouheraoua décédé en 1968 à Alger) au banjo guitare,, Chabane Chaouch à la derbouka et Rachid Rebahi au tar en remplacement de cheikh Hadj Menouer qui créa son propre orchestre. El Hadj M’Hamed El Anka va être convié à diriger la première grande formation de musique populaire de Radio Alger à peine naissante et succédant à Radio PTT vers l’année 1946.
En 1955, il fait son entrée au Conservatoire municipal d’Alger en qualité de professeur chargé de l’enseignement du chaâbi.
Il animera des concerts particulièrement après l’indépendance. Parmi les plus mémorables citons celui du cinéma ATLAS avec la magistrale EL FRAK de Mohamed BENSMAIN et la soirée du théâtre d’ANNABA que dirigeait alors Sid Ahmed AGOUMI.
Les bonnes oreilles du « chaâbi » vous diront qu’une soirée privée vaut mieux que plusieurs concerts ou d’enregistrements en studio. Assister à une soirée familiale avec EL ANKA était pour nous un grand privilège.
El Hadj M’Hamed a été surnommé EL ANKA pour sa dimension artistique. Il planait comme un Phénix. Par la suite le titre de Cardinal lui a été attribué en raison de la belle gandoura noire qu’il arborait lors des soirées selon ma perception.
On lui attribue l’interprétation de plus de 360 poésies dont certaines seraient de sa composition telles qu’ « el mendoza », « el h’mame », « erfed sebbatek ou emchi » etc…
Nous déplorons à ce titre l’inexistence de documents pouvant témoigner de son œuvre grandiose. Les quelques enregistrements diffusés par la télévision nationale sont rares et ne peuvent étancher notre soif. Il en existe certainement d’autres. Les collectionneurs de supports sonores de soirées privées les gardent chichement mais sans en connaître la valeur.
Les témoignages aussi bien de sa famille et de ceux qui l’ont côtoyé ne livrent que des bribes trop sommaires.
En cultivant ce type d’attitude, El ANKA, créateur génial d’un genre de musique populaire qui a conquis tout un peuple et a franchi les frontières nationales, restera un artiste mythique et méconnu.
Cependant, un article publié dans EL WATAN du 17 décembre dernier sous le titre EL ANKA en 1939, un artiste suspect pour le colonialisme et signé par le respectable Amine DELAI nous apprend qu’ELANKA était partie intégrante de la plèbe. Grâce à lui, le « chaâbi » est sorti des cafés maures pour aller à la conquête des fêtes familiales. On apprend également que lors de son passage à vide de 1937 à 1946, El ANKA aurait exercé des métiers populaires tels que docker et marchand de poisson. Dans cet article est relatée la méfiance de l’occupant à son égard sur ses fiches de police tant le grand maître et le peuple modeste de la Casbah d’Alger ne faisaient qu’un.
Nous parlerons dans une prochaine chronique des « héritiers » supposés d’El HADJ M’HAMED et de leur perception du « chaâbi ».
Dr Rachid MESSAOUDI.
Image :
- Photographie d’ El HADJ M’HAMED EL ANKA en compagnie de son orchestre
2 commentaires
http://goutdemiel.net
– Les bardes du melhoun
– El Anka…
le maitre du chaabi reste le mozar