« hadha eccharab lah’ou aouani . Ma yadhou’kou men h’oua dja’hel. Illa men fah’ima el maâni oua yakoun fi el’hobbi wassal ». Ce breuvage a ses moments de dégustation. Ne peut l’apprécier l’ignorant ou alors ne le savoure que celui qui en comprend la maxime et a accédé à l’amour sublime. Bien que cette citation soit d’inspiration religieuse, il est aisé qu’elle trouve un sens dans l’appréhension de tout le chaâbi.
Ainsi s’exprime le poète pour cibler son public, pour réserver cet art à un cercle.
L’appréciation du chaâbi ne concerne en vérité qu’une mince frange d’initiés, issue de toutes catégories sociales, de niveaux intellectuels de plusieurs paliers et d’âges différents. Parmi les innombrables oreilles qui se mettent à l’écoute, seules certaines flirtent avec la vérité. Atteindre le summum de l’âme du chaâbi ne concerne qu’une élite qui se doit par ailleurs d’aller encore plus loin dans la curiosité et l’amour des mots et de la musique pour le privilège d’en effleurer une facette tant il est difficile d’en embrasser tous les contours.
Nous ne sommes malheureusement pas assez conscients de la richesse des textes, indélébiles par leur force depuis plusieurs siècles. Le piétinement de la poésie par certains chanteurs de bonne volonté enfle encore plus l’ignorance sans préjuger des a priori, coupables du rejet de la langue arabo berbère qui est la matrice même du melhoun.
La musique du chaâbi, adossée à la musique andalouse se fige parfois sur quelques mélodies nées de l’inspiration de pionniers comme EL HADJ M’HAMED EL ANKA ou de CHEIKH BRAHIMI sans exclusion de quelques autres chantres ignorés. Alors qu’elle recommande d’aller cueillir d’autres sons dans le champ étendu de la musique maghrébine ou de la musique moderne et ses fantaisies comme le fait le vénérable AMAR EZZAHI, nous n’avons droit qu’à quelques comptines ou quelques tours de pistes.
Admirable cependant est la résistance de cet art malgré ces insuffisances. Cela souligne l’intensité immense de ce patrimoine maintenu en éveil par la volonté d’une minorité d’artistes qui y ont investi leur vie affective à l’instar des croyants en toutes causes guidés par la lumière de leur foi.
Seul un voile mince sépare l’élégance de la vulgarité. Et comme il est facile de le déchirer. C’est pourquoi, le chaâbi qui offre beaucoup de liberté ne peut également tolérer les débordements pour le faire succomber dans un autre genre. Tout est question de touches personnelles du chanteur qui doit sentir et savoir que le public des initiés a une perception particulière de cet art.
Le doua’k est un sommelier qui peut médailler ce breuvage dont nous avons parlé plus haut. Il est différent du scientifique qui maîtrise la langue, la métrique poétique, le sens profond du texte sans toutefois qu’il apprécie les variations mélodieuses ni les empreintes du chanteur.
Ailleurs, il y a ces fanatiques conservateurs qui ferment à double tour les armoires où s’étiolent des enregistrements précieux et inédits. D’autres, en faux dévots, cultivent des mystères et entretiennent la sombre compréhension des textes. Ils alimentent la confusion de la classification des genres. Un poème qui parle d’un amour ou d’une sensibilité terrestre est monté au firmament du medh religieux. La sublimation de l’Islam est un grand volet du melhoun avec la beauté conséquente de sa poésie et de son vocabulaire spécifique. Même les non croyants ou les non pratiquants ne peuvent rester insensibles à l’écriture fouillée et truffée de clartés religieuses de poètes tels qu’ENNEDJAR, EL MAGHRAOUI ou encore KADOUR EL ALAMY et LARBI EL MEKNASSI…
A suivre
Dr R. M.
2 commentaires
Bravos
Ce fut un réel plaisir de lire ces morceaux de l’Histoire d’Alger et Algerois , et sur le Chaabi et la culture en general.Ces récits ont animés mes soirées.
Merci pour ces excellents moments de lecture .
Bravo et Felicitations