Curiosité oblige, une petite recherche sur le web nous mène vers la mythologie grecque. A l’époque pré-olympienne précisément. Ainsi, il « existait » non pas une mais trois Gorgones. Elles étaient très laides, généralement représentées la bouche grande ouverte et les cheveux en serpents entremêlés. Mais leurs représentations sont très variées et on les retrouve sur de nombreux monuments d’époque.
Dans L’Odyssée, Homère les évoque comme étant des monstres des Enfers. Hésiode affirme qu’elles sont les trois filles des divinités marines Phorcys et Céto ; et les identifie ainsi : Sthéno (la puissante), Euryale (grand domaine) et Méduse, la plus célèbre et la seule à être mortelle.
D’autres auteurs grecs leur donne des filiations différentes et situent leur demeure à l’extrême ouest du monde, du côté des Hespérides, selon Hésiode, chez les Hyperboréens, au nord, selon Pindare ou, le plus souvent, à l’ouest de la Libye.
Selon le mythe, leur regard figeait ceux qui voyaient leurs visages tant elles étaient laides.
Mais qu’en est-t-il de celle de l’antique Hippone ?
Pour en savoir plus, nous sommes allés à sa rencontre au Musée National des Antiquité, à Alger, où elle est exposée depuis son rapatriement de Tunis. Pour la voir, il faut aller à la salle des cultes païens. Mais difficile de la rater, elle fait face à l’entrée de la salle et au visiteur devant la réception.
Et d’abord, contrairement à l’idée qu’on peut avoir en regardant les photos dans la presse nationale, notre Gorgone est grande. Elle n’a pas la taille d’une tête, elle fait un bon mètre de hauteur. Elle est pour le moins impressionnante, et son poids dépassant les 300kg est assez visible, mais elle n’a aucun effet maléfique, les lecteurs peuvent en être rassurés !
Majestueusement posée sur un grand socle, couvert d’une étoffe noire, la Gorgone d’un marbre blanc encore éclatant malgré les siècles, s’observe quasiment en contre-plongée. La première sensation en s’approchant : l’envie de la toucher. Aux quelques éraflures visibles, on devine qu’elle a été malmenée durant son transport, certainement lors de son vol en 1996, du Forum d’Hippone.
Ses grands yeux mi-clos donnent l’impression qu’elle dort paisiblement. Ses cheveux, sans être des serpents entremêlés, y ressemblent beaucoup. Madame Ammar Fatiha, chef de service animation et conservateur au Musée nous raconte que la Gorgone a été transportée délicatement et que toutes les précautions ont été prises pour lui éviter des dommages. En d’autres termes, elle a été bien choyée ! Elle nous explique aussi qu’elle a été posée non loin de sa sœur Méduse qui est également dans la salle des cultes païens. Les sœurs se retrouvent. Et même s’il manque la troisième, on ne saura pas s’il s’agit de Sthéno ou d’Euryale. Par contre, une chose est sûre, le regard de Méduse est là pour veiller sur la sœur. « Quelque soit l’endroit où vous vous tenez, le regard de Méduse semble vous suivre, comme La Mona Lisa ! », nous précise Madame Ammar.
Pour sa datation, notre interlocutrice nous explique qu’elle a été sculptée entre le IIIème et le IVème siècle de notre ère. Les romains ayant repris et quelque peu remanié la mythologie grecque, ont gardé la Gorgone et son mythe. Le plus ancien géographe romain, Pomponius Mela, décrit la Gorgone comme étant dérivée du catoblépas, une bête monstrueuse vivant en AFrique qui ressemble à un buffle noir dont la tête est très lourde, doté d’une énorme crinière et dont le regard tourné vers le bas aurait le pouvoir de pétrifier ceux qu’il regarde. Cette description-la taille de la tête, le regard baissé…- ressemble beaucoup à notre Gorgone, sauf qu’elle n’a plus rien de laid. C’est que sa représentation s’est modifié avec le temps et a perdu son aspect grotesque et terrifiant.
La représentation de la tête d’une Gorgone était souvent placée sur les portes, les murailles, les armures et boucliers, les pierres tombales… pour éloigner la malchance et le mauvais esprit ou pour terrifier l’ennemi. Cette coutume rappelle étrangement les visages souvent grotesques apparaissant sur les boucliers des soldats chinois et utilisés aussi généralement comme protections contre le mauvais œil. Peut être qu’il nous faudra creuser de ce côté-là pour trouver l’origine d’une superstition qui semble vieille comme le temps dans nos contrées !?
En attendant, on ne se bouscule pas au Musée National des Antiquités pour voir le masque de la Gorgone. Il est bien dommage que la tradition des sorties scolaires dans ce genre de lieux ait presque disparue. Le masque, selon madame Ammar, est en dépôt au Musée, probablement pour un moment encore. L’Education devrait en profiter !
D’ailleurs, la Gorgone retrouvera-t-elle sa place à Annaba ? Notre interlocutrice l’ignore. Ce qui est sûr c’est que cette fois-ci, elle devra être sécurisée. De même que des mesures devraient être prises pour mieux sécuriser les sites archéologiques à travers le pays. Si le masque de la Gorgone a put être subtilisé avec autant de facilité une nuit de mars 1996 et traverser la frontière algéro-tunisienne sans être repéré, c’est qu’il y a une faille à colmater. Même si le contexte y était pour beaucoup, l’Algérie baignant alors dans la décennie noire, il est aujourd’hui clair, qu’il reste beaucoup à faire dans ce secteur.
Zineb Merzouk