Le 5 octobre 1988, entre culture populaire et imaginaire collectif

05 octobre 1988. Nulle autre date n’aura aussi profondément marqué l’histoire de l’Algérie indépendante. Le 19 juin 1965 ou redressement révolutionnaire ? Putsch militaire. Le 27 décembre 1978, date du décès de Houari Boumediene et son remplacement par Chadli Bendjedid ? Simple succession à la tête de l’Etat.

Le 05 octobre 1988 a ceci de particulier est qu’il inaugurait l’ère du peuple. Les Algériens entraient en scène. Ils n’étaient plus que des spectateurs dociles et mutiques, ils devenaient les acteurs de leur propre histoire.

Ce qui ne devait être qu’un « chahut de gamins » selon la formule consacrée, s’est révélé être un sincère et authentique cri de révolte. Le peuple a exprimé son ras le bol. Dans le bruit et la fureur. La répression fut terrible : plus de 500 victimes. D des milliers de cas de torture sont signalés. Leurs témoignages donneront lieu au cahier noir d’Octobre 1988. Mais plus rien ne sera comme avant. L’Algérie sur l’initiative du président Chadli se dote d’une nouvelle constitution. Multipartisme, pluralisme syndical, libertés d’association et de réunion, liberté d’expression y sont consacrés. La parenthèse démocratique fut de courte durée. La suite nous la connaissons tous. Tragédie nationale : Plus de 100 000 morts. 

Je ne suis pas un enfant d’octobre. J’avais 4 ans à l’époque. Je n’en garde presque aucun souvenir, sinon, celui très vague, de mon père parti s’informer chez mon oncle parce qu’il avait la parabole comme on disait à l’époque. Sur la chaîne publique, le silence est de mise. Pas d’images, pas de révolte. Difficile de ne pas faire le parallèle avec le black-out médiatique imposé au Hirak dès avril 2019. Deux époques, deux révoltes, mêmes méthodes. La dictature passe sous silence une réalité qui ne cadre pas avec son discours propagandaire. 

Aujourd’hui encore, nous disposons de peu d’images du 5 octobre. Quelques clichés par ci par là. Des vidéos prises en catimini par des correspondants étrangers. Des images aériennes filmées par les services de sécurité à bord d’un hélicoptère. Et puis voilà à peu près tout. Pour l’enfant de février que je suis, le contraste entre la profusion d’images du hirak et le mutisme d’octobre est saisissant. 

L’imaginaire populaire a dû faire avec cette iconoclastie originelle. Faire appel à ses seuls souvenirs pour figer le moment comme sur une photographie et en dégager quelques éléments saillants. On raconte que dans les rues d’Alger et des grandes villes du pays, des milliers de jeunes scandaient « Celui qui n’a pas de Stan Smith n’est pas un homme ». Bingo ! La culture pop s’est saisie de la chaussure de sport. Elle se l’appropriera et en fera un symbole. C’est ainsi que des caricaturistes comme le Hic ou Dilem ont associé les Stan Smith à octobre 88 dans plusieurs de leurs caricatures. El Moustache en fera de même dans une de ses œuvres célébrant le 30eanniversaire de l’événement. Un poing levé, symbolisant la révolte, fermé sur une Stan Smith derrière un 88.

Pourquoi les Stan Smith et pas autre chose ? Je présume que, la pénurie aidant, c’est tout ce qu’il y avait d’intéressant à prendre dans les étalages.

Nazim Baya

Illustration : Caricature du dessinateur Le Hic pour le journal El Watan parue le 4 octobre 2019

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