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L’amusnaw, ou la sagesse d’un juge 

villTout comme le griot en Afrique de l’ouest, qui chante les caractéristiques de sa société, exerçant aussi une fonction précise ou plusieurs à la fois, un poète en Kabylie jouit d’une autorité dans sa société par sa sagesse et son rôle de juge.  

 

Le titre d’amusnaw est attribué à un poète. Pourquoi ? Aussi sage que le griot, il représente dans la dynamique de l’oralité une voix, un sujet, un mouvement, une vie, exprimés dans un texte. Si son autorité résidait dans sa maitrise exceptionnelle du langage, il est celui qui doit être écouté quand il se met à parler. Il ne faudrait surtout pas le confondre à un meddah, à un conteur ou à un simple prédicateur. Dans la société kabyle, l’amusnaw est reconnu comme un homme sage, il est un porte-parole, un tribun qui transmet le savoir de bouche à oreille. C’est un homme d’honneur qui véhicule une sagesse tel un art, il accomplit en tant que tel un devoir qui est bien sollicité. 

Dans ce sens, le poète Mohand Ou Lhocine (XIXe siècle, membre des Ait Yahia à Aïn Hammam) a prôné le courage et la résistance, il doit sa réputation à sa grande culture, ses connaissances et à la propagation de la pensée dans une société confrontée à l’occupation coloniale. Tout comme ses pairs, sa parole renvoie à une hiérarchie de valeurs. Savant et sage en même temps, sa position est la plus élevée dans l’échelle sociale. Elle se situe au-delà de celle du poète qui est, lui, tout simplement l’auteur du texte – asefrou –, l’artiste du verbe dans la langue populaire.  

 

Le médiateur 

Un amusnaw n’est pas forcément un auteur, c’est-à-dire celui qui compose des textes poétiques. Il peut être, en revanche, porteur d’un discours en prose. Youcef OuKaci (né dans les années 1680, membre des Aït Jennad) a parcouru, lui, la Kabylie, portant son regard de témoin sur les droits coutumiers, le code de l’honneur, l’identité et la guerre tribale. Respecté comme amusnaw, il aura à faire le médiateur dans divers conflits, permettant de mettre fin à celui qui oppose sa propre tribu à celle des Aït Yenni. Car un amusnaw bénéficie d’une large audience auprès de la population, il peut être appelé à exercer une fonction de juge.

D’après le regretté Mouloud Mammeri, lui-même élevé au rang d’amusnaw, Youssef OuKaci peut être considéré « comme le représentant typique de la poésie d’un âge : celui qui a précédé l’occupation de la Kabylie par les troupes françaises au milieu du XIXe siècle. Il n’est pas lettré ; la poésie chez lui est un don […]. Ses tables des valeurs, ses connaissances sont celles des hommes communs de son temps ». La mémoire collective retient encore ses compositions. Il en est de même pour ceux de Si Mohand Ou M’Hand Ath Hammadouche (1845-1906, membre des Aït Irathen). Ce poète de l’errance incarne, lui aussi, une tradition de résistance à l’administration coloniale. Il n’a de cesse de s’indigner contre la perte des valeurs et des bouleversements qui affectent son peuple. Il est lui aussi le dépositaire de la mémoire.  

 

Mohamed Redouane  

 

Sources 

  1. Dialogue sur la poésie orale en Kabylie/Mouloud Mammeri-Pierre Bourdieu : Actes de la Recherche en sciences sociales (1978).  
  2. L’art de dire sans dire en Kabylie par Tassadit Yacine : Cahiers de littérature orale (2011).  
  3. Une tradition de résistance et de lutte : la poésie berbère kabyleun parcours poétique par Salem Chaker : Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (1989).  
  4. Illustration : Waldemar Todé, scène de village en Kabylie, huile sur toile 65x81cm, collection privée

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