‘’ Sidi Flih Aâtitek MAGHROUF Sehih, Attini Radjel M’lih ’’
Tout en répétant trois fois son incantation comme le veut l’usage, la jeune fille noue un morceau de tissu de sa couleur préférée, après l’avoir embrassé pour l’imprégner de son souffle, au-dessus de la tombe du Saint Homme. Lorsque ses vœux auront été réalisés, elle reviendra pour le dénouer; et pour le remercier d’avoir été exaucée, elle devra faire des offrandes aux plus démunis.
Souriante et comblée, elle se mêlera au groupe de nombreuses femmes qui sont venues réclamer pour elles ou pour leurs filles, le mari bon et juste, que chacune attend sans jamais céder au moindre découragement.
A celles qui viennent enfin dénouer leur mouchoir ou leur foulard pendant que fusent les rires de gaieté et des youyous harmonieusement timbrés, on adresse avec un enthousiasme délirant, des félicitations qui dissimulent à peine quelques secrètes envies.
Dans ce paisible sanctuaire de Sidi Abderrahmane Tâalibi, qui rassemble tant d’hommes vénérables, tel que Sidi Mansour ou Sidi Ouali Dada, c’est de toute évidence, sur Sidi Flih que repose le ferme espoir des jeunes filles à marier ou celui des victimes de l’adversité : les inconsolables veuves et les malheureuses divorcées en quête du nouvel époux, pour illuminer leur sombre existence.
Je sais par mère, qui le tient elle-même de sa grand-mère, qu’à une époque bien lointaine vivait dans la basse Casbah un homme d’une grande piété. Apôtre jouissant d’un vaste savoir, il enseignait le Saint Coran aux enfants ; sage, réputé pour sa compréhension, il prodiguait ses conseils à qui le sollicitait ; source de bénédictions célestes, les formules qu’il rédigeaient apaisaient les esprits les plus troubles et les âmes les plus angoissées. Cet homme vertueux et irréprochable s’appelait Sidi Mohamed Ben Merouane, qui sera père de Sidi Flih.
On raconte qu’il vivait avec son épouse Naima et sa mère Lala Taouès dans une maison, une Douéra située non loin de Sabbat El Hout (voûte aux poissons ) et de Kâa-Essour (la base du rempart.) Cette Douéra ressemblait à la plupart de celles de la Casbah, elle était dotée d’un patio, (Wast’dar), était entourée de six colonnes en tuf, et se composait de deux chambres (biouttes) l’une occupée par le couple et l’autre par la vielle mère .
Dans un semblant d’étage supérieur, se trouvait une pièce de petites dimensions (Bertouz) qui servait à entreposer les couvertures et le linge, on y accédait par un étroit escalier en colimaçon au menzeh, c’était en l’occurrence une pièce donnant sur la terrasse.
Dieu seul, grâce lui soit rendue, décide de parfaire les choses.
En effet, à la quiétude du bonheur de la petite famille, il manquait quelque chose. Et, bien précieuse celle-là, à qui sait la mesurer à sa juste valeur. Que dire ? Après bien des années de vie commune, aucun enfant n’est venu égayer la maisonnée, et Sidi Mohammed Benmerouane en était douloureusement affecté.
Néanmoins, cette douleur, domptée, apprivoisée, car triomphait d’elle la résignation à la volonté divine et l’acceptation des arrêts du destin.
N’est-il pas dit et prescrit que tout est dans la main de Dieu ? Et, n’est-il pas écrit dans le Saint Livre que ne désespèrent du Seigneur que les gens de l’impiété ? Préserve notre esprit et notre âme, Seigneur des Hommes et des Anges, des noires pensées !
Ô miracle ! Voilà qu’un jour Naima sentit la vie se manifester au fond de ses entrailles. Quel prodige ! C’était bien une petite merveille d’existence qui faisait frémir ses tendres chairs ! le couple et Lalla Taouès étaient submergés de bonheur, si bien que plus tard, à sa naissance, il prénommèrent le petit garçon ‘’ FLIH ‘’ inspiré par le verbe ‘’ yeflah ‘’qui signifie en substance ‘’ réussir tout ce qu’on entreprend ‘’, comme pour susciter en sa faveur les forces positives de l’avenir ….
A suivre…
Illustration : Peinture d’un chef arabe allongé sur un tapis, E. Delacroix, XIXe
B. Babaci
écrivain chercheur en histoire