Toute une mythologie est tissée autour de l’eau et de la neige à Tlemcen qui, d’ailleurs, tire son nom de «thala m’sen» qui signifie en berbère «fontaine à deux sources».
La légende de l’eau à Tlemcen racontée par Foudil Benabadji, écrivain, vice-président des «Amis de Tlemcen», illustre bien cette étymologie hydrique.
Un malheur s’abat sur le pays (bled) : El Ourit, El Mefrouch, Mouillah Boukiou, saquiet el nosrani, sahridj bedda…sont à sec. «Il faut que l’eau revienne à Tlemcen. J’irai la chercher».
C’est le défi que se lança le Prince qui vainquit «El Ghoul»,l’ogre malfaisant. L’eau se mit à jaillir des fontaines, telles des perles de cristal… Les sources ressuscitèrent telles Aïn el Ouzir, Aïn bent Soltane, Aïn Keubba, Aïn Tolba, Aïn el Hout, Aïn el Hdjel, Aïn el Modj-arra (El Mouhadjir), Aïn Djnan, Aïn Sidi Ahmed, Aïn Attar… Les chants «haoufi» résonnaient à nouveau dans la ville. Et c’est depuis ce temps-là que notre bonne ville avait pris le nom de «Tilimcène» qui signifie «sources» en berbère, dira le conteur…
Loin de la légende, les Tlemceniens avaient coutume, lorsque le manque de pluie compromettait la récolte ou les pâturages au printemps, d’organiser des rogations pour demander la pluie («tol el latif»); ils faisaient surtout des visites aux principaux saints protecteurs de la ville, à savoir Sidi Daoudi, Sidi Boumediene, Sidi Abdelkader, Lalla Setti, Sidi Boudjemaâ… et leurs adressaient des invocations.
Parallèlement,ils accomplissaient à cet effet au niveau des «mçalla» à Mansoura, Ouzidane, «çalat el istisqa’» (prière surérogatoire collective en plein air pour invoquer la pluie).
Pendant ce temps, les enfants ne restaient pas inactifs. Ils parcouraient les rues en promenant une poupée de chiffon ou un épouvantail (deux roseaux croisées recouverts d’une vieille robe usagée) nommée «Ghanja» et chantaient :«Ghanja, Ghanja, natalbouk r’ja, ya rabbi aâtina ch’ta…» (Ghanja, Ghanja, comble l’espérance ! O mon Dieu, donnez-nous la pluie ! Et vous, grelots, carillonnez pour que vive la pauvresse sans mari). Ils allaient frapper aux portes des maisons pour qu’on les arrose d’eau en guise de bon présage.
Celle qui a le teint blanc est la signification de «Ghanja» qui serait la berbérisation du mot Ganus ou encore Janus, soit une étymologie païenne. Par glissement sémantique «arabisé», ghanja signifiait chanson, voire poésie chantée, en référence à la racine arabe «ghnâ» (chant)…
On chantait aussi «Ya ch’ta sabi sabi, m’a t’sabich aliya, hata dji hamou khouya, ghatini ba’ zarbiya»… (ô pluie, tombe, tombe mais ne me trempe pas, jusqu’à ce que vienne mon frère Hamou pour me couvrir avec un tapis).
On célébrait «sous» l’arc-en-ciel «O’urs dib» (le mariage du renard) quand survenait une concomitance de pluie et de soleil avec :
«chrika djat Allah, Allah, f’dila djat, Allah, Allah !» (la concubine arrive, la favorite arrive), allusion au couple pluie/soleil. Lorsqu’il faisait mauvais temps et pour conjurer le mauvais sort météorologique, les vieilles femmes, tout en cardant ou «égrenant » la «m’qatfa», récitaient pour la circonstance une complainte mystique : «Ghitna, ghitna ya latif bi khal’qihi, ida nazala el qada’ yaatba’ou loutfou» (ô mon Dieu, apporte Ton secours, Toi qui es Tempérant envers Tes créatures, atténue la fatalité avec Ta tempérance).
Autrefois, lorsque le cycle des saisons était régulier et le climat indemne de touteffet de serre, on vivait l’hiver, en l’occurrence, avec sa météo intrinsèque et ses rites culturels.
Allal Bekkaï
- Illustration : HOTEL TRANSAT ( actuellement ZIANIDES )