Ils se targuent d’aimer le châabi, pleurent son recul, déplorent que personne ne s’y intéresse, crient à qui veut les entendre qu’ils se battent pour lui redonner sa place. Mais ils restent dans leur tour d’ivoire, pensant détenir tous les leviers et décrétant que tel ou tel chanteur par la loi du milieu ou par simple héritage est digne d’être reconnu.
Aucun apport pédagogique ne jaillit de ces cercles fermés regroupant des chanteurs aux mines renfermées et au ton aigre donnant l’image d’une école de “redjla” même s’ils pensent, à juste titre, que le châabi est une école d’éducation. Pour les profanes, il se dégage une image sectaire et amère de ce pan sans bornes de notre chanson qui tarde à être populaire. L’appréhension d’avouer que c’est un genre qui plaît laisse timorés beaucoup de gens lettrés et amoureux de la culture de leur pays. Ceux-là se disent qu’il est nécessaire d’avoir un profil particulier pour y accéder.
Quelle débauche que ces retraits forcés de la scène de la culture de la part de personnes férues de langue arabe et curieuses de découvrir ce qui leur appartient en premier chef. Les regards et les appétits musicaux se jettent dans d’autres mondes tels que la musique orientale ou européenne de bas de portée. Bien sûr qu’il faut s’ouvrir à d’autres horizons mais la priorité va à ce qui est dans nos racines. Il est honteux de voir des gens se trémousser sous les airs d’une touchia ou de taper des mains sur un bourdjila. C’est ainsi qu’on devient étranger à soi et dévoyé. La curiosité qui est un chemin de la connaissance se trouve déviée de son tracé originel.
On a souvent entendu dire qu’on ne pouvait écouter tel chanteur châabi parce qu’il avale les mots. On ne retient d’une qacida qu’un mot ou un vers le plus souvent tangent et inexact pour se donner l’illusion qu’on en a saisi le sens. Un chanteur qui ne fouille pas dans les textes qu’il transmet depuis des années ressemble à un menuisier qui ne connaît pas la qualité du bois qu’il travaille, à un chirurgien qui n’a pas eu vent des nouvelles techniques, à un architecte qui ignore les matériaux modernes… Percevoir le sens profond d’un texte ouvre le talent à plus de fantaisie, plus d’engagement et de saveur à le produire. Jusqu’à quand resterons- nous à opiner de la tête pour ces pseudo-connaisseurs qui, vautrés sur des fauteuils rococo sur un plateau de télévision, livrent avec parcimonie les quelques anecdotes sur un cheikh qui aurait eu toutes les qualités humaines et artistiques.
Dans un discours infantilisant ils parlent de tel maître avec un éloge démesuré sans pour autant dire ce qu’il a concrètement donné de sa personne pour l’art et uniquement pour l’art. Le châabi comme tout autre volet d’expression artistique mérite un débat autour de compétences et de passionnés pour lui donner l‘émergence, la saillie dans un monde d’à-peu-près. Nous devons dévoiler nos insuffisances pour les combler et Dieu merci il y a tant de gens avertis en ce domaine que l’avenir ne devrait pas être aussi sombre. Sortir d’une léthargie coupable, prendre conscience que l’immobilisme conduit inexorablement à la dévitalisation seraient nos nouveaux credo.
On se doit de remercier ces linguistes et autres animateurs de radio et de télé pour leurs efforts. Je citerai Ahmed Amine Delai, Bouzama, Bendaâmache, Bouadjadj avec mon grand pardon pour ceux que j’oublie. Dans ma prochaine contribution, je mettrai à la portée des passionnés du chaâbi, des pièces traduites en français de divers poètes pour démystifier des textes jugés trop savants. Ainsi sauront nous ce qu’est ‘Goumriet Lebroudj », Ezzine El Fassi » et tant d’autres qasidates..
Dr Rachid MESSAOUDI
3 commentaires
Bonjour, apres quelques lectures de vos merveilleux articles je tenais à vous féliciter de votre superbe travail. Merci de nous véhiculer tout cela au travers de votre site et merci à la personne dévouée que vous etes!
Ce qu’on appelle communément Chaâbi est le genre musical algérois basé principalement sur les textes du melhoun marocain. Le contenu des textes du melhoun n’est pas de ce temps (anachronique) et ne reflète aucunement les événements socio-historiques qu’a connus l’algérie. Les plus grands noms du chaâbi ne sont ni plus ni moins que de simples interprètes qui vivent de l’animation des fêtes familiales. Malheureusement ils ne font que tourner en rond et ce depuis les années soixante-dix. Ce qu’ils continuent d’interpréter n’est pas Algériens au sens propre et figuré. Il est navrant d’écouter des vieilles rengaines qui n’en finissent pas, des airs qui se répètent inlassablement, des istikhbars qui s’ exécutent de la même manière sans bien sûr oublier de parler de tous ces « éternels élèves » d’El Anka septuagénaires pour la plupart. Le Chaâbi doit impérativement évoluer si on ne veut pas le voir relégué au rang de musique folklorique. Lire un q’cid et le situer dans son temps est une chose mais vouloir le mettre en musique pour l’interpréter en est une autre car les gens oublient qu’on est au 21ème siècle. Moi, personnellement c’est à travers le Chaâbi de Dahmane El Harrachi que j’ai aimé la musique Algéroise.
Tellement passionné de proposer un argumentaire hiérarchisant encore la richesse des cultures sans source et sans approfondissement. Vous devez sûrement être du genre de ceux qui postent le même type de commentaires sur un article lié au kaftan, puis ceux liés au thé, à la politique et au raï !
bravo pour vos contributions !