Selon le témoignage de Lakhdar Rebbah, c’est au cours d’une réunion tenue en juin 1955 chez lui, au septième étage de la grande cité Hélène-Boucher face au stade du 20 août des Annassers, regroupant Krim Belkacem, Benyoucef Benkhedda, Bouda et Amara Rachid, qu’Abane Ramdane exprime la nécessité d’un hymne de combat pour le FLN. Il demande donc que les poètes de toutes les régions soient contactés pour ce faire.
Au lendemain de cette réunion, en remontant la rue d’Isly (actuellement la rue Ben M’hidi), Rebbah et Benkhedda rencontrent Moufdi Zakaria par hasard. Autour d’un café, ils lui font part de la demande d’Abane. Mais le poète réagit mal, car peu de temps auparavant, la communauté mozabite avait fait l’objet d’une série d’agressions que la rumeur avait attribuées à des messalistes. Et une fois le malentendu levé, le poète accepte la proposition et leur donne rendez-vous le lendemain à 9 heures dans un local dont il dispose, à l’actuel numéro 2 de la rue Boualem Rahal, non loin de la mosquée Ketchaoua.
Moufdi Zakaria compose ainsi une première mouture en une nuit. D’autres sources affirment que le texte a été rédigé par le poète en prison le 25 avril 1955. La revue El Rassed, l’organe central du Centre national des études et des recherches sur le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954, publie le texte de Kassaman et précise « poème de Moufdi Zakaria, composition de Mohamed Fawzi, rédaction : prison de Barberousse, cellule 69, Alger le 25 avril 1955 ». D’autres sources affirment encore qu’il s’agit de la reprise d’un texte écrit entre 1936 et 1939.
Quoi qu’il en soit, le poème proposé à Abane Ramdane reçoit tout de suite son approbation : « Ne cherchez plus, nous avons là notre hymne national ! ». Kassaman est né, reste à mettre le texte en musique.
La tâche est d’abord confiée à Mohamed Touri qui sollicite des jeunes choristes. L’enregistrement est fait par Abderrahmane Laghouati, mais Abane ne trouve pas l’épreuve convaincante. L’essai fait à Tunis avec une chorale de jeunes étudiants mozabites n’emporte pas non plus d’adhésion. Le troisième enregistrement fait par l’artiste tunisien Mohamed Triki avec l’aide d’Omar Edakhlaoui, un avocat défenseur du FLN, sera tout aussi peu convaincant. Le texte arrive enfin au Caire, plus précisément à la radio Sawt El Arab (la voix des Arabes). Et c’est Mohamed Fawzi qui remportera enfin l’épreuve de la composition. Cependant, le texte de Kassaman subit deux modifications : le deuxième vers du premier couplet « Par les flots de sang jaillissant » devient « Par les flots de sang pur et sans tache » ; le dernier vers de chacun des quatre couplets « Et nous avons juré de mourir pour que vive l’Algérie » devient « Et nous avons décidé que vive l’Algérie ».
L’hymne est joué pour la première fois en 1957. Reconduit comme hymne national en 1962, au lendemain de l’indépendance, il devient provisoire dans l’article 75 des dispositions transitoires de la Constitution de 1963. « Provisoirement, l’hymne national est Kassaman. Une loi non constitutionnelle déterminera ultérieurement l’hymne national », précise le texte. Pourtant, aucun autre chant n’est venu le remplacer par la suite et jusqu’à ce jour. Mais dans les années 1980, une polémique s’engage sur la longueur du texte et l’éventualité de le raccourcir. L’APN décidera en 1987 de le garder en entier.
Il faut tout de même préciser qu’à l’époque du président Chadli Bendjedid, le couplet qui s’adresse à la France : « Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il faut rendre des comptes ! Prépare-toi ! Voici notre réponse ! Le verdict, notre Révolution le rendra » sera mis de côté tout au long de son mandat. Il ne sera rétabli que durant les années 1990, à l’époque de Liamine Zeroual.
Chacune des cinq strophes composant Kassaman, représente une des cinq Wilayas historiques, en l’occurrence l’Aurès, le Nord-Constantinois, la Kabylie, l’Algérois et l’Oranie (La sixième Wilaya, le Sud, n’a été ajoutée qu’après le Congrès de la Soummam, organisé le 20 août 1955).
C’est ainsi que ces cinq Wilayas historiques sont représentées par les cinq coups de tambour précédant le début de l’hymne national.
Z.M
Sources :
- Article de Zineb Merzouk, paru dans El Watan du 01 – 11 – 2004 (actualisé et complété)
- Témoignage de Lakhdar Rebbah recueillis peu de temps avant sa mort par Ahmed Ounouh et publié dans un numéro spécial d’El Moudjahid, le 1er novembre 1989.
- « Que connaissez-vous de Kassaman? Les jeunes Algériens face à l’hymne national », par Hakim Kateb, publié dans L’Expression le 18 – 11 – 2007
- Illustration : photographie de Moufdi Zakaria