Juliette, l’énigmatique chrétienne de la smala de l’émir Abdelkader

Il y’a un aspect méconnu de la personnalité de l’Emir Abdelkader et il s’agit de son attitude envers les femmes. Philosophe, génie militaire mais aussi poète, il leur dédie des poèmes d’amour emprunt de nationalisme et ou le libre consentement est le maitre mot : « Si tu veux demeurer avec moi sans avoir à revendiquer tes droits, j’en serai heureux. Mais si tu persistes à réclamer ton dû d’épouse, la décision finale t’appartient car je viens d’accepter une lourde charge qui l’éloignera de tes faveurs ».

Cette vision jalonnera ses relations tout au long de sa vie et lorsque les femmes étaient victimes de la guerre et se faisaient prisonnières, cette situation affectait énormément l’émir Abdelkader « La répugnance d’Abd el-Kader à voir des femmes prisonnières était extrême » écrit Charles Henry CHURCHILL dans son ouvrage « La vie de l’Emir » Son comportement avec les femmes : mère, épouse, prisonnière de guerre restera tout au long de sa vie fidèle à la tradition musulmane.
Une femme chrétienne laissera son nom à la postérité pour témoigner de la bienveillance de l’Emir à l’égard des femmes mais aussi de sa considération. Elle s’appelle Juliette, et elle a 13 ou 16 ans lorsqu’elle arriva chez l’Emir, Abdelkader qu’elle ne quittera plus jamais, pas même après sa capture.

Quel rôle occupaient les femmes au sein de la Smala de l’Émir Abdelkader ?

Portrait de l’émir- 1845

L’Émir Abdelkader, figure politique et militaire emblématique, a mené une résistance acharnée contre la colonisation française en Algérie durant quinze ans (1832-1847). Considéré comme le père fondateur de l’État algérien moderne, il s’est également distingué comme écrivain, poète, philosophe et théologien soufi.

Pourchassé de toute part dès 1839, année ou les français déclarent officiellement la guerre à l’émir et ne disposant plus d’aucune place forte, Abdelkader en génie de la guerre s’était constitué une capitale ambulante « la smala ». Un rassemblement gigantesque d’environ 30 000 personnes comprenant son administration, son trésor, des tribus chassées de leurs territoires et venues se placer sous sa protection, des contingents de cavaliers et de fantassins qui forment comme sa garde, 6 à 7.000 guerriers, ainsi que sa propre famille. Grace à sa mobilité, cette capitale ambulante a longtemps demeurée insaisissable aux français jusqu’en 1843.

Dans l’enceinte centrale de la fourmilière qu’était la smala, se dressait la tente de l’émir où se tenait sa famille, parmi laquelle des femmes qui ont joué un rôle important dans la vie de cette capitale mobile. Sous la tente de l’Emir, il y avait bien sûr Lalla Zohra, la mère, femme savante et pieuse qui a joué un rôle prépondérant dans la vie de son quatrième fils Abdelkader. L’histoire a aussi retenu de Lalla Zohra, sa grande charité envers les prisonniers. L’Emir en avait eu depuis 1833 et lorsqu’il y avait des femmes, c’était toujours Lalla Zohra en compagnie de l’épouse de l’Emir, qui les prenait en charge, pour rendre leur séjour moins rude et protéger leur honneur en ce temps de violence .

Lalla Zohra assistait les prisonniers, car elle incarnait les valeurs et l’éducation qu’Abdelkader avait puisées tout au long de sa vie : « chaque matin, les prisonnières se rendent auprès de la mère de l’émir pour recevoir une ration de galette, d’huile, de beurre et de viande destinée à leur repas […] lorsqu’une de ces malheureuses est malade, la veuve de Mahieddine leur envoie aussitôt du sucre, du thé et du café et tout ce qui peux être utile et salutaire »
Parmi ces femmes, il y avait une jeune fille originaire des Bouches-du-Rhône recueillie par l’émir à l’âge de 13 ou 16 ans. Celle que l’on surnommera la chrétienne de la smala n’était pas prisonnière mais elle n’a jamais voulu quitter l’Emir même lors de sa séquestration à Fort Lamalgue.

Qui est Juliette, la chrétienne de la smala ?

Manudji , un contrebandier corse, fournissait l’Emir en armes et poudre. Cet homme sans foi ni loi , qui avait des comptoirs à Médéa , Ténès, Tagdempt …..Voyageait toujours avec sa suite, deux espagnoles ramassées à Cadix, Raphaël, un enfant recueilli à Gibraltar et une jeune fille du nom de Juliette en compagnie de sa mère et originaires d’Arles. Lassé de son errance, il décida de s’établir à Miliana sous la protection de la garnison française mais c’était sans compter sur les hommes de l’Emir qui le capture sur le chemin, le tue et recueillent la suite du scélérat à la Smala.


Juliette était dotée de l’éloquence, de la beauté et de l’élégance qui faisaient la renommée des plus belles jeunes femmes d’Arles. À l’époque, elle avait seize ans et portait une simple robe en coton blanc, cintrée à la taille par un cordon de laine rouge. Ses jambes étaient découvertes et ses pieds délicats étaient recouverts de babouches jaunes..  Afin de la protéger, L’Emir qui avait déjà trouvé époux pour les deux belles espagnoles, la donna en mariage à son frère de lait Ahmed Mbarek.

Juliette vécut aux côtés de l’Émir, qui la chérissait comme sa propre fille, et de sa famille jusqu’à la capture de la Smala. Les autorités françaises, croyant qu’elles étaient des prisonnières, les libérèrent. Cependant, Juliette, ayant appris des expériences de sa mère, choisit de rester au Fort Lamalgue, aux côtés de son mari et de « l’Emir qui la nourrira et la fera respecter, car il l’aime comme si elle était sa fille, plutôt que d’aller ramasser…dans la débauche des carrefours, un peu d’or pour ne pas mourir de faim. « 

Famille de l’émir en 1853 – Fort Lamalgue

Juliette et les autres femmes qui ont accompagné l’Émir ont indéniablement montré une grande fidélité envers lui. En retour, elles ont bénéficié de son respect et ses égards. Abdelkader a toujours reconnu le rôle capital des femmes au sein de la Résistance : « C’est grâce à elles que le grain est moulu, que les tenues sont cousues, que les malades et les blessés sont soignés. Elles prennent en charge la tâche de nourrir, d’élever et d’éduquer les enfants, même en pleine tourmente des combats. Elles endurent vaillamment les duretés du froid glacial et la brûlure du Sirocco en été. Elles souffrent et agissent comme les hommes lors des invasions de nos camps et de nos villages, mais surtout, elles nous accueillent à bras ouverts, sans un soupir, avec une résilience stoïque. »

Pour l’Émir, les femmes représentent l’essence même de la Nation et sont le socle fondamental de la société, sans lequel rien ne pourrait fonctionner.

Rym Maiz

Sources :

L’image de la femme chez l’Emir Abdelkader de Lakhdar Zain, Hajar

Dimensions spirituelles des portraits d’Abd el-Kader par deux artistes arabes contemporains : Hocine Ziani et Ismaël Kachtihi del Moral

Charles-Henry Churchill : « La vie d’Abd El-Kader ». Editions. ANEP, 2011

Mahfoud Kaddache : « L’Algérie des Algériens. De la Préhistoire à 1954 ». Paris Méditerranée/EDIF 2000, mars 2003.

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