Le Sultanat de Touggourt, existant de 1414 à 1881, englobait Touggourt, les oasis voisines, et la vallée de l’oued Righ. Ce territoire était dirigé par les sultans berbères de la dynastie des Beni Djellab, qui contrôlaient les différents ksour de la région.
Parmi les figures marquantes de cette époque, certaines femmes se distinguent, non pas uniquement en tant que guerrières, mais aussi en tant que dirigeantes.. En effet dans la liste des sultans de Touggourt vous pouvez trouver le nom de Aïcha, qui a régné de 1833 à 1840.
Qui est cette femme et comment a-t-elle fait pour accéder au pouvoir ?
Notre histoire met en scène les rivalités entre deux princes, l’un régnant sur Touggourt et l’autre sur Témacine, deux localités proches l’une de l’autre. Bien qu’ils soient liés par le sang, ces cousins nourrissaient une animosité profonde l’un envers l’autre. En dépit de cette haine, ils maintenaient en apparence des relations cordiales pour éviter un conflit ouvert. Cependant, chacun guettait la moindre occasion de porter atteinte à l’autre en secret. Le fragile équilibre entre eux s’effondra lorsque le prince de Touggourt, tombé amoureux de la fille de son cousin, Aichounèche, commis l’irréparable…
Pour l’amour d’une princesse
Un jour, le prince de Touggourt, animé par des soupçons, se rend discrètement à Témacine pour observer son cousin. Pendant qu’il arpente les ruelles, accompagné de quelques fidèles, son attention est soudainement attirée par une jeune femme escortée par deux autres demoiselles. Un voile ornait sa tête, laissant entrevoir un visage d’une beauté envoûtante qui fascina immédiatement le prince. Après avoir mené quelques enquêtes, il découvre que cette jeune femme n’est autre que la princesse Aichounèche, la fille de son cousin et rival. Bien qu’il retourne à Touggourt, son esprit reste obsédé par cette rencontre. Après mûre réflexion, il convoque son conseil pour proposer l’idée d’un mariage avec la princesse de Témacine, expliquant que cette union pourrait apaiser les tensions entre leurs royaumes. Il décide alors d’envoyer des émissaires à son cousin, chargés de riches présents. Quelques jours plus tard, les émissaires reviennent à Touggourt, ramenant les mêmes présents. Son cousin refuse catégoriquement de lui accorder la main de sa fille. Fou de rage face à cet affront, le prince de Touggourt jure de se venger de cette humiliation.
Le prince, brûlant de colère, envisageait de lever son armée pour dévaster Témacine et s’emparer de la belle Aïchounèche. Toutefois, ses conseillers lui suggérèrent une approche moins coûteuse en vies et en ressources : enlever la princesse en plein cœur de la nuit. Quelques jours plus tard, le prince de Touggourt rassembla ses hommes les plus fidèles et, sous le couvert de la nuit, se dirigea en secret vers Témacine. L’attaque fut fulgurante, prenant de court les gardes du palais, qui furent rapidement neutralisés. Le prince de Touggourt s’éclipsa ensuite avec sa bien-aimée, sans rencontrer de réelle résistance.
Le feu de la passion
Sous l’emprise de son amour pour Aïchounèche, le prince de Touggourt la couvre de présents somptueux et la demande en mariage. Cependant, la princesse reste ferme : elle refuse toute union sans l’approbation et le pardon de son père. Aucune autre solution ne pourrait la satisfaire. Pour la conquérir, le prince accepte de se plier à sa volonté et envoie des messagers auprès de son cousin. Mais le prince de Témacine, blessé dans son honneur, refuse catégoriquement de pardonner tant que sa fille demeure captive.
Les semaines s’écoulent, et Aïchounèche persiste dans son refus d’épouser le prince. Une énième délégation est dépêchée à Témacine pour tenter de trouver une solution. Après mûre réflexion, le prince de Témacine consent finalement à accepter le mariage, mais pose une condition insolite : il souhaite rendre visite à sa fille, qu’il n’a pas vue depuis longtemps, mais exige que le prince de Touggourt évacue une partie de sa ville pour lui permettre de séjourner en toute liberté. Il suggère de diviser le ksar en deux pour satisfaire cette demande. Les émissaires s’en allèrent transmettre la nouvelle à leur maitre qui trouva cette requête bien étrange… Mais pour l’amour de Aichounèche, il finit par céder aux volontés de son cousin et se prépara à le recevoir avec les honneurs dû à son rang.
Père et fille
Aïchounèche, soulagée par l’accord de son père, demande au prince de céder à ce dernier la partie du ksar où elle réside. Le prince, cependant, refuse, expliquant que cette section abrite sa poudrière. Néanmoins, impatient d’épouser Aïchounèche, il décide de céder l’autre partie du ksar à son rival sans trop y réfléchir. Aïchounèche, usant de ruse, demande alors au prince de se retirer pour qu’elle puisse préparer un couscous pour son père et ses hommes, affirmant que son père n’apprécie que le couscous qu’elle roule elle-même. Le prince, désireux de gagner la faveur de son futur beau-père, accepte sans hésitation. Ainsi, Aïchounèche commence à préparer de grandes quantités de couscous, qu’elle envoie chaque matin à son père et ses hommes en attendant leur arrivée au palais. Mais le prince, méfiant, fait vérifier les premiers paniers envoyés par Aïchounèche. N’y trouvant que du couscous, il finit par relâcher sa vigilance. Une fois la confiance du prince gagnée, Aïchounèche met son plan en action : elle commence à remplir la moitié des paniers de poudre à fusil, recouvrant soigneusement le tout d’une couche de couscous. Peu à peu, elle vide ainsi la poudrière du prince. Le jour où elle juge son plan prêt, Aïchounèche envoie un messager à son père, l’informant qu’il est temps de venir à Touggourt. Pendant ce temps, le prince, impatient et agacé par la lenteur du processus, interroge la princesse sur la fin des envois. Aïchounèche lui assure que tout sera terminé ce jour-même. Sans attendre, le prince écrit à son cousin, l’invitant à venir rendre visite à sa fille.
Trahison
Satisfait et confiant, le prince de Touggourt se retire dans ses appartements, s’abandonnant à ses rêveries avant de sombrer dans un profond sommeil. Pendant ce temps, Aïchounèche, en proie à l’attente, reste éveillée à sa fenêtre, scrutant l’horizon pour guetter l’arrivée de son père. À l’aube, le prince de Témacine et son armée pénètrent discrètement dans la ville et se dirigent sans tarder vers le palais. L’alerte est immédiatement donnée, et le prince est réveillé en urgence, ordonnant à ses troupes de se préparer au combat. Arrivés à la poudrière pour charger leurs fusils, les soldats découvrent avec stupéfaction qu’il n’y a plus de poudre… Le prince informer comprend, qu’aveuglé par l’amour, il a été dupé par sa dulcinée. Les couffins de couscous contenaient la poudre ! Désarmés face à leurs ennemis bien équipés, les hommes de Touggourt ne peuvent que se défendre avec leurs poignards. Le combat est rapidement perdu. Le prince de Touggourt est tué, et ses hommes, acculés, finissent par se rendre pour éviter le même sort.
Au lever du jour, Aichounèche était couronnée reine de Touggourt. Beauté et ruse ont eu raison du sultan de Touggourt…
Rym Maiz
Sources :
Femmes d’Algérie, légendes, histoires et tradition de Jean Déjeux – 1987
Lalla Aicha, regent of Touggourt
René Pottier, Histoire du Sahara, Nouvelles Editions Latines, 1947,
Une ville, une histoire : Aïchounèche, princesse de Temacine – K Noubi