Jean-Louis Hurst s’est éteint le 13 mai 2014 à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif des suites d’une éprouvante maladie. Il avait 78 ans. Passionné de l’Algérie, sa terre d’élection, il a donc souhaité être inhumé ici. Lui qui n’aimait pas les honneurs, il aura eu droit à des funérailles officielles. Au cimetière chrétien d’El Madania où il a été enterré, le moins que l’on puisse dire est que l’on a mis les formes. Des représentants du Premier ministre, des ministères des Moudjahidine, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, ont été dépêchés pour dire la reconnaissance de l’Etat algérien à un «troufion» qui a eu le courage, rare à l’époque, de déserter son camp «naturel» pour rejoindre la cause indépendantiste.
Hormis les officiels, il y avait foule au cimetière de Diar Essaâda hier, dont de nombreuses figures de la Révolution, à l’image de Louisette Ighilahriz, Salima Bouaziz, Annie Steiner, Felix Colozzi, Hocine Zehouane, Mohand Akli Benyounès… Citons aussi le libraire et éditeur Ouadi Boussad dont il était proche, les historiens Daho Djerbal et Mohamed El Korso, Zehira Yahi, Tarik Mira, Mahmoud Rachedi (secrétaire général du PST), ou encore Yasmina Chouaki (présidente de Tharwa Fadhma n’Soumer).
La dépouille mortelle est arrivée au cimetière aux coups de midi, directement en provenance de l’aéroport. Porté par une escouade de pompiers, le cercueil est drapé de l’emblème national. Tout un symbole ! Outre la dépouille de Jean-Louis, il contient aussi les cendres de sa femme, Heike, décédée le 30 novembre 2012. Le cortège est conduit par le colonel Mustapha Lahbiri, directeur général de la Protection civile. Dans la procession se détache le visage lumineux d’Annick Hurst, la fille de Jean-Louis. La moudjahida Salima Bouaziz arbore un magnifique bouquet de fleurs. Annie Steiner tient une rose blanche à la main. Les militants du PST ont conçu une belle couronne de pétales qui ornait le cercueil. Si bien que le cimetière paraissait «plus fleuri» qu’à l’accoutumée.
Luc Chaulet entonne Le Déserteur
Image émouvante : alors que la procession s’avançait vers le carré où devait reposer Jean-Louis et Heike, Luc Chaulet, le fils de Pierre Chaulet, entonne Le Déserteur, chanson divinement interprétée, entre autres, par Mouloudji, sur un texte de Boris Vian. Il est aussitôt suivi par un groupe de femmes qui scandent à l’unisson ces paroles bien connues qui nous donnent, aujourd’hui encore, des frissons : «Monsieur le Président/Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/Si vous avez le temps/Je viens de recevoir/ Mes papiers militaires/Pour partir à la guerre/Avant mercredi soir/Monsieur le Président/Je ne veux pas la faire/Je ne suis pas sur terre/Pour tuer des pauvres gens…»
Il convient de rappeler que Jean-Louis Hurst avait publié un livre en 1960 sous le titre Le Déserteur, sorti chez Minuit et très vite interdit. Le livre était signé d’un pseudonyme : Maurienne. Même hier, d’aucuns désignaient ainsi le frère Jean-Louis : Maurienne. Une haie d’honneur de la Protection civile, en tenue d’apparat, se forme au passage du cortège funéraire. Trompette et roulements de tambour qui achèvent de conférer un caractère solennel à la cérémonie. Une oraison funèbre est lue dans la foulée par Abi Smaïn, directeur central au ministère des Moudjahidine.
Dans son hommage, M. Abi a salué la mémoire d’«un militant des causes justes qui a pris le parti de la justice et qui a défendu ardemment la Révolution algérienne». Et de poursuivre : «L’histoire se souviendra de la position de cet homme d’honneur devenu le symbole des luttes justes dans le monde.» Et d’insister sur le devoir de reconnaissance envers Jean-Louis Hurst «pour tout ce qu’il a fait pour l’indépendance de notre pays et qui a voulu que l’Algérie soit sa dernière demeure».
Le «frère des frères»
La cérémonie se poursuit par un témoignage de Mohand Akli Benyounès, ancien responsable de la Fédération de France du FLN à Lyon, qui connut Jean-Louis en 1961. «Comme il avait remarqué qu’on s’appelait entre nous (militants du FLN) les ‘frères’, alors il s’est fait baptiser ‘le frère des frères’» se souvient M. Benyounès. Parole maintenant à Annick qui lit un message que lui a adressé le ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz. Annick Hurst a donné ensuite libre cours à son cœur pour dire son émotion : «Je suis très impressionnée de voir tant de monde», lance-t-elle d’emblée. Evoquant son père, elle garde de lui l’image d’un «guerrier» qui est allé jusqu’au bout de ses convictions. Elle ne manque pas de remercier tous ceux, dont l’ambassadeur de France à Alger, qui ont permis «d’exaucer la volonté de mon père». Elle rappelle qu’elle est née en Algérie «il y a 50 ans». «J’ai presque l’âge de l’indépendance», appuie-t-elle avec fierté.
Jean-Louis Hurst «a ouvert la voie à la libération des esprits et des cœurs», selon ses mots. «Mes parents sont des justes. Grâce à vous, ils peuvent reposer en paix pour l’éternité sous le soleil d’Alger comme ils en avaient rêvé.» Et de conclure : «Il ne faut jamais oublier que parfois, il faut savoir dire non pour rester libre.» Au moment de la mise en terre de Jean-Louis et Heike, Annick exhibe un cahier à l’attention de celles et ceux qui voudraient écrire un mot. Lounis Aït Aoudia, président de l’association des amis de la Rampe Arezki Louni, s’y colle. «J’ai écrit que le combat de Jean-Louis démontre le caractère universel de la Révolution algérienne», nous confie-t-il.
Annick dévoile ensuite l’épitaphe qui sera gravée sur la stèle qui honorera la mémoire de ses parents : «J’ai quitté ma famille, j’ai quitté mon pays, je suis un citoyen du monde.» Des youyous fusent. Des voix scandent Min djibalina. Felix Colozzi, un autre monument de la résistance anticoloniale, est en larmes. La communion est totale. Le «frère des frères» est bel et bien parmi les siens. Jean-Louis Hurst est né le 18 septembre 1935, à Nancy, en Alsace, dans une famille de résistants. Instituteur de formation, il adhère au Parti communiste par opposition à la guerre d’Indochine.
Dans un chapitre de son livre, L’organisation spéciale de la Fédération de France du FLN (éditions Chihab, 2012), Daho Djerbal livre des éléments importants sur le parcours de Jean-Louis Hurst. Nous y apprenons que c’est peu après sa mobilisation, en 1957, qu’il entre en contact avec le réseau Jeanson grâce au professeur André Mandouze qui, menacé à Alger, venait de s’installer à Strasbourg. En 1958, l’officier Hurst, jusque-là affecté aux transmissions à Baden-Baden, reçoit sa feuille de route pour l’Algérie. Jacques Vignes, figure de proue du réseau Jeanson, lui propose d’assurer les passages des porteurs de valises vers la Suisse, l’Allemagne et l’Italie, pour le compte du FLN. Hurst s’engage sans hésiter.
«Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute, j’avais déjà déserté dans ma tête. En tant qu’officier, je devais partir seul. J’ai donc pris ma feuille de route, salué mes parents et, arrivé à Mulhouse, au lieu d’aller à Marseille, j’ai bifurqué sur Bâle», a raconté Hurst (cité par D. Djerbal). Après l’indépendance, il s’engage comme instituteur à Larba Nath Irathen. Il quitte l’Algérie à la fin des années 1960 et rejoint le journal Libération. «Au moment où tant des nôtres sont toujours prêts à s’autodénigrer, à croire qu’il y a une forme d’audace à se complaire dans la haine de soi, écrit Luc Chaulet dans une chronique dédiée à Jean-Louis et Heike, diffusée hier sur les ondes de la Radio internationale, cette volonté absolue de ce couple à venir passer l’éternité avec nous est d’une grandeur qui nous dépasse, qui nous émeut, qui nous trouble. En tout cas, je n’ai aucun doute que ces deux-là ont déjà trouvé leur place au paradis des justes.»