Grand maître de la céramique, beaucoup de lieux publics de la Casbah, ainsi que les œuvres architecturales de grande envergure, portent sa griffe.
Né le 13 janvier à Blida, il quitte très tôt l’école avec un certificat de comptabilité. Il fait ses débuts en 1946, dans l’usine de céramique d’un Français à Berrouaghia comme décorateur. Il est doué, le seul décorateur algérien sur céramique. Quand l’usine ferme, l’année suivante, il doit, pour vivre, devenir postier. Lors d’un stage à Paris, aux PTT, le jeune homme fréquente des ateliers de céramistes, vend quelques-unes de ses créations, achète de vieux matériels et rentre à Alger. Postier le jour, céramiste la nuit, il devient même le spécialiste de la restauration.
1966 sera une année particulière pour lui. L’architecte Fernand Pouillon avait quitté la France l’année précédente pour s’installer en Algérie à la suite de déboires financiers et d’un séjour en prison qui l’avait durablement blessé. Le ministère algérien du tourisme lui avait confié la tâche d’équiper en complexes hôteliers l’Algérie nouvellement indépendante. Au cours d’une visite du Palais du peuple, à Alger, Fernand Pouillon tombe en arrêt devant un panneau de céramiques. « C’est magnifique, mais plus personne ne sait faire cela de nos jours ! », soupire-t-il. « Détrompez-vous, lui dit un accompagnateur, ce panneau a été fait il y a six mois… » L’architecte sursaute : « Amenez-moi tout de suite celui qui est capable de faire cela ! » Cet homme, c’est Mohamed Boumehdi, ce postier le jour et céramiste la nuit.
La première rencontre entre les deux hommes a lieu à la villa des Arcades, une résidence du XVIe siècle, où l’architecte français a installé ses bureaux. Boumehdi avait apporté quelques carreaux avec lui. Pouillon les regarde et il lui dit : « C’est vous qui faites cela ? » « Oui, c’est moi », répond le céramiste. L’architecte lui demande alors à voir ses mains et s’exclame : « Mais vous avez de l’or dans cette main ! »
Dans les jours qui suivent, la vie de Boumehdi bascule. Pouillon le persuade de démissionner de son emploi de postier et lui ouvre un local à Kouba, sans un sou, ni outils, ni table et encore moins de personnel. Le céramiste recrute dans la rue quelques garçons renvoyés de l’école et leur apprend à passer un pinceau sur du papier. Et dès la réception du four, le travaille commence sérieusement.
Boumehdi devient l’ « habilleur » des œuvres architecturales de Pouillon. Ensemble, ils s’attellent à la réalisation de nombreux sites hôteliers ou touristiques : Moretti, Zéralda, Sidi-Fredj ou encore Tipaza.
Avec eux, l’ornementation, cet art de la civilisation musulmane, renait. L’hôtel El-Djazaïr (ex-Saint Georges) d’Alger constitue l’une de leurs plus belles réussites.
Pouillon est chargé de la rénovation et de l’agrandissement de cet établissement construit à la fin du XIXe siècle sur l’emplacement d’un vieux palais hispano-mauresque. Il confie à Boumehdi la tâche d’en habiller les murs et les piliers, soit 96 panneaux de trois mètres de haut sur un mètre de large. Le résultat : une profusion d’arabesques, de fleurs, d’oiseaux, de volières… Pouillon est euphorique et Boumehdi aussi !
Au fil des années, le travail de Boumehdi se diversifie. Un jour, il voit arriver chez lui Mgr Duval, l’archevêque d’Alger, qui lui demande d’aménager la stèle sur laquelle repose la Vierge noire de la basilique Notre-Dame-d’Afrique. L’artiste se met au travail. Quand il a fini, il découvre, catastrophé, que le bleu de ses céramiques jure avec celui du manteau de la Vierge. « J’ai tout cassé, immédiatement ! J’ai autant de respect pour mon travail que pour la religion des autres. »
Parfois, c’est au tour de Fernand Pouillon de se retrouver confronté à des situations inattendues. Un matin, l’architecte français découvre des échafaudages dressés contre l’église de Diar el-Mahçoul, en face de chez lui. Cette église, c’est lui qui l’a construite, avant l’indépendance, et elle fait sa fierté. Pouillon apprend, éberlué, que « son bijou » va devenir une mosquée. Le clocher doit se transformer en minaret. « Arrêtez tout ! Je prends cela en charge », ordonne-t-il aux ouvriers, affolé à l’idée que l’on puisse massacrer son travail. Il veille au grain pendant toute l’opération et fait appel, une fois de plus, à Boumehdi. Celui-ci recouvre le clocher de carreaux de céramique bleus émaillés d’or et en fait un minaret « aussi beau que ceux d’Ispahan ». Quand Pouillon voit le résultat – magnifique -, il n’a qu’une phrase, en guise de compliment : « Il fallait être fou pour oser mettre du bleu dans le bleu du ciel ! »
Boumehdi devient ainsi, au fils des ans, un incontournable dans son domaine. Son atelier se développe. Il forme des générations de céramistes, dont son fils, Hachemi. En fait, Boumehdi est dans son domaine un précurseur. De la même façon que Mohamed Racim avait créé la tradition algérienne de la miniature, avant lui inexistante, Boumehdi, par son travail, pose les jalons d’une école de céramique et devient la référence de tous les céramistes algériens.
Mohamed Boumehdi travaillera toute sa vie dans cet atelier de Kouba, même durant les années de sang et même sous le poids des ans. Il décédera en décembre 2006 laissant derrière lui une belle relève, notamment parmi ses enfants.
Z.M
Sources :
- « Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie », par Achour Cheurfi. Editions ANEP, 2007.
- https://www.blida.us
- « Mohamed Boumehdi. Céramiste. L’alchimiste de la terre », par Slimane Brada. Publié dans El Watan le 11-01-2007.
- «Mohamed Boumehdi. Il fait chanter la céramique » article dans le dossier « Ceux qui font bouger le pays » Publié le 11/10/2002 in https://www.lepoint.fr