« Rétablir et restaurer la mémoire collective des algériens reste un chantier important », c’est effectivement la tâche honorable que toute l’équipe de Babzman tente, en toute modestie, d’accomplir, ne serait-ce que partiellement, en attendant que d’autres bonnes volontés suivent. Mais pendant ce temps «la vie bout et la vie brûle» comme disait Artaud. C’est dire que ce chantier doit également prendre en compte les contributaires du présent, les sondeurs attentifs du réel immédiat. Samir Toumi, auteur de « Alger, le cri » (Barzakh, octobre 2013) fait partie de ces témoins d’avenir. Son entrée en littérature, il y a quelque mois, fut remarquable. Et son récit intimiste d’algérois témoigne de l’énergie particulière d’une capitale, certes meurtrie, certes déformée, mais dont l’insolente vitalité est un véritable hymne à la résistance de ses habitants dont ce jeune écrivain fait partie. Trois questions autour des principaux points de son récit : Alger, son passé et son présent, mais aussi le parallèle avec la sœur Tunis qu’il connait bien.
Tu te défends d’avoir écrit un « livre sur Alger », serais-tu d’accord pour dire que ton récit se place dans un dialogue (existentiel) entre l’être et la ville ? Si oui qu’a-t-il de particulier ?
En effet, ce récit n’est pas sur la ville, mais sur le rapport qu’un individu, moi, en l’occurrence, entretient avec sa ville. Alger est la ville qui m’a vu naître, c’est la ville où j’ai grandi, la ville où je vis. Alger est le théâtre de mon histoire personnelle. C’est une ville tellement fascinante, par sa géographie, son esthétique, son histoire tourmentée, qu’elle m’a naturellement « tendu la main » dans ma quête existentielle. Alger m’a aidé à parler de moi, j’ai commencé par parler d’elle, de ce que je ressent pour elle, et ainsi, j’ai pu peu à peu libérer ma parole.
Alger a été tour à tour mon thérapeute, ma mère, mon amante, mon ennemie, elle a accompagné la progression de mon récit, et le rapport d’amour, et parfois de haine que je décris tout au long du texte, montre toute l’ambivalence que l’on peut avoir lorsqu’il s’agit de réfléchir à son histoire personnelle, à son présent, à son futur.
Alger est une ville tellement inspirante, sa baie en amphithéâtre, ce passage permanent entre moments de grâces, et moments de colère, voire de dégoût, cette histoire ancienne et récente si mouvementée, est propice à la tragédie. Alger constitue un décor de rêve pour l’imaginaire d’un écrivain et les parallèles entre l’individu et la ville sont tellement évidents. Parfois, lorsque je contemple Alger, avec tout son amas d’immeuble désordonné se jetant vers la mer, j’ai l’impression de voir un cerveau humain, avec toutes ses circonvolutions et les lumières qui clignotent s’apparentent à une activité neuronale.
Effectivement, c’est l’influence du lieu sur l’individu qui m’a intéressé. Ce que j’ai recherché, au fond, et au delà de ma propre histoire à moi, c’est l’âme Algéroise, forgée par la ville, par son relief et par son histoire.
– L’attachement profond que tu exprimes pour cette ville, pour son histoire, ses musiques et ses bâtisses qui « menacent de s’effondrer » est pourtant dénué de tout passéisme. En vérité, c’est l’un des rares récits « algérois » qui ne soit pas nostalgique. A quel point la nostalgie peut-elle nous empêcher de saisir la « pulsation » réelle d’une ville, et comment concilier, artistiquement, vision d’avenir et attachement au patrimoine ?
Je dois avoir suffisamment confiance en moi pour ne pas avoir besoin de nostalgie. La nostalgie permet à un individu d’affronter sa peur du présent et de l’avenir, la nostalgie est un refuge, c’est la vie en carte postale. Comme je l’ai écrit dans mon récit, j’étouffe dans les cartes postales. Le présent ne m’effraie pas, je m’y sens bien, je n’éprouve aucun sentiment de perte. Je vis au quotidien dans une ville gorgée de vitalité, de complexité, où se mélangent passé et présent, je vois une rue grouillante, avec des personnes diverses et différentes, je vois de l’énergie, de la jeunesse, du désordre, du chaos et ce spectacle au quotidien me réjouit. Bien sûr, comme tout Algérois qui se respecte, je passe ma journée à pester, contre les embouteillages, la pollution, les dégradations – la liste est longue !- mais cet Alger en perpétuel mouvement, en transformation, loin de m’effrayer, m’intéresse, et j’éprouve une émotion très profonde à l’idée « d’en faire partie ».
– Tunis s’éveille depuis la chute de Benali à une nouvelle vie malgré son « chaos » apparent, qu’en est-il de ses artistes, et comment s’exprime leur nouveau rapport à la ville ?
Dans mon livre, je fais un parallèle entre Alger et Tunis car ce sont des villes antinomiques à bien des points de vue. Cela m’a également permis d’évoquer ces lieux refuges que l’on a ou dont on rêve, mais qui ne se substitueront jamais à la profondeur du « lieu premier ». Nous rêvons tous parfois, ou souvent, d’être ailleurs, d’être l’hih, mais le véritable équilibre, on finit par le trouver en fouillant en soi.
J’ai écrit ce récit de manière chronologique entre Avril 2010 et janvier 2011, et j’ai assisté à l’immolation de Bouazizi à Alger, alors que des amis Tunisiens étaient avec moi et vivaient à Alger, cet événement déclencheur de ce qu’on a appelé le printemps arabe. Tunis, la carte postale, a explosé. Cet espace public, propre, bien rangé, presque irréel est enfin occupé par ses véritables habitants. Tunis découvre le chaos, la diversité. Du coup, avec la parole, la créativité se libère en Tunisie, l’énergie aussi. Finalement, comme Alger, le chaos lui va si bien !
Ablekader Oueghliss
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Continuez dans cette direction, c’est un plaisir de vous lire.
Bonjour je cherche Alger,le cri en France?pas éditeurs?