Il était une fois, dans un village lointain, un homme connu pour sa balourdise et son humeur pacifique. Un jour, il eut l’idée de se marier et se mit à chercher une campagne. Après plusieurs demandes qui demeurèrent vaines, il trouva enfin une femme qui accepta de partager sa misère…
Elle était presque aussi sotte que lui! Quelques fois, quelques fois, seulement, elle avait des lueur d’intelligence qui lui permettait de placer des réparties spirituelles et pertinentes. Par un heureux hasard, ils portaient tous les deux le même prénom : Bah’loul et Bah’loula.
Bah’loul était un tantinet paresseux et passait de longs moments à bayer aux corneilles, à somnoler et à rêvasser. Sa figure ronde et joufflue, s’éclairait d’un large sourire qui laissait entrevoir ses dents jaunâtres. Il s’imaginait éleveur et riche commerçant!
Voulant matérialiser ses espérances, il décida de se lancer dans l’élevage des ânes. Il ne pouvait échouer et devait, au contraire, prospérer, car cet animal sobre, patient et résistant, était à l’époque fort recherché dans les montagnes. Il se rendit un jour en ville avec l’intention bien arrêtée de ramener avec lui une demi-douzaine de ces bêtes faciles à nourrir.
En cours de route, il calcula les dépenses à engager, les pris de vente avantageux à exiger … et se retrouva avec d’énormes bénéfices. Cette perspective le réconforta, le rendit heureux et il ne cessa, durant tout le trajet, de se frotter les mains de satisfaction.
Sur la place du marché, il repéra sept petits bourricots et les acheta aussitôt, sans même marchander. Pressé de rentrer chez lui pour les mener en pâturage, puisqu’ils lui paraissaient osseux et maigres, il s’installa confortablement sur le plus solidement, poussant les six autres devant lui, et se mit en route.
Pour encourager sa monture à accélérer son allure, lui criant « Err! Err! », en balançant allègrement ses longues jambes qui encadraient le corps du pauvre animal! Celui-ci, alourdi par le poids qui lui était imposé, s’essoufflant, observait une parfaite indifférence et conservait, sans le modifier, son train de sénateur.
-« Plus vite, espèce d’âne! Qu’Allah maudisse l’homme qui te possède! »
En effet, Qu’a-t-il fait en se rendant propriétaire d’une bête aussi stupide, aussi têtue et aussi sourde à ses appels?
Bah’loul se méfiait beaucoup, car il les comptait et les recomptait fréquemment. A un détour du sentier sur lequel il était engagé, il entreprit de les dénombrer. L’index en avant, il se mit à prononcer à haute voix : « Un, deux, trois, quatre, cinq et six… Mais ce n’est p … p… p… pas pos… pos… poss… possible! » articula-t-il en bégayant, « Je me souviens en avoir acheté sept, il n’y a plus que six! Où est passé le septième?
Il regarda en arrière, sur les côtés, mais ne découvrit rien! Il s’inquiéta, s’affola et commença à compter avec frénésie. Il retrouve la même chiffre : six!
Philosophe et bon enfant, il s’inclina devant le sort.
– Tant pis! Se consola-t-il, la perte d’un âne est cruelle, mais je dois la supporter, c’est le destin qui décide pour chacun de nous! Mektoub!
Parvenu à proximité de sa modeste cabane, il repéra son épouse qui lui souriait d’un air béat : Son Bah’loul prenait de l’importance!
-« Ô, ma chère Bah’loula, l’interpella-t-il, il m’est arrivé un grand malheur! J’ai perdu un bourricot en cours de route! J’en ai acheté sept et je ne retrouve plus que six! »
Son épouse, le front soucieux, se mit à compter à son tour et à peine le comptage fini, elle éclata de rire à gorge déployée, puis lui confia :
-« Tu manques d’esprit d’observation mon cher Bah’loul. Moi, contrairement à toi, j’en dénombre huit : Le septième porte le huitième! »