Cela s’est passé un 23 mars 1882, Instauration de l’état civil en Algérie

L’administration coloniale instaurait l’état civil en Algérie par la promulgation de la loi du 23 mars 1882. C’est, à peu près, à partir de cette date que « l’algérien musulman » a été dans l’obligation de déclarer tous les événements démographiques dans les registres d’état civil.

 

« En Algérie, l’Administration coloniale causa des dégâts considérables, non seulement en transformant les nomenclatures des régions et Toponymies des villes et des villages, mais surtout en établissant avec une violence bureaucratique très rare un état-civil ‘’étranger’’ », écrit le docteur Karim Ouldennebia.

S’inscrivant dans la ligne de la politique d’assimilation menée par la colonisation française en Algérie, une série de lois a précédé et préparé la loi fondamentale du 23 mars 1882. Selon le docteur Ouerdia Yermèche, cela remonte à celle de 1854 et celle du 26 juillet 1873 sur la propriété individuelle qui commandaient le premier recensement et comprenaient une liste non exhaustive de noms. Elle imposait aussi l’adjonction d’un patronyme au prénom et surnom par lesquels était antérieurement connu chaque indigène déclaré propriétaire.

Pour les nouveaux occupants de l’Algérie, se pose cependant la problématique de la généalogie et de la filiation. Obliger les « indigènes » à avoir un patronyme relevait de la rupture dans les modes traditionnels de nomination. Pour le docteur Benramdane, l’instauration de l’état civil «était et devait être pour l’autorité coloniale une œuvre de dénationalisation». Le docteur Yermèche va plus loin et estime qu’il y avait carrément une volonté de franciser les patronymes algériens, notamment pour favoriser les mariages mixtes. C’est ainsi que El Abiod devient Labiod, El Arabi se transforme en Larabi ou encore El Idrissi qui s’écrira Lidrici.

La même idée est exprimée par Ageron, reprenant des propos de l’époque : «Devant la commission sénatoriale, l’ex administrateur Sabatier indiqua que, selon lui, « la constitution de l’état-civil (était) et (devait) être une œuvre de dénationalisation, l’intérêt de celle-ci étant de  ‘’préparer la fusion’’. Son idée était de franciser plus résolument encore les patronymes indigènes pour favoriser les mariages mixtes. Meriem ben Ali ben Mohammed ben Moussa serait devenue non plus seulement Meriem Moussa, mais ‘’Mademoiselle Marie Moussa’’. Mais Sabatier ne fut pas suivi. »

Les instructions recommandaient aux officiers d’état civil de toujours laisser le libre choix de leurs noms patronymiques aux intéressés et en cas d’absence ou de refus de les prendre toujours parmi les noms de leurs ascendants. « Mais les rapports des commissaires affirment qu’il avait fallu presque partout choisir les noms, les indigènes se désintéressant de ces opérations. Le plus simple dès lors eut été de prendre leurs surnoms (Kounia ou Leqma) et c’est ce qui se fit très souvent. Mais surnom n’est souvent que sobriquet, fruit de la malignité publique, et tel qui ne se choquait pas d’être le boiteux, le teigneux, le bègue ou le bigle de sa mechta, n’apprécia pas de se voir imposer ce nom, ni surtout de devoir le transmettre à ces fils », écrit Ageron.

La vérité est que pour beaucoup d’« indigènes », il était honteux de se prêter à ce « jeu » qui cachait forcément quelque chose de malsain. Et c’est ainsi que souvent, face au chargé de l’enregistrement, ils répondaient par une insulte : yemmak (ta mère), kelb (chien)…

Du côté des agents de l’administration, le racisme et la haine étant très courant, ils n’hésitaient pas à choisir des noms grotesque, comme le raconte encore Ageron : «L’un d’eux se rendit célèbres en donnant aux indigènes qu’il recensait des noms français d’animaux ! Beaucoup d’autres meilleurs arabisants, mais tout aussi racistes multiplièrent les noms arabes d’animaux, les noms grotesques ou injurieux ».

Ces noms suivront les Algériens jusqu’à l’indépendance. Lachraf écrit : «Quelques uns de ces noms de familles que notre état civil a accepté de changer à la demande motivée de leurs malheureux titulaires sont très significatifs de ce mépris. » Il site entre autre : Tahhane, Farkh, Zoubia, El Menten, Ed Dab…

Mais Lachraf évoque une autre procédure liée à l’obligation du patronyme, notamment en Kabylie : « Pour mieux surveiller les populations du Djurdjura, peser sur elles et sanctionner et réprimer quand il le fallait les délits ou les actes de résistance en appliquant la fameuse ‘’responsabilité collective’’, les autorités françaises instituèrent un système jamais vu ailleurs dans le monde et en vertu duquel tous les habitants de tel village devaient adopter des noms patronymiques commençant par la lettre A, ceux du village voisin choisir des noms de famille ayant pour initiale le B et ainsi de suite, en faisant le tour de l’alphabet». Et de poursuivre « Il suffisait à la gendarmerie ou à la police ou à la commune mixte coloniale d’avoir affaire à un nom suspect commençant par l’une de ces lettres alphabétiques pour qu’aussitôt on identifie le village de la personne arrêtée et que joue, selon le cas, la peine individuelle ou la terrible responsabilité collective concernant plus particulièrement les ‘’délits’’ forestiers, de pacage ou d’atteinte non prouvée aux biens des colons français.»

Les opérations de recensements et d’identifications furent consignés sur des registres à partir desquels « l’administration fit obligation aux ‘’administrés’’ de déclarer toute nouvelle situation: naissances et décès, un peu plus tard les mariages. Tout contrevenant s’exposait à des sanctions sévères du code de l’indigénat, le ‘’Caïd’’ de la Commune était bien sûr le gardien du temple ! » écrit le docteur Karim Ouldennebia.

Synthèse Zineb Merzouk

Sources :

  1. Charles-Robert Ageron : «  Les Algériens Musulmans et la France  (1871 – 1919) » TOME I. Presses Universitaires de France, 1968
  2. Réflexion sur l’Etat civil en Algérie :
  3. Farid Benramdane : « De l’usage des bases anthropologiques et des particules filationnelles (ben, bou, bent, moul, mohamed, el amine…) dans les prénoms algériens. Etude de cas : les prénoms mostaganémois de 1900-1950-2000 »
  4. Ouerdia Yermeche : « L’état civil en Algérie, genèse d’un processus redénominatif »
  1. Publication in https://fr.calameo.com/books/000427528c7348dd29adc
  2.  « Histoire de l’état civil des Algériens », par le docteur Karim Ouldennebia (Université Djilali Liabès). In revue Maghrébine des études Historiques et sociales, labo Algérie moderne et contemporaine Histoire et société, université Djilali Liabès/sba, n°01,septembre 2009. (In https://www.vitaminedz.com)
  3. Mostefa Lacheraf : « Des noms et des lieux. Mémoires d’une Algérie oubliée », Casbah Editions, 2003.
  4. « Etat-civil et analyse Démographie-historique en Algérie : Historique, diagnostic et évaluation », par Chenafi Faouzia (Université d’Oran, Algérie). (In https://revues.univ-ouargla.dz )
  5. Photographie : Actes de naissance de 1896, enregistrés sur un formulaire indiquant que leur retranscription est conforme aux prescriptions de l’article 18 de la loi du 23 mars 1882.

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5 Comment

Ramdane 27 mars 2015 - 15 h 07 min

Durant les années 70 et 80, j’étais appelé à faire la revue de + de 500 personnes. Il y avait des Noms de Familles que je n’osais pas prononcer devant l’assistance, à cause de leur vulgarité, et ça me faisait de la peine pour tous ces gens qui ont hérité de ces vulgarités. Et pourtant, ils étaient sympa. J’espère que depuis, tous ces noms de familles ont été changés. Il y avait aussi un nom de famille, connu de tous les Algériens car, très public, qui était Dmagh El Atrouss (ça nous faisait rigoler en étant petits). Quelques passages de Fellag illustrent bien cette façon de donner des Noms à nos concitoyens. J’espère que nos amateurs de l’Algérie française doivent méditer sur ce qu’ils nous ont laissé dans ce qui nous faisait distinguer des autres, notre patrimoine individuel, notre identité et notre personnalité ou Nek-Oua. Le problème de fond, c’est que cette malheureuse campagne continue, ils nous ont enseigné que nous sommes rattachés tous à des tribus venues d’Arabies Séoudite ou du Yemen, pour ceux-là, il n’y avait que des guerriers males qui sont venus d’Arabie, il ont couché avec les femmes de ce pays et ont enfanté des zombies, qui ne sont ni arabes (du Yemen) ni Amazigh (D’Afrique du Nord) et jusqu’à ce jour, beaucoup ne savent plus sur quel pieds danser.

mimenoune 25 mars 2017 - 22 h 11 min

Paroles de spécialistes:1)- « Les Protoméditerranéens capsiens constituent certes le fond du peuplement actuel du Maghreb, mais le mouvement qui les amena, dans les temps préhistoriques, du Proche-Orient en Afrique du Nord, ne cessa à aucun moment. Ils ne sont que les prédécesseurs d’une longue suite de groupes, certains peu nombreux, d’autres plus importants. Ce mouvement, quasiment incessant au cours des millénaires, a été, pour les besoins de la recherche archéologique ou historique, sectionné en « invasions » ou « conquêtes » qui ne sont que des moments d’une durée « (Gabriel Camps); « Les spécialistes, anthropologues et préhistoriens, sont aujourd’hui d’accord pour admettre qu’il (Le Capsien) est venu du Proche-Orient… » ( G.Camps) 3)« …Au capsien (il y a environ 8.000 ans) des hommes de race méditerranéenne de l’Est ont envahi l’Afrique du Nord. Des Pasteurs sahariens venus du Haut Nil les ont rejoints… On peut considérer qu’en Algérie les berbères tirent leur origine des hommes de Mechta el Arbi et des Préméditerranéens. Il est certains qu’au cours des temps néolithique et historique des brassages, des mélanges ethniques ont affecté les populations berbères.» (Mahfoud Kaddache); etc…

Jessica 11 janvier 2016 - 16 h 24 min

Merci pour ce brin d’histoire. En effet, les registres d’état-civil sont des éléments très importants pour un pays. Actuellement, certains pays comme l’Afrique rencontrent encore des problèmes avec, mais cela se résoudra avec le temps.

belmir 19 janvier 2017 - 18 h 47 min

Merci pour ces informations très précieuses qui nous replongent dans un passé très douloureux dans la vie de notre pays, qui n’en finit jamais.Notre histoire est tellement alliénée que même indépendants, les algériens ne se reconnaissent pas dans leur passé très lointain, même avant les romains.Certains voient en Syphax, roi de Siga à l’ouest, un vassal de Carthage, lui qui a pourtant su par sa diplomatie à réunir les deux grandes puissances antiques en une vraie première conférence internationale dans le monde dans sa capitale, donc en Afrique du nord, pour éviter les guerres puniques, qui s’avèrent par la suite inévitables par trahison de Rome. Les autres ne reconnaissent pas Massinissa comme roi national de Cirte, à l’est. Cette fois pour avoir trahi son frère et son propre peuple gouverné par Syphax qui a soutenu Carthage, sa voisine et parente contre les romains, peuples étrangers à cette terre amazighe en attaquant l’armée de ce dernier qui est venue à sa rescousse.

facdsp msila 27 mars 2019 - 14 h 19 min

merci bien pour le partage

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