Ce que les français nomment la bataille des Frontières, est l’ensemble des opérations militaires menées sur la frontière algéro-tunisienne pendant la guerre de libération, du 21 janvier au 28 mai 1958, par les unités parachutistes de l’armée française contre les tentatives de franchissement en force du barrage de la ligne Morice par les moudjahidine de l’ALN, stationnés en Tunisie.
Au mois de janvier 1958, l’insurrection algérienne dure depuis plus de quatre ans. À l’extérieur, le FLN est soutenu par l’Égypte, le Maroc, et surtout par la Tunisie que son indépendance en 1956, a consacré comme la véritable base arrière du FLN. Habib Bourguiba permet au FLN d’avoir son siège à Tunis et à l’ALN d’installer des bases et des camps d’entraînement à proximité de la frontière algérienne. Une fois instruites, les katibas viennent alors renforcer les wilayas de Kabylie, de l’Algérois ou de l’Aurès, leur apportant armes et munitions.
L’enjeu pour l’ALN est de faire rentrer en Algérie le maximum possible d’unités de combat. À la même époque, les services de renseignements français situent dans l’immense forêt de chênes-lièges de l’Ouest-Tunisien, entre Tabarka et le « Bec de Canard » de Souk Ahras, les wilayas I, II et III et 15e faileks de l’ALN comprenant environ 1 200 et 1 500 hommes chacun destinés à rejoindre la wilaya II et la wilaya III. Deux autres faïleks comprenant environ 2 000 hommes destinés à la wilaya I et la wilaya IV, sont stationnés en face des mines de fer d’Ouenza.
Confronté à une situation toujours plus délicate, l’armée française cherche des parades efficaces aux infiltrations plus nombreuses depuis l’indépendance de la Tunisie. En automne 1957, plus de 2 000 armes par mois passent la frontière et sont distribuées dans les willayas I, II et III. Le gouvernement français exerce de fortes pressions sur la Tunisie, la menaçant même de représailles si les franchissements continuent. En vain. La solution ne peut être que militaire. La mission principale des forces françaises devient l’interception et la destruction des bandes armées qui traversent le barrage de la ligne Morice, s’étendant sur 460 kilomètres de la Méditerranée aux confins sahariens.
Le théâtre d’opérations principal est défini par les couloirs de pénétration à partir du « Bec de canard» dessiné autour de Ghardimaou, de part et d’autre des monts de la Medjerda, vers Souk Ahras et Guelma. Les forces engagées par l’Armée de libération nationale (ALN) autour de La Calle, de Souk Ahras et de la mine de fer d’Ouenza, à partir de sa base de l’Est, représentent la valeur de trois bataillons composés chacun de trois katibas de 250 à 300 hommes. Dans la première bataille de Souk-Ahras, du 1er au 8 février 1958, ces unités affrontent l’équivalent de cinq régiments parachutistes, sans compter les unités de secteur et les troupes de la «herse» assurant la sécurité de la ligne Morice, étendue sur 700 km, et jouant leur rôle d’avertisseur à chaque tentative de franchissement.
Après un passage en force, le 18 mars, plus au nord, vers Mondovi, par une forte katiba venue de Tunisie et étrillée (113 tués) par onze compagnies héliportées, un autre échec, cette fois-ci d’Ouest en Est, a lieu à la même date par la katiba locale de la région de Souk-Ahras qui tente de se réfugier en Tunisie. À moitié détruite, elle est finalement interceptée par le 60e RI.
Au centre du dispositif français, entre Montesquieu et Morsott, la pression est moins forte et la «herse» très vigilante des 14e RCP et 16e régiment de dragons empêchent tout franchissement, notamment lors d’une offensive dans la région d’Aïn Beïda qui met 250 combattants hors de combat. Le contournement du barrage par le sud est utilisé à El Ma el-Abiod, à travers la ligne radar en construction, en février 600 combattants et de 300 recrues réussissent à passer. Mais le 28 février, placé en réserve, le 3e RPC les accroche dans les Nememcha. Avec l’aide des 8e RPC et 14e RCP une centaine de combattants est mise hors de combat. Ces tentatives fort loin des camps d’entraînement du Nord ne sont plus poursuivies après une interception réussie par les 3e RPC et 4e REI dans le Djebel Onk, le 2 avril 1958.
Reste l’option septentrionale, toutes forces réunies. Comme elle le fait depuis le 21 janvier, sans cesser de harceler les postes français des confins en avril, l’ALN se renforce ensuite du 4e faïlek, fort de 900 à 1 000 hommes. Pour le haut-commandement de l’ALN, il est impératif d’agir, le moral des wilayas intérieures dépourvues de logistique, ainsi que celui des jeunes recrues, laisse à désirer. L’ALN cherche un second souffle.
Du 28 avril au 3 mai plus de mille combattants se lancent dans une nouvelle phase offensive pour tenter de faire passer deux katibas à destination des wilayas I et II et une unité de transmissions destinée à la wilaya I. C’est un des paroxysmes de la guerre d’Algérie que cette seconde bataille de Souk Ahras dont l’essentiel se déroule dans le djebel d’EI-Mouadjène, allant jusqu’au corps à corps pour le 9e RCP du colonel Buchoud. Seul le tiers de la katiba d’acheminement de la wilaya III réussit à percer pour rejoindre, après une odyssée de 700 km, le cœur de la Kabylie.
Les pertes de la bataille de la frontière sont cruelles des deux côtés, soit en quatre mois : 2 400 tués et 738 blessés dans les rangs des combattants de l’ALN et 364 tués dans les rangs des troupes françaises et les estimations varient (sources françaises) entre 6 000 et 2 400 tués, 300 prisonniers, 350 armes collectives et 3 000 armes individuelles saisies pour l’ALN.
Après la bataille, le nombre des armes pénétrant en Algérie tombe à 400, puis à 200 en 1959 et à 60 en 1960. En ce qui concerne les combattants de l’ALN, au début de 1957, le chiffre s’élève à 2 000 passages. De juillet 1958 à mars 1962, les franchissements tombent pratiquement à zéro. Les tentatives de passage se traduisent par des échecs ou des résultats dérisoires : en janvier et août 1959, les français enregistrent 2 échecs complets dans les secteurs de La Calle et de Duvivier (au sud de Bône). En février 1959, 50 combattants sur 250 qui ont tenté de franchir le barrage entrent en Algérie. Au mois de septembre, seuls 20 combattants sur 1 200 engagés parviennent à déjouer tous les pièges et à échapper aux troupes d’interception.
En décembre, ce ne sont plus que 10 hommes sur 1300 qui parviennent à se glisser dans le massif de l’Aurès. En mars 1960, sur les 8 000 hommes de l’ALN de Tunisie, seuls 60 parviennent en Algérie. De nombreux combattants sont tués lors du franchissement ou de l’interception, et encore plus nombreux sont ceux qui refusent carrément d’affronter l’obstacle. Ainsi, en juillet 1960, un échec total de la dernière grande tentative de franchissement du barrage oriental où l’ALN laisse 650 tués et blessés sur le terrain.
Sources :
- Pierre Dufour « La bataille des frontières ». Collection Reportage de Guerre. Trésor du Patrimoine. 2004.
- Historia Magazine Guerre d’Algérie, N° 235 – 1972, La batailles des frontières.
- Pierre Dufour « La légion en Algérie ». Lavauzelle, 2002.
- Sous la direction de Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse « Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie ». Editions Complexe. 2001.