Cela s’est passé un 11 janvier 1992, l’armée algérienne annule processus électoral

Le 11 janvier 1992 restera, dans la mémoire collective algérienne, une date funeste, un contre sens de l’histoire, qui a vu l’espoir né des événements d’octobre 1988 et d’autres combats qui les ont précédés, partir en fumée pour engager l’Algérie sur les voies de la mort et de la destruction.

La dichotomie entretenue sur les événements de cette période, avec l’aide de la presse locale et étrangère et le silence complice de plusieurs Etats, – et qui consistait à mettre d’un côté les bons et de l’autre les méchants -, n’a pas permis, durant plusieurs années, de voir clair sur ce qui s’était réellement passé.

Cette dichotomie, les « républicains » d’un côté et les « intégristes » de l’autre, mise en scène avec succès, jouée avec brio telle la commedia dell’arte dans les capitales occidentales, tout en occultant les démocrates sincères et le peuple, a servi de justificatif pour tuer, emprisonner, torturer, violer, piller, museler, exiler… systématiquement des milliers d’algériens.

Tout a été monté et préfabriqué de manière à présenter les législatives organisées par le gouvernement Ghozali et gagnées au premier tour par le FIS, comme le point d’achoppement d’une démocratie non méritée, octroyée à des indigènes qui ne valaient que d’êtres confinés dans l’indigénat, en attendant leur émancipation sous la tutelle d’une dictature éclairée. « Les janviéristes » ont réussi à vendre au monde entier l’idée que tout le mal découlait des élections législatives du 26 décembre 1991, remportées au premier tour par le FIS.

Les législatives du Gouvernement Ghozali

Organisées en décembre 1991 pour le premier tour, ces joutes ont vu le parti d’Abassi Madani rafler la mise. C’était un prétexte pour annuler le deuxième tour et mettre ainsi fin à un processus démocratique qui boitait déjà depuis le départ du gouvernement Hamrouche. La manipulation et l’intox avaient présenté ces élections comme un ouragan qui allait dévaster l’Algérie et menacer l’Europe dans ces fondements, la France en premier. Derrière cette machination, il y avait le DRS et leurs amis de l’autre côté de la méditerranée. Haro donc sur l’annulation des élections au point même où l’imposante marche historique organisée à l’appel d’Ait Ahmed, à Alger le 2 janvier 1992, pour justement rassurer et aller au deuxième tour, a été détournée par le fameux CNSA (comité national pour la sauvegarde de l’Algérie). L’armée venait, par ce coup, de remporter l’une des étapes les plus importantes de ses sinistres et obscurs desseins et de fermer ainsi, définitivement, la parenthèse démocratique ouverte après les événements d’octobre 1988.

Au vu de ce qui précède, la question qui mérite d’être posée est la suivante : comment étions-nous arrivé aux législatives de décembre 1991 ? Justement avant d’en arriver là, d’autres élections législatives avaient été programmées en juin 1991 par le gouvernement Hamrouche et les préparatifs étaient bien en avance sur tous les plans.

Mais à ces élections, le FIS ne voulait pas prendre part et avait annoncé leur boycott, en appelant à la désobéissance civile dans la capitale. Et le FIS ne voulait pas y participer parce que tout simplement il savait qu’il allait les perdre. La loi électorale ne l’arrangeait pas et le découpage électorale annonçait une future assemblée où la majorité aurait été composée des réformateurs du FLN et du FFS. C’est pourquoi le FIS était sorti dans la rue dans le seul but de faire infléchir Hamrouche et pousser par là même Chadli à organiser des élections présidentielles anticipées.

Tant que le FIS semblait gagner dans le rapport de force, en occupant les artères d’Alger, l’armée n’était pas intervenue et laissait faire. C’est lorsque les populations en avaient assez de l’occupation des rues devenues une immense décharge publique à ciel ouvert et commençaient à rentrer chez eux annonçant l’échec de la grève du FIS, que le DRS était intervenu en instrumentalisant l’armée,venant ainsi au secours du parti d’Abassi Madani.

La démission du gouvernement Hamrouche

Le FIS ayant échoué dans ces actions, le DRS était rentré violement dans le jeu pour contraindre le gouvernement Hamrouche à déposer sa démission. C’est ce qui avait fait dire à l’époque Ait- Ahmed « j’entends le bruit des bottes » qui avait appelé à une marche nationale à Alger pour le 6 juin 1991. Le président du FFS n’avait pas tardé à renoncer à cet appel vu que l’armée avait quadrillé la capitale. Les troupes étaient surchauffées et un bain de sang était probable. C’était le début de la dérive qui allait plonger l’Algérie dans le drame.

Un autre gouvernement avait été installé : celui de Sid Ahmed Ghozali. Son premier chantier était de changer la loi électorale qui était défavorable au FIS et lui en préparer une autre sur mesure. A titre d’exemple, dans le centre du pays où le FFS était majoritaire, le nouveau découpage électoral avait amputé certaines wilayas de presque une vingtaine de députés. C’est ainsi que le FIS, qui avait refusé de prendre part aux législatives précédentes, s’était précipité à annoncer sa participation aux législatives version Ghozali, depuis Batna, la capitale des Aurès. Gonflés comme des grenouilles, les dirigeants du parti islamiste, malgré les avertissements lancés par feu Kasdi Merbah, étaient tombés dans le piège en croyant que les militaires allaient leur offrir le pouvoir sur un plateau d’argent. Et en exhibant la victoire des islamistes, le DRS avait obligé Chadli à présenter sa démission et mena l’Algérie vers l’irréparable en annulant le premier tour des élections législatives.

Les dés pipés dès le départ

Le coup d’Etat du 11 janvier 1992 était le summum dans la stratégie du pouvoir réel, la fin d’une étape marquée plus au moins par une certaine résistance pour que le pays ne sombre pas dans le chaos. L’après janvier 1992 était le début d’une nouvelle étape, violente et meurtrière dans son expression, qui s’était engagée progressivement dans la voie de la normalisation.

Mais il est regrettable de constater que les dés étaient pipés bien avant la constitution de 1989. Les services (DRS) avaient savamment préparé le terrain en injectant, dans les partis politiques et autres associations créés tout azimut en nombre incalculable, des acteurs qui non seulement trompaient le peuple, mais rendaient surtout illisible le champ politique national. Excepté des observateurs avertis, la population dans sa majorité ne savait pas qui était qui ? Quels étaient les rôles des uns et des autres et qui était à l’origine de leur création ? Il a fallu attendre plusieurs années par exemple pour se rendre compte que le FIS et le RCD étaient les deux revers d’une même médaille ; que les deux travaillaient au final pour la même stratégie même si idéologiquement les deux partis étaient de bords totalement opposés.

Durant la décennie noire qui s’en est suivie, la gestion sécuritaire du pays, avec tout son arsenal de répression, avait permis aux décideurs de liquider le patrimoine de l’Etat avec, hélas, des dizaines de milliers de vies humaines. La gestion confuse et ambiguë du terrorisme et de la classe politique, la distribution des armes, la peur et la mort anonymes semées dans les esprits ont laissé les mains libres aux tenants du pouvoir pour démonter et briser toute la société algérienne. Le terrorisme, en endeuillant des millions d’Algériens, dissimule encore le bilan des désastres enregistrés dans les autres secteurs. On ne parle pas encore des dégâts subis sur les plans économique et social. Les usines, les centres de santé, ceux de la formation, les écoles – et la liste est longue à ce sujet – brûlés et saccagés n’avaient pour finalité que de servir les puissances de l’argent, souvent liées d’une manière ou d’une autre aux décideurs. C’est cette mafia corrompue qui a tiré profit des années du terrorisme et c’est cette mafia qui, avec la disparition des généraux qui est bien entamée, gouvernera. A moins d’une utopie, d’une révolution !

 

Madjid Laribi

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1 Comment

ryad 7 janvier 2016 - 12 h 30 min

salam
pourriez vous developper ce passage svp
baraka Allahu fiik
je l’ai pas bien compris et pourtant c’est si interessant

Il a fallu attendre plusieurs années par exemple pour se rendre compte que le FIS et le RCD étaient les deux revers d’une même médaille

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