« … Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi donc serviraient-ils ces diplômes, qu’on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement… pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin historique de notre pays, serions-nous des renégats ? »
L’UGEMA lance un appel à une grève illimitée des étudiants et lycéens. C’était un 19 mai 1956, deux ans et demi après le déclenchement de la guerre d’indépendance.
Ce fut en pleine guerre de Libération, en juillet 1955, que des étudiants créèrent l’UGEMA pour mobiliser ses membres autour de l’objectif fondamental de la Révolution, l’indépendance nationale. Ce qui attire immédiatement sur les adhérents les foudres de l’appareil répressif colonial.
A l’université d’Alger, les étudiants algériens, au nombre de 500 contre 4 500 européens, étudiants soumis en permanence aux provocations alors que dans les centres universitaires de France, l’attitude était généralement hostile. Il y a eu toute une série d’arrestations, d’enlèvements, de tortures et même d’assassinats de dirigeants et de membres de l’Ugema.
Le cas le plus dramatique fut celui de Kacem Zeddour, mort après avoir été sauvagement torturé. La police française a ensuite jeté à la mer son cadavre ficelé dans un sac lesté de 70 kg de plomb. Mais, trois semaines plus tard, le corps s’échoua sur le rivage et l’affaire a fait la une de la presse française. La septième Conférence internationale des étudiants a, alors, déploré “les atteintes à la liberté de l’enseignement” et “dénonce l’usage de la torture à l’encontre des étudiants algériens”. Elle a exprimé l’espoir de voir l’aboutissement d’un règlement “équitable et rapide” du problème algérien, grâce à la reconnaissance de l’indépendance nationale, “condition première pour un enseignement libre et démocratique en Algérie”.
L’année universitaire 1957/58 a débuté sur une note de détente, l’ UGEMA ayant annoncé qu’elle allait cesser de boycotter les cours et les examens. La grève, qui durait depuis mai 56, avait été décidée à l’origine par la section d’Alger de l’ UGEMA qui demanda à ses adhérents de rejoindre leurs frères dans les rangs de l’ALN. Le comité exécutif de l’union devait étendre ensuite l’ordre de grève à toutes les universités de France, en signe de solidarité avec la lutte du peuple algérien et de loyauté et d’attachement des jeunes intellectuels algériens envers leur peuple, démonstration destinée à réfuter les allégations françaises selon lesquelles la Révolution algérienne était l’œuvre d’agitateurs non soutenus par la majorité.
L’ordre de grève a été suivi par la grande majorité des étudiants algériens qui cessèrent d’assister aux cours et boycottèrent les examens de juin 1956.
Le 13 décembre 1956, le comité exécutif avait étudié la possibilité de mettre fin au mouvement, mais il a estimé que le moment n’était pas propice, considérant, d’après Mouloud Belahouane qui était alors président du comité, que “rien de nouveau, bien au contraire, ne s’était produit en Algérie”.
Cette grève a imposé de lourds sacrifices aux étudiants algériens et sa prolongation, en 1957/58, aurait pu avoir pour conséquences de leur ôter définitivement le statut d’étudiant dans les universités françaises. De plus, la chute catastrophique du nombre d’élèves sortant de l’enseignement secondaire avec leur bac, chute due aux malheurs de la guerre, signifiait que le pays était menacé de paralysie par manque de cadres qualifiés à même d’assumer des responsabilités une fois l’indépendance acquise. Ce nombre était, d’après l’union, descendu à moins de 250 par an, soit moins du tiers du chiffre antérieur à 1954.
C’est pourquoi l’ UGEMA annoncera, le 14 octobre 1957, lors d’une conférence de presse à Paris, que l’ordre de grève était levé, sauf à l’université d’Alger dont l’esprit colonialiste n’est plus à démontrer. L’union affirmera à cette occasion que la grève avait atteint son objectif premier qui est celui d’attirer l’attention de l’opinion internationale sur la “volonté de l’UGEMA de s’engager pleinement dans le combat libérateur”.
La conférence se terminait par cette déclaration : “Confiant dans l’issue finale du combat libérateur et conscient des lourdes charges qu’il aura à assumer pour édifier un État nouveau et en assurer un fonctionnement harmonieux, l’étudiant doit se préparer à faire face à ses nouvelles responsabilités. Investi de cette nouvelle mission par son peuple, il apporte la preuve de sa foi en l’avenir en préparant, en pleine guerre, les lendemains de la victoire, en donnant à l’Algérie indépendante les cadres solides, éprouvés et dignes de l’esprit révolutionnaire de son peuple.”
Il serait certainement erroné de voir dans la fin de la grève un changement quelconque d’orientation de l’union et des étudiants algériens, mais plutôt, comme l’indique la déclaration, la fin d’une phase.
Article écrit par Ali Mebtouche, ancien moudjahid. Paru in le quotidien Liberté le 19 mai 2009
Illustration :
- L’étudiant Amara Rachid avec Abane Ramdane et des étudiantes faisant fonction d’infirmières au maquis.