Amina Hanim, fille du dernier Dey d’Alger

Une revendication en nationalité française a été formée par Amîna Hanim, fille du Dey Hussein , dernier gouverneur de l’Algérie ottomane, elle interroge ainsi le régime des appartenances étatiques en situation de succession d’Empires. La trajectoire d’Amina déploie, au fil des récits sur 1830, la manière dont le droit et ses littératures participent à la fabrique juridique de la nationalité.

Quel fut le destin du dey et de sa famille, après la prise d’Alger ?

Débarquement de l’armée française en 1830 – Gravure datant de 1840

Lors de l’entrée des troupes françaises à Alger, le Dey et sa famille étaient dans leurs palais : le pavillon algérien fut immédiatement remplacé par le pavillon français. Le peuple Algérien était en fureur contre le Dey le soupçonnant d’avoir livré le Pays ; de sorte que le Général français dut immédiatement pourvoir à sa sûreté : Il se fit consigner par lui les caisses qui contenaient le Trésor de l’État et laissa le Dey recueillir les objets précieux particuliers qu’il fit transporter sur une frégate où il s’embarqua avec toute sa famille. En quittant la casbah Hussein Dey ne toucha à rien d’autres qu’à ses objets personnels, il se voyait comme responsable de la perte d’Alger. La capitulation d’Alger avait fait de la France, conformément aux lois de la guerre, le gouvernement légitime de la Régence et le propriétaire de ses biens.

Le dey quittant Alger

Le 10 juillet 1830 Hussein Dey quitte Alger avec sa famille : son épouse principale, Lalla Fatma, fille de Sidi Hassan Pacha, et trois concubines, son frère et son neveu, trois de ses filles dont deux sont mariées. Il emmène aussi sa suite, un total de 110 personnes des deux sexes. Hussein Dey et sa suite embarquent sur le navire français Jeanne d’Arc. Il réside quelque temps à Paris avant d’être expulsé par le gouvernement de Charles X et de s’installer à Napples, puis Livourne.

Pendant son séjour à Paris, la presse ne parle que de lui. On rapporte que l’ex dey se montrait partout, et il fit l’objet de toutes les conversations pendant plusieurs semaines. Il se plaindra de ces intrusions dans sa vie privé à un écrivain français en ces termes : « ces travestissements ne m’offense pas, ce sont des misères, mais ils m’étonnent de la part d’hommes qui doivent être les plus distingués d’une nation qu’on m’a dit si polie. La foule assaillisait le vieux dey et chacun voulait gagner un peu d’argent en mettant son nom sur une affiche, publication ou encore en notoriété. Ainsi on l’invitait à honorer de sa présence des soirées en espérant qu’il arrive avec tous les attributs qu’on lui imaginait.

Le dey à l’opéra

Un jour qu’il était à l’Opéra, il créa la déception tant ses vêtements étaient simples et bijoux peu clinquants. Néanmoins, il était décrit comme charmant, avec une belle tête et un laisser aller naïf qui lui donnait de la sympathie. Un jour, une dame qui lui rendit visite tant par courtoisie que par curiosité, lui demanda s’il regrettait Alger. Il lui répondit par le biais de son inteprete en lui contant une histoire : « j’avais un rossignol, que j’aimais beaucoup et à qui j’ai donné beaucoup de soins. J’en vins à croire qu’il avait totalement oublié l’Atlas. Un jour, j’ouvris sa cage et il s’envola vers sa montagne. Il ne revint plus jamais ».

Moins heureux que son rossignol, Hussein ne reverra jamais plus son Atlas car accusé d’intriguer pour favoriser un soulèvement de la population algérienne et d’entretenir un réseau d’espions en Europe et en Afrique du Nord, il est exilé à Alexandrie pour être placé sous la stricte surveillance de Méhémet Ali,. Il y meurt à une date qui n’est pas connue avec précision, mais qui se situerait autour de 1838.

La protection de la France pour le Dey et sa suite fait date depuis la capitulation de ce dernier. En Egypte, toute la famille était inscrite au Consulat de France au Caire sur le registre des protégés français. Lors de l’incendie du Consulat au Caire, le passeport du Dey fut brûlé. Mais le registre fut sauvé et c’est là qu’on trouva la justification de la Protection que pour l’administration française la Princesse AMINA HANEM n’a jamais perdue.

Alors pour quel intérêt Amina Hanem, Fille du dernier Dey d’Alger entreprend une quête en nationalité française ?

Pour la partie française, 1830 désigne Hussein Dey comme l’étranger, le souverain déchu, Turc, dont l’exil est signifié comme retour chez soi. C’est ce que sa fille, Amîna Hanım, va contester à l’occasion d’une question de nationalité qui émerge près d’un demi siècle après, en 1890. En quittant Alger, elle veut lester son père d’une part du droit, la nationalité française, qu’il aurait dû acquérir, même malgré lui, par effet d’une conquête non désirée.

C’est le 3 novembre 1869, âgée de 50 ans et veuve de son état, qu’Amîna appose sa signature sur le registre des Algériens au consulat de France au Caire. Le 4 juin 1879, son nom est retranscrit sur celui du consulat de France d’Alexandrie. À cette date, Amîna reçoit une « carte de séjour ». Cette opération est l’indice d’un changement de résidence ou, a minima, la volonté d’être au plus près de ses intérêts patrimoniaux. Mais c’est 20 ans plus tard, qu’Amîna s’adresse au Président de la République française en formulant une requête plus directe. 

Fille en effet d’un prince détrôné par la France, elle a réclamé et obtenu il y a plus de 20 ans, et après son veuvage, le protectorat de la puissance dont l’autorité remplace aujourd’hui celle de son père dans le pays où elle est née. Cette circonstance constitue au profit de l’intéressée une situation spéciale. 

Au Président français, par l’entremise de ses consuls à l’étranger, elle réclame le droit à une pension compensatoire aux biens de son père confisqués lors de la chute d’Alger. La nationalité française n’est pas l’objet d’une revendication mais l’évidence sur laquelle se fonde la réclamation. 

Le 31 mai 1895, soit 6 années après l’arrangement diplomatique, Amîna réitère au consul général de France en Égypte une demande en indemnisation des biens confisqués de son père, à défaut de pension gracieuse. Elle exhibe par la parole des titres de propriétés conservées en Algérie. Amina n’aura pas gain de cause s’agissant des biens de son père, mais cette intention de se rattacher aux conséquences juridiques d’une conquête n’est pas sans effet sur la définition de l’événement. La plainte est alors cumulative car, au-delà des intérêts particuliers, elle met au débat 1830 en offrant à une défaite sa revanche littéraire.

LA question de la nationalité se propose de réévaluer l’évènement 1830 en questionnant la relation du droit aux faits historiques. Il invite aussi à restituer l’histoire de l’Algérie colonisée dans une perspective encore ottomane.

Mira Gacem

Sources :

Boyer Pierre, 1963, La vie quotidienne à Alger à la veille de l’intervention française, Paris, Hachette.

Plantet Eugène, 1889, Correspondance des Deys d’Alger avec la Cour de France, Paris, Alcan, tome II.

Sebag Paul, 2008, « Alger à la veille de la conquête française »

Les nationalités d’Amîna Hanım. Une pétition d’hérédité à la France (1896-1830) Noureddine Amara

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