L’Achoura est, depuis des siècles, la fête de la famille avec ses traditions. Cette manifestation revêt une signification spirituelle et sociale indéniable. C’est aussi un jour de partage et de charité. Elle rappelle l’obligation de faire l’aumône, de s’acquitter d’une contribution matérielle, la zakat, pour assister les plus démunis.
Bien que le principe soit religieux, chacun marque à sa façon ce jour de fête. Cette fête religieuse est l’occasion de se replonger dans l’histoire et de nous rappeler nos us et coutumes. En plus des traditions ancestrales qui existent depuis la nuit des temps pour célébrer
l’Achoura, certaines superstitions propres à notre société sont là, collées à cette manifestation pourtant ô combien religieuse. Ainsi, en sus du jeûne observé par les Algériens et la générosité qui les caractérisent, certaines régions de l’Algérie développent à cette occasion des pratiques auxquelles il ne faut surtout pas déroger. Dans la région de la Kabylie, par exemple, les garçons nés au cours de l’année font l’objet d’un rite ancestral qui rassemble tout le village. La veille de la fête, les femmes de la famille du petit mettent du blé cuit à la vapeur dans des plats en bois agrémenté d’œufs durs. Le jour de l’Achoura, journée de bénédiction des futurs hommes, le bébé est habillé du burnous de son père ou de son grand-père, ou d’autres hommes de la famille, et des youyous fusent de toutes parts au mausolée de la tribu. Puis, les habitants du village font une prière en demandant à Dieu de protéger l’enfant, avant de savourer les mets préparés par la famille. Les festivités de l’Achoura sont grandioses, et on assiste à des journées très animées où t’bal, baroud et danses sont de la partie. Dans d’autres régions du pays, à l’exemple de Constantine, les enfants font du porte-à-porte pour ramasser dans leurs paniers des bonbons et des friandises. Les jeunes Constantinois, prêts à se marier, choisissent cette journée pour le concrétiser, organisant leur fiançaille ou mariage, mais c’est surtout une occasion de réunir toute la famille autour de la traditionnelle «chakhchoukha» qui fait la fierté de la wilaya. Au centre du pays, ce sont toujours les enfants qui sont au centre de cet événement. «Un nombre non négligeable de parents, si ce n’est pas tous, attend toujours la fête l’Achoura pour couper — pour la première fois — les cheveux de leurs enfants cadets. Ceci confère à l’événement, une touche de joie, dans la mesure où l’enfant devient le centre d’intérêt de tout le voisinage», nous confie une maman qui avait préparé la tenue que portera son fils, à cette occasion.
Tchekhtchoukha, kadid, couscous… des repas conviviaux
Chez certaines familles, c’est plutôt le kadid qui fait la particularité du repas de cette journée. Après avoir sacrifié le mouton de l’Aïd, on réserve une partie de la viande qu’on recouvre de sel, et qui servira comme ingrédient principal pour la préparation du berkoukès, «plat inévitable pour l’Achoura», nous dit cette mère de famille pour laquelle le repas à cette occasion reste l’événement le plus important de la journée. «Le repas de l’Achoura reste un moment de convivialité et de retrouvailles qu’on ne veut ni rater ni sacrifier. «C’est un bonheur de se retrouver autour d’une table commune loin des tracasseries quotidiennes.», confirme cette maîtresse de maison qui a l’habitude d’inviter à cette occasion ses filles mariées, gendres et belles-filles. «Il n’est pas question qu’on occulte les festivités de cette fête comme l’Achoura, pour la simple raison qu’elle est aussi célébrée par les juifs. Pourquoi priver les enfants et les adultes d’une journée festive pour faire plaisir à des personnes un peu extrémistes sur les bords», dit un citoyen rencontré au marché Ferhat-Boussad à Alger qui achetait des bonbons, du chocolat et des fruits secs pour le «treize», un rituel réservé à la soirée de l’Achoura.
Un autre rite ancestral propre aux musulmans, c’est se passer les paumes des mains et la plante des pieds au henné pour fêter Achoura, une plante «bénie par les anges, puisque étant un végétal du paradis». Le henné n’est pas le seul apanage des femmes, les hommes en mettent également. À Tlemcen, la veille de l’Achoura, on achète du henné qui servira toute l’année pour soigner des maladies. Dans la vallée du M’zab, les familles plaçaient la «gassaâ», un grand plat en bois, à l’envers en l’enduisant de henné. Elles y posaient, durant la nuit, l’omoplate du mouton de l’Aïd-el-Kebir, la légende dit qu’un ange descend du ciel pour y inscrire le verset de la Lumière, sourate El-Nour. Toujours au M’zab, et dans le cadre de cette fête du dixième jour de Moharrem, on cuit comme plat «ivaoune», des fèves sèches trempées la veille et cuites dans de l’eau des puits des palmeraies. Selon la tradition, la ménagère trempe les fèves dans de l’eau douce de la palmeraie de Ghardaïa, avant de les faire bouillir sur un brasier durant toute la nuit. Décortiquées et assaisonnées de sel et d’huile d’olive, les fèves sont à déguster dans la matinée, distribuées aux voisins et passants par les enfants entonnant une chansonnette dédiée à la circonstance.
La baraka, les offrandes et les prières au rendez-vous
Cette fête est un véritable rite et une cérémonie de réjouissance, comme Timechrat et zerda, une occasion de retrouvailles. Les nombreux mausolées à travers les localités et villages de la haute Kabylie, notamment à Larbâa Nath Irathen, à Béni Douala, à Aïn El- Hammam, à Mekla, à Souamaâ, à Bouzguène, sont l’espace d’une journée un lieu de convergence pour des milliers de personnes qui viennent en quête de baraka des saints patrons des lieux. Sur place, on fait des offrandes, des dons, avec de l’argent ou autres, avant de s’adonner aux prières et vœux pour la prospérité et la paix. Cette occasion est vénérée en Kabylie. Elle permet surtout de remplir les caisses communes des villages qui serviront généralement au financement des projets des villages et à l’entretien des ruelles et des cimetières. L’Achoura, ce n’est pas seulement les prières et les collectes de dons. C’est aussi une occasion inouïe pour les jeunes filles de se faire belles, d’implorer les saints en vue d’un éventuel prétendant au mariage.
Il existe un adage qui déconseille aux jeunes de s’engager pour le mariage le jour de Taâchourt, car, en pareille occasion, toutes les filles se font belles et s’habillent de leurs plus beaux atours.
Source : Farida Larbi – https://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/100256