Grand maître incontesté du chaâbi, il laisse une empreinte profonde sur plusieurs générations de mélomanes. Une école de son vivant une véritable légende après sa mort.
Originaire de Béni Djennad (Tizi-Ouzou), M’Hamed El Anka voit le jour un 20 mai de l’année 1907 dans un quartier de la Casbah d’Alger. Ce jour là, son père, Mohamed Ben HadJ Saîd, est malade. C’est donc son oncle maternel qui se rend à l’état civil pour inscrire le nouveau-né. Se présentant en tant que tel : « Ana khalo » (je suis son oncle), le préposé entend « Halo » et l’inscrit sous ce prénom. Son nom au complet est donc Aît Ouarab Mohamed Idir Halo.
A l’âge de la scolarité, le jeune M’Hamed El Anka est inscrit à l’école coranique (1912-1914), puis à l’école publique Fatah Brahim (1914-1917), et enfin dans une autre école à Bouzaréah (hauteur d’Alger) de 1917 à 1918. A 11 ans, il quitte les bancs de l’école pour travailler. Comme la majorité des enfants « indigènes », il doit aider à subvenir aux besoins de la famille.
Passionné de musique dès son jeune âge, il fréquente le café où se produisait Cheikh Nador ; et c’est grâce à Si Saïd Larbi, un musicien de renom qui fait partie de l’orchestre de Mustapha Nador, que le jeune M’hamed obtient le privilège d’assister aux fêtes animées par ce Grand maître qu’il vénère.
Durant le mois de Ramadhan de l’année 1917, le cheikh remarque la passion du jeune M’hamed et son sens inné du rythme. Il lui offre l’occasion de tenir le tar (tambourin) au sein de son orchestre. De là, Kehioudji, un demi-frère de Hadj Mrizek, le prend comme musicien à plein temps dans son orchestre qui anime les cérémonies de henné réservées généralement aux artistes débutants.
Après le décès de cheikh Nador, le 19 mai 1926 à Cherchell, le jeune M’hamed prend le relais du cheikh dans l’animation des fêtes familiales, grâce aux diwanes (recueils) gracieusement offerts par la veuve Nador. L’orchestre est constitué entre autres de Si Saîd Larbi, de son vrai nom Birou, d’Omar Bébéo (Slimane Allane) et de Mustapha Oulid El Meddah.
En 1927, il participe aux cours dispensés par le cheikh Sid Ali Oulid Lakehal, enseignement qu’il suivit avec assiduité jusqu’en 1932.
1928 est une année charnière dans sa carrière : il rencontre le grand public. Le succès est incontestable. C’est à cette période qu’il enregistre son premier disque.
Imprésario et chef d’orchestre, El Hadj M’hamed El Anka conduit sa troupe à partir de la fin des années 1930, dans des interprétations aussi riches que multiples. C’est ainsi qu’il se produit simultanément dans les fêtes familiales, les salles de concert et les studios d’enregistrement.
Après son retour de La Mecque en 1937, il reprend ses tournées en Algérie et en France et renouvèle sa formation. Après la Seconde Guerre mondiale, El HadJ M’Hamed El Anka est invité à diriger la première grande formation de musique populaire de Radio Alger à peine naissante et succédant à Radio PTT.
Et contrairement à Cheikh Nador Mustapha qui chantait des « medh » (chants religieux), El Hadj sort du sacré pour chanter tout ce qui à trait à la vie, s’inspirant de musique andalouse et berbère. Virtuose, il introduit un nouvel instrument, le mandole (une sorte de grosse mandoline fabriquée par un espagnol à sa demande), puis la derbouka, le piano, le banjo. En d’autres termes, El Hadj M’hamed El Anka révolutionne la musique à son époque. Avec les nouvelles sonorités et un rythme plus rapide, il crée le chaâbi tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Une production prolifique le conduit à enregistrer plus de 130 disques (au format 78 tours et plus tard en 33 tours). Il anime régulièrement des soirées artistiques dans les cafés maures, lors des veillées de ramadan. A partir de 1943, il se produit au café des Sports, situé au 23 rue Bruces et au café de l’Espoir, situé au 11 rue de Chartres, deux propriétés de Hadj Tamene Belkacem.
À compter du début des années 1950, il ne se produit qu’au café Malakhof dont il acquit la propriété.
Artiste perfectionniste, il fréquenta régulièrement l’école Thaâlibia pour parfaire sa maîtrise de la langue arabe et voyage beaucoup à la recherche de nouvelle qacidates, en Algérie et au Maroc.
En 1955 il fait son entrée au Conservatoire municipal d’Alger. Il est professeur de chaâbi. Ses premiers élèves deviendront tous des cheikhs à leur tour : Amar Lâachab, Hassen Saïd, Rachid Souki…
Durant la deuxième moitié des années 1950, en plein mouvement de libération, Hadj M’hamed El Anka suspend son activité artistique en solidarité avec le mouvement de lutte de son peuple et suite à l’appel de boycott lancé par le FLN.
Pendant les années 1970, les apparitions du maître deviennent rares. Quelques centaines de chanceux ont assisté au récital donné en une date unique à la salle Atlas (ex Majestic) en 1975 et où le maître, en dépit de l’âge et d’une santé déclinante, a prouvé la plénitude de la maîtrise de son art.
Il animera les deux dernières soirées de sa carrière jusqu’à l’aube, en 1976, à Cherchell, pour le mariage du petit-fils de son maître cheikh Mustapha Nador et, en 1977, a El-Biar, chez des familles qui lui étaient très attachées. Il décède le 23 novembre 1978, à Alger et sera enterré au cimetière d’El-Kettar.
L’une de ses plus célèbre qacida reste « Lahmam li rabitou mchaa allia… » (Le pigeon que j’ai adopté m’a quitté). Selon le témoignage de son fils, El Anka avait reçu en cadeau un pigeon. Et pour le garder, il lui coupa les ailes, pensant que l’oiseau s’habituerait à lui avant qu’elles ne repoussent. L’oiseau le quittera et le Maître en a été très affligé. Au-delà de l’anecdote, la qacida reste une métaphore sur la tristesse des parents qui voient, un jour, leurs enfants quitter le nid familial et voler de leurs propres ailes.
El Anka, un véritable génie, a été un chef de file, le créateur d’un genre musical, l’initiateur d’une nouvelle école, bref, un Maître incontestable et incontesté du chaâbi.
Synthèse Z. M.
Sources :
- « Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie », par Achour Cheurfi. Editions ANEP, 2007.
- www.music-berbere.com
- www.webchaabi.com