Du 21 avril au 30 juin 1903, se tient à Paris une exposition d’arts musulmans*, au pavillon Marsan (aujourd’hui musée des arts décoratifs).
L’événement marque une rupture avec le précédent (1893), qui malgré sa modernité était tout de même fortement lié à une perception orientaliste des Arts de l’Islam. La rupture annoncée par la nouvelle exposition, se concrétise par une sélection rigoureuse, dont sont exclues les pièces à caractères ethnographiques issues des colonies françaises.
Gaston Migeon, conservateur des objets d’arts du Louvre à ce moment là, et organisateur de l’exposition de 1903, fait appel à de savants épigraphes pour déchiffrer les inscriptions figurant sur les objets, proposant ainsi des datations inédites des œuvres, lesquelles seront organisées en séries cohérentes. C’est la première fois qu’un tel travail est engagé. Le succès de cette exposition en fait un repère, et construit la matrice de la conception des Arts Islamiques.
Comment exposer ces objets ?
Nous ne disposons d’aucune illustration nous permettant de nous rendre compte de l’arrangement spatial de l’exposition; néanmoins, une réflexion muséographique se fait jour dans une critique de l’exposition émanant d’un peintre orientaliste : Etienne Dinet, publiée dans la revue « art et décoration ». L’artiste avait proposé de réagencer et de réorganiser l’espace, en plaçant les objets dans leur contexte, c’est-à-dire, selon lui « en respectant la lumière pour laquelle ils on été créés ».
Extraits choisis : le plaidoyer pour la lumière d’Etienne Dinet
« Après avoir été bien injustement négligés, les Arts musulmans existent enfin dans le monde des collectionneurs et des artistes l’enthousiasme dont ils sont dignes. […] Jamais peut-être une exposition n’avait réuni une collection aussi choisie de chefs-d’oeuvre de cet Art. […] Toutefois, nous avouons que nous en sommes sortis avec une satisfaction mélangée de quelques regrets, que nous éprouvons le besoin d’exprimer ici. […] Autrement instructive serait à notre avis l’étude de l’idéal poursuivi par ces imaginations éprises du merveilleux et des moyens employés pour le réaliser. [… ] Il est une préoccupation qui dominait toutes les autres chez ces grands artistes : celle du pari à tirer des jeux féeriques de la lumière.
Aucune contrée ne possède une lumière comparable à celle de l’Orient et aucun art n’en a connu les secrets à l’égal de l’art musulman, qui en a fait le but constant de toutes ses recherches. […]
Les organisateurs, après avoir décidé les collectionneurs à prêter leurs trésors, ce qui n’est pas chose facile, après avoir écarté tout ce qui n’était pas art pur […], ils ont parait-il, dû céder aux exigences de certains collectionneurs et, forcés de renoncer à toute idée d’art directrice, et concevoir leur exposition suivant les habitudes des musées. […]
Nous trouverons les cuivres avec les cuivres, les faïences avec les faïences, etc., sans aucune préoccupation des différences de lumière qu’exigent ces objets qui, pour le gros public, semblent de même nature, et sont en réalité si dissemblables, ayant été créés pour ne vivre jamais dans le même éclairage. Voilà l’erreur indiscutable, et elle est grave, puisque par la suite de la malice du hasard qui a présidé à la distribution des places, presque aucun de ces spécimens, d’un art basé sur la lumière, ne se trouve éclairé par le jour qui lui convient.
Telles sont les réflexions irrévérencieuses que s’est permises un modeste orientaliste, qui n’est ni savant, ni un amateur, mais simplement un artiste et qui ne peut s’empêcher de considérer les arts comme l’expression la plus haute et la plus éloquente de la vie et de l’idéal des peuples, et qui craint qu’on ne fasse de l’art enchanteur de cet Orient merveilleux ce qu’on a fait pour nous de sa littérature : une chose morte entre les mains des grammairiens et des historiens […] qui oublient trop souvent que si, cet art et cette poésie exercent une fascination aussi intense sur nos imaginations, c’est qu’ils ont puisé leurs éléments aux sources les plus émouvantes de la vie et de la nature et qu’ils sont le véritable reflet du grand soleil d’Orient auquel nul ne peut être comparé. »
Il convient de préciser que la manière commune d’exposer les arts de l’Islam découle d’une idée d’un orient de rêve, qui se matérialise par les différentes expositions universelles. L’idée d’un Orient importé se propage et finit par pénétrer les maison bourgeoises; ainsi, les éléments de décorations arabes, sont des pièces maîtresses de l’incontournable salon oriental (XIXe, début XXe siècle).
L’exposition de 1903 souhaite rompre avec cette tradition quasi pittoresque de représenter l’Orient. Les collection sont disposées cette fois-là de façon scientifique, selon une classification par matériaux.
Dans sa proposition quelque peu contradictoire, Dinet suggère la présentation de cet art dans son contexte, afin que le public puisse en capter l’essence originelle. Mais en mettant l’accent sur la question de la lumière, il réitère lui-même un poncif orientaliste. Si le plaidoyer n’a pas eu d’écho favorable à ce moment là, il connut un succès certain, à la naissance du projet concernant un nouveau département au Louvre : celui dédié au arts de l’Islam en 2003.
*Le terme « art musulman avant déjà été employé lors d’une autre exposition parisienne qui s’était tenue en 1893 au Palais de l’Industrie, et concernait tous les pays soumis à loi de l’islam.
Mira B.G
Sources :
- Etienne Dinet, « Les jeux de la lumière. Observation sur l’exposition des Arts musulmans organisée par l’union centrale des arts décoratifs« , in Revue et Décoration, juin 1903
- Oelg Grabar, « penser l’art islamique », Albin Michel 1996
- Rémi Labrusse, Purs déco? Arts de l’Isla, regards du XXe siècle, Les arts décoratifs, Musée du Louvre, 2007
- Jean Gabriel Leturcq « L’invention de l’art islamique« , Qantara
- Illustration : Autoportrait de l’artiste réalisé en 1891, musée Nasreddine-Dinet, Bou-Saâda