Le Rebelle, le cardinal de la chanson kabyle, le symbole, le martyr… Matoub Lounes était le roi de la chanson engagée. Il a été assassiné, dans un faux barrage, le 25 juin 1998.
Matoub Lounes ou Lwennes AthLounis est né à Taourirt Moussa, un village de la daïra de Beni Douala au cœur de la wilaya 3, le lundi 24 Janvier 1956, soit une année et demie après le déclenchement de la guerre de libération, une guerre qui a beaucoup influencé l’adolescent, puis l’artiste.
Petit garçon, il aime particulièrement le retour des moudjahidines au village et suit leurs traces partout. Il fabrique des pistolets et des mitraillettes de fortune et se voit déjà en vaillant moudjahid. À 6 ans comme la plus part des enfants de son âge, il a rejoint l’école primaire de Taourirt Moussa puis l’école des pères Blancs a Beni-Douala. Très bon élève dès le début de sa scolarité, Matoub est aussi attiré par la musique. A neuf ans, il fabrique une guitare avec un bidon d’huile. Il apprend par cœur les chants traditionnels que chante sa mère Nna Aldjia. Matoub vit dans la même région que Chikh El hasnaoui, Slimane Azem et Cherif Hammani. Il fait plusieurs kilomètres à pied pour assister à leurs galas.
Son père étant émigré en France, Lounes le remplace dans ses tâches, notamment aux assemblées du village, Tajmaat, et s’impose dans toutes les affaires, ce qui le rend adulte avant l’heure. Durant les années 1970, alors que sa famille déménage aux Issers, dans la wilaya de Boumerdes, Lounes va au lycée de Bordj Menail. A cette période, il commence déjà à s’engager pour la cause berbère. Son engagement lui vaut beaucoup d’inimitié au sein de son lycée, surtout après s’être opposé à l’arabisation. Suite à un incident avec le gardien de l’internat qui a tenu des propos anti amazighe, Matoub Lounes est contraint de quitter les bancs de l’école. Il s’inscrit pour une formation en mécanique générale au CFPA de Bord-el-Bahri, à Alger, mais quitte le centre au bout de quelques mois pour passer son service militaire à Oran où l’attend une nouvelle vie. D’abord, il voit de près le régionalisme et le rejet de la culture Amazigh.
Il est plus que jamais convaincu de la justesse de ses positions. Lors du conflit algéro-marocain, en 1975, Matoub Lounes refuse d’aller combat aux frontières, ce qui lui vaut une comparution au tribunal militaire. En 1977, il quitte l’Algérie pour la France. Prenant exemple sur Chikh Hadj M’hamed El Anka, Slimane Azem, Chikh El-Hasnaoui et Dahamane El-Harrachi, il tente de se faire un nom au sein de la communauté algérienne émigrante en France. Il est très vite remarqué par la diva H’nifa et Idir. Ce dernier l’encourage à enregistrer son premier album en 1979. « Ay Izem » est une composition de chansons folkloriques Kabyles avec des touches modernes (synthétiseur, et batterie), une première dans la chanson kabyle. Matoub obtiendra le disque d’or suite au nombre de cassettes vendues.
A l’âge de 23 ans, il devient l’enfant prodige de la Kabylie. Il anime un gala à guichet fermé à l’Olympia, en avril 1980, juste après les événements du printemps berbère. Sur scène, il rend hommage à l’initiateur de l’événement et ose prononcer le mot Amazigh dans ses chansons, un mot tabou durant cette période. Matoub Lounes se fait un nom parmi les grands militants algériens, à coté de Mouloud Mammeri et Kateb Yacine qui le surnomme « le maquisard de la chanson kabyle ».
Matoub continue à se produire régulièrement, accompagnant les événements politiques du pays : le combat identitaire, la démocratie, la lutte contre la montée de l’intégrisme islamiste, un combat qui a faillit lui faire perdre la vie. Durant les manifestations d’octobre 1988, alors qu’il se rend à à Ain Hammam pour distribuer des tractes appelant à la grève et à la solidarité, un gendarme ouvre le feu sur lui, il est criblé de balles. Après deux années d’hospitalisation et de nombreuses opérations, Matoub réapparait un album intitulé «L’ironie du sort », puis un autre en 1991 « Regard sur l’histoire d’un pays damné », un album dans le style châabi pur, jugé très mature d’un point de vue artistique. En 1992, il sort un autre album où il rend hommage au président Boudiaf récemment assassiné. L’année d’après, il rend hommage à Tahar Djaout dans l’album « Kenza ».
Cette même année, il anime des spectacles à Montréal et à San Francisco, invité par la communauté Afro-indienne. Il sera honoré par la pose d’une plaque commémorative à l’université de San Francisco. En 1994 Matoub Lounes vit de nouveau un autre cauchemar. L’artiste est kidnappé par un groupe terroriste, le 26 Septembre, non loin de Beni Douala. Le GIA revendique le rapt, mais le chanteur est miraculeusement libéré après 16 nuits de séquestration, suite à une forte mobilisation nationale et internationale. Il répondra à ses ravisseurs par un album mûr, structuré et très engagé, intitulé « Assirem » (L’espoir). Se disant témoin de son temps, Matoub reçoit le Prix de la mémoire collective, le 6 décembre 1994, à la Sorbonne, en France. Son nom résonne dans les grandes capitales occidentales.
En 1995, il reçoit le premier prix de la liberté d’expression par l’agence Sky, au Canada. Cette même année, il publie son autobiographie, « Rebelle » (Ed. Stock, 1995). Deux plus tard Matoub atteint le sommet de son art. Il signe un album châabi, « Au nom de tous les miens », inspiré du livre de Martin Gray qui porte le même titre que l’album. Matoub qui a marqué toute une génération par ses textes engagés, ses chansons d’amour, son amour pour la patrie quittera la vie un jeudi 25 Juin 1998. Accompagné de son épouse et ses deux belles sœurs, il quittera le restaurant « Concorde » à Tizi-Ouzou, à 13 heures. Sur le chemin du retour vers Beni Douala, il tombe sur un faux barrage. Il est encore une fois criblé de balles. Mais cette fois-ci, il ne s’en relèvera pas. Matoub Lounes sera inhumé dans son village, le 28 juin 1998. Plus d’un millions de personnes l’accompagneront à sa dernière demeure. Son dernier album sortira le 5 Juillet 1998, soit 11 jours après son assassinat.
Le succès est encore une fois au rendez-vous d’un opus jugé exceptionnel, qualifié de chef d’œuvre même. Le titre phare est une chanson sur la musique de l’hymne national Qassamen. Interdit de vente, l’album se vend pourtant à des milliers d’exemplaires. Disparu à 42 ans, après 20 ans de carrière, Matoub Lounes laissera derrière lui un répertoire de 28 albums, un livre et beaucoup de citations. Il demeure, aujourd’hui encore, un symbole pour son engagement et son talent.
Il disait : « La terre est ma patrie, l’humanité est ma famille ….. Je préfère mourir pour mes idées que de mourir dans la lassitude ou de vieillesse dans mon lit …… toutes et tous pour une Algérie meilleure »
AZIZ HAMDI