Cérémonie de recueillement à la mémoire de Ferhat Cherkit :
« Il y a 20 ans, Ferhat Cherkit, journaliste à El Moudjahid, était assassiné par la horde terroriste. Par devoir de mémoire et afin que nul n’oublie, une cérémonie de recueillement sur sa tombe aura lieu le samedi 7 juin à 10h, au cimetières d’El-Alia.
Que Dieu accueille le défunt en Son Vaste Paradis. »
Ferhat Cherkit, était journaliste à El Moudjahid, lorsqu’il tombe sous les balles lâches des terroristes. C’était le matin d’un jour ordinaire dans une ruelle d’Alger, alors qu’il se rendait à son journal pour la réunion du “menu”.
Ce jour-là, “les chasseurs d’étoiles”, pour reprendre la métaphore de Matoub Lounès, l’ont empêché d’être présent à cette réunion. Et à toutes les réunions qui suivront. Pour autant, Ferhat, le “barbu”, a marqué à jamais de sa personne la rédaction d’“El Moudjahid” dont il a été l’un des piliers au sein de la rubrique culturelle.
Dans son bureau où livres et revues étaient posés pêle-mêle, Ferhat, avec ses lunettes au bout du nez, en train de mettre la dernière main à un papier sur une “expo”, “une générale” de théâtre. Entre un jet et un autre, Ferhat trouvait le temps de s’arracher à son papier pour raconter une anecdote, faire un commentaire. Toujours avec ce sourire en coin qui fait de lui le complice involontaire de son interlocuteur. Ferhat Cherkit, c’est la passion pour la culture qu’il partage avec cette rubrique qui a abrité bien des plumes.
Ferhat, c’était le journaliste, pour les lecteurs, mais aussi l’homme pour ses collègues, ses amis, sa famille. Un homme affable et bon enfant, un homme généreux. Comme tous les intellectuels victimes du terrorisme, Ferhat a payé de sa vie pour ce noble métier d’informer. Repose en paix ! Ferhat.
Lettre à mon ami, Ferhat Cherkit
Voici un vibrant hommage, rendu par Merzac Bagtache, sur El Watan, dans son édition du 7/06/2007 :
Tu vois, mon ami, ce n’est pas plaisant du tout chez nous. Trop de gâchis humain sans grand résultat ! Tu as « voyagé » vers les hautes sphères, mais, tu n’as pas « disparu », car les bonnes gens, n’en déplaise aux méchants, continuent de vivre. C’est le propre des martyrs, comme le dit si bien le Saint Coran.
Habituellement, lorsque le sang coule abondamment, le changement vers ce qui est positif dans la vie est automatiquement assuré. C’est mathématique, et c’est ce que nous nous apprenons à travers toute l’histoire de l’homme. Chez nous, personne ne pourra nous contredire, les quatre saisons reviennent avec plus ou moins de ponctualité, le reste, par contre, est une espèce de bataille que nous livrons à tout ce qui est absurde dans notre vie sociopolitique.
Nous n’arrivons même pas à arracher quelques secrets à notre propre nature, celle qui s’est installée en nous depuis quelque temps. La raison, c’est mon avis, en est que la rapine s’est bien enracinée dans nos mœurs politiques. Pour certains, plus besoin d’avoir le sésame pour se remplir les poches. C’est ce qui m’écœure le plus, ya khouya Ferhat ! Ceux qui s’attablent pour « bouffer » à ce plat de résistance appelé « Révolution », ainsi que leurs sbires, qui en ont décidé ainsi. La richesse, eh bien, je ne la vois pas. Mon pays est semblable à ce dromadaire qui porte l’eau sur son propre dos et meurt, cependant, de soif en plein désert. Le temps est à la morale, mais celle-ci se fait récalcitrante comme le disait, d’une manière franche, Kaïd Ahmed en 1968, en maugréant contre les moudjahidine : « venez avec vos pelles, et entrez dans la Banque nationale. Videz-là sans vergogne ! »
Eh oui, à trente ans, on possède une banque chimérique, une chaîne de télévision et, surtout, une compagnie d’aviation ! Le dernier procès, comme tu l’as dû l’entendre par la bouche d’un ange dans les sphères supérieures, aurait pu, plus ou moins, remettre les choses à leur place, malheureusement, la peur s’est installée chez nos décideurs. Quand on fait de la politique, on ne doit pas avoir peur d’être assassiné ! Tel Diogène, j’allume ma bougie en plein jour, car, apparemment, il fera encore mauvais jour chez nous, et je me mets à la recherche de « l’Etat », pas du « pouvoir ». Parfois, je le vois se draper dans des oripeaux monarchiques sans aucune raison, d’autrefois, je le vois à la manière républicaine de Franco, s’accompagnant de bruit de bottes lourdes, assaisonné d’un régionalisme sans précédent. Il est parfois, Chaoui, d’autrefois, Kabyle, ou encore, comme de nos jours, Tlemcénien, et il va sans dire que l’Algérie profonde est totalement absente de ce nouveau découpage réalisé par nos politicards. Que l’on ne me dise surtout pas que le peuple n’est pas encore mûr. Cette vieille chanson n’a cessé d’écorcher nos oreilles depuis 1962. Ali la Pointe ne savait peut-être pas lire, mais comprenait bien la leçon lorsqu’il s’agissait de l’Algérie profonde. La passionaria Dehbia Yacef, morte de chagrin par un jour de 1997, savait que La Casbah rimait très bien avec liberté et honneur, et nos amis, journalistes, assassinés par des « mécréants », durant la décade précédente, connaissaient très bien leur histoire, ainsi que celle de l’Algérie, livrée à la rapine au nom de la démocratie.
Mon cher Ferhat, je te le dis avec beaucoup d’amertume : de la mort, j’ai eu un avant-goût, en ce 31 juillet 1993. Je suis vivant, grâce à Allah, et le reste est littérature, mauvaise littérature. Car, il m’arrive de regretter d’avoir versé mon sang pour voir s’installer la stupidité politique dans ce pays ! L’essentiel, en ce treizième anniversaire de ton voyage céleste, c’est que Djamila, Fawzi et Nazim continuent toujours de regarder en direction de l’avenir. (L’écume, selon le Coran, s’en va, tandis ce qui est utile aux hommes demeure sur la terre.) Va quand même pour un bon thé et quelques beignets du côté de la Grande-Poste, comme dans le bon vieux temps !
Sources :
- Liberté, Jeudi 05 Juin 2014
- El Watan , du 7/06/2007