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LA FETE OU LA SOIF D’EXISTER, par Dr Rachid MESSAOUDI.

groupeCela commence par un bruit de fond qui prend de l’élan comme s’il devait atteindre sa fin de course. Les oreilles sont tendues, les esprits s’animent, la chaleur s’insinue sous la peau.

Dans une atmosphère se conjuguant au masculin pluriel en effusion. Je ne suis plus qu’un soir d’été puisque les autres saisons peuvent me convenir.

Les regards se croisent et se font des accolades. Les plus futés des convives recherchent une probable victime à mettre à l’épreuve pour ses qualités de déhanchement ou pour sa gaucherie offrant l’occasion dune  hilarité candide des amis.

La musique va crescendo. Du « goubahi » ou du « bourdjila », elle s’achemine vers le « berrouali ».  C’est la fin de la « refda », déploiement d’une série de chansons entrecoupée de pauses pendant la soirée. Les premières « doummates » annoncent le début d’une apothéose. La danse dite « HEDDI » comme pour signifier « el hedda », le fait de surgir, chacun avec ses particularités.

C’est l’instant  de la timidité qui enchaîne, menottant la liberté, la pudeur se jetant comme une camisole. Le danseur voudrait bien se trémousser mais il attend que des plus audacieux s’y aventurent en premier.

L’espace est une clairière,  ceinturée par des chaises volontiers pliantes, qui attend d’être peuplée. Une forêt de silhouettes se dresse alors avec des longilignes, des trapus, des vieux, des jeunes. Des « arrakiates », des casquettes retournées, des coiffures piquées, des chauves, des  toisons à un cm, des cheveux en bataille entrent en communion. Des générations se superposent. Les plus âgés ont le geste mesuré et discret, seuls quelques mouvements de hanche assortis de trémulations de membres supérieurs suffisent à donner à la danse un cachet  des plus élégants, déroulant le passé. Ils ne s’attardent pas. Et puis de tendres défis sont lancés. L’un invitant l’autre à l’accompagner dans la danse en convoquant une chorégraphie hautaine. Des coups de cornes de bélier pour provoquer des applaudissements comme dans une arène. La clairière est piétinée pour soulever une poussière témoin d’acharnements pathétiques. Certains se sont fait supplier pour participer à la danse, prétextant la présence d’un parent très respecté ou livrant d’autres mensonges mais ils finissent par succomber. On ménage un espace pour les danseurs particuliers. Les applaudissements couvrent la musique.

C’est comme une plaidoirie sociale pour défendre ce besoin de fête.

Les râblés et les profils sphériques font des pirouettes et des cercles concentriques comme des toupies Les maigres se contentent de quelques vibrations sur des droitures de l’échine et le regard haut. Les plus jeunes, plus excentriques, mettent du hip-hop et du raï en levant les bras et en pointant les index au ciel comme pour prévenir le sort. D’autres encore osent des chaloupes dans un balancement de berceuses. Anciens dockers et autres nostalgiques de la mer.

Au coin, une nuée d’adolescents allument des fumigènes pour recomposer l’ambiance du stade en mémoire d’un match raté. Exubérance d’une jeunesse en quête d’étanchement de sa soif multiforme.

L’orchestre en convulsion s’échine à trouver des mélodies de plus en plus entrainantes .Une irruption de sonorités berbères, d’El Harrachi ou encore de « askar zouaves » de « come on bye bye » pour nourrir le rythme. Les danseurs ont encore envie de perdurer dans l’extase. La derbouka maitresse de céans tend sa peau sous les doigts chauffés .Le mandole vibrant. Le banjo prenant ses libertés. Le cliquetis des cymbales  du tar se frayant son chemin.

Le panier du henné avec ses longues bougies torsadées se vautrant sur une pièce de satin, porté par un proche, avance. Le marié, tête baissée sous la capuche du burnous fait ses derniers pas de célibat. Des colliers de jasmin ou de « fell », son cousin d’Arabie avec quelques belles de jour, « nouar laâchyia » pendaient au cou des privilégiés de la fête. Ce petit cortège aurait bu de ses narines les effluves de « mesk ellil », le musc qui n’exhale que les soirs estivaux. Une personne âgée s’applique à lui badigeonner le creux de la main ou le pouce et l’index de henné. Et en conclusion, il écrase d’un pied le bocal en terre cuite vidé de son colorant pour souligner sa virilité.

Il y a quelques années encore, le futur circoncis, habillé majestueusement comme un petit prince et coiffé d’une chéchia offrait sa tignasse à un coiffeur qui lui coupait les cheveux avec délicatesse. Le regard des adultes, chargé d’émotion donnait un ton grave au cérémonial. Puis il se faisait accompagner par  l’orchestre sous des airs flatteurs jusqu’à sa chambre où aura lieu la dernière averse de billets.

Des femmes,  cachées,  aiguisent leurs gorges pour déployer les you-yous aux timbres mêlés. Cris étouffés de vieilles dames, appels stridents plus prolongés exhalant la jeunesse. On aura passé un micro pour qu’une poétesse de circonstance déclame quelques vers simples à l’honneur des amis du marié ou alors quelques mots demandant l’indulgence de celui qui coupera le lambeau du petit qui deviendra musulman par ce seul geste. Le tissu sera enterré dans un coin du jardin. Le mari a des yeux de gazelle quand il n’est pas le plus téméraire des lions. La mariée est parée de toutes les vertus de la pudeur car on ne se permet pas de vanter sa beauté, par pudeur.

Maintenant que le baroud manque, des policiers tirent en l’air quelques balles en guise de bravoure.

Autrefois, le « mazhar » et l’eau de Cologne Ramage ou Pompeïa  sortaient du « mrach » pour asperger copieusement les invités en signe de gratitude. Une pluie de billets remplissait un panier qui roulait de place en place pour amortir les frais de la fête et offrir un peu d’argent au circoncis.

Le bourdonnement s’éteint, les chaises remuent. Congratulations et embrassades. La foule va se restaurer par devoir, pour la baraka. Mais c’est là que l’imagination freine. Un seul menu, standard comme si le temps n’avait pas avancé depuis plusieurs décennies. Les sempiternels chorba, « mteouem » et « l’ham lahlou ». On pourrait faire différent. Le couscous ne trône plus, il a perdu de sa noblesse, lui, le porteur de baraka.

Comme dans un jeu de téléréalité, chacun prend sa boite de gâteaux, de préférence aux amandes, Certains se croyant séducteurs apportent par là une preuve de fidélité conjugale. Ces douceurs passeront au laboratoire féminin pour les commentaires élogieux ou médisants.

On ne peut que se féliciter de voir que les jeunes restent attachés à ces ambiances qui sont les nôtres. En espérant qu’ils y apporteront leurs touches dans une autre conception de la scène en changeant par exemple les couleurs des guirlandes. Nous ne sommes plus à l’époque de l’indépendance du pays.

Dr Rachid MESSAOUDI : 

messaoudirachid@hotmail.com

  1. Illustration : Photographie du groupe Abdessalem et Brazi

 

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