Le tombeau de la Chrétienne se dresse majestueusement à une dizaine de kilomètres à l’est de Tipaza, perché sur un promontoire qui offre une vue imprenable sur la mer d’un côté, et sur la Mitidja de l’autre. Connu à tort sous le nom de Tombeau de la Chrétienne, ce site est en réalité le Mausolée Royal de Maurétanie, un monument de l’époque numide. Son appellation erronée « Tombeau de la Chrétienne » est un héritage de l’époque coloniale et est communément désignée en arabe sous le nom de « Kbour-er-Roumia ».
Le monument se présente comme un colossal amas de pierres taillées, abritant des vestibules disposés selon les conclusions des fouilles menées en 1865 par Adrien Berbrugger, un éminent archéologue et philologue français. Ce complexe archéologique fascinant révèle des aspects méconnus de l’époque numide, mais malgré les recherches approfondies, le mystère de son véritable usage persiste toujours.
Qui est enterré dans le Tombeau de la chrétienne ?
La date de construction et la fonction réelle de ce tombeau ne sont pas connues avec certitude. On sait qu’elle a été mentionnée dans un texte daté des années 40 ap. J.-C., époque où le royaume de Maurétanie fut annexé par Rome.
Même si certains historiens pensent que sa construction est antérieure à la domination romaine sur l’Afrique, la version la plus communément admise serait que le Mausolée aurait été édifié en hommage à une reine qui a su se faire aimer et vénérer par son peuple, de par son dévouement envers ce dernier. Cette reine ne pouvait être que Cléopâtre Séléné, fille de la reine égyptienne Cléopâtre et épouse de Juba II, empereur de la Maurétanie césaréenne, dont la capitale n’était autre que Césarée (Cherchell). C’est cette vénération qui s’est traduite, après la mort de Séléné, par un mausolée dénommé par les populations locales : Tombeau de la Romaine.
Malheureusement, la colonisation française a confondu en une seule et même signification Roumia, qui veut dire Romaine, avec chrétienne. Une telle assimilation et un tel amalgame ne peuvent être que faux puisque, à cette époque, c’est-à-dire au début du Ier siècle de l’ère chrétienne, le christianisme n’avait pas encore dépassé les limites de la Palestine. Il n’atteindra que plus tard ce pays berbère. Certains commentateurs estiment que cette dénomination viendrait des croix qui ont été gravées ultérieurement sur les fausses-portes du monument.
Le tombeau possède quatre portes monumentales disposées aux quatre points cardinaux, dont trois fausses-portes et une seule donnant réellement accès à la galerie interne. Cette dernière adopte un plan également circulaire avant de bifurquer vers les appartements funéraires constitués d’une antichambre et du caveau royal dans lequel devaient se trouver les sarcophages de Cléopâtre et de son époux.
Qui était ce couple royal ?
Juba II et Cléôpatre Séléné ont tous deux une origine royale. Ils ont été élevés ensemble dans le palais de l’empereur Auguste et étaient tous deux de grands amateurs d’art.
Cléôpatre Séléné, c’est le patrimoine familial, puisque descendante d’un général d’Alexandre le Grand, donnant à l’Egypte les derniers pharaons d’origine gréco-égyptienne, les Ptolémées. Sa célèbre mère, Cléôpatre, installée à Rome avant sa prise de pouvoir sur le pays des pharaons, était déjà réputée pour savoir s’entourer d’une cour brillante, où philosophes, poètes et artistes participent de ce rayonnement hellénique. La future reine d’Egypte caressait alors un rêve, celui de créer un empire réunissant les meilleures traditions du bassin méditerranéen, la philosophie grecque, la tradition du commerce des Phéniciens et la riche culture égypto-africaine.
Devenue reine de Maurétanie, Cléopâtre VIII réalise son rêve en épousant Juba II auprès de qui elle va régner. La province de Maurétanie fut remise par Auguste à Juba II en l’an 25 avant J-C en lui donnant pour mission « d’assouplir » ses sujets réputés turbulents, pour répandre les mœurs latines. Les époux règnent sur les berbères en faisant de leurs origines différentes une force. Elle parle grec et égyptien, mais pas berbère. Lui est berbère et parle le punic, langue de Carthage, le libyque et le grec. Très éduquée et lettrée, Cléopâtre Séléné veut assouvir sa soif de vengeance contre Rome. Pas dans la guerre, ni dans le sang. C’est d’abord une revanche culturelle et religieuse qui est à sa portée. En mettant en avant sa culture égyptienne et grecque, elle s’émancipe de Rome.
Cléopâtre Sélénée et Juba II ont fait de leur capitale Césarée, l’actuelle Cherchell en Algérie, une vaste cité prospère et dotée de monuments dignes des grandes capitales du monde antique d’alors. Grâce à son influence, le royaume maurétanien (qui recouvre l’actuel Maroc et Algérie) prospère. La Maurétanie exporte et commerce dans l’ensemble de la Méditerranée. Les constructions et la sculpture à Cæsaria, la capitale, affichent un riche mélange de styles architecturaux de l’ancienne Égypte, des Grecs et des Romains. La cité est peuplée de statues (une des plus belles collections qu’abrite aujourd’hui le musée de Cherchell), et y construit de beaux édifices d’architecture classique, certains sont même représentés sur ses monnaies. Ils sont les seuls à avoir des monnaies d’or comme les Romains.
Une mort à la date mystérieuse
« Séléné » est son surnom, du nom de la déesse de la lune dans la mythologie grecque. Hors un poète Grecque évoque un phénomène qui décrit « un assombrissement de la lune à sa mort » sans doute au référence à une éclipse de lune survenue au même instant.
Pourtant la date de sa mort est incertaine. Certains spécialistes proposent l’an 3 ou 4 de notre ère 1. Ceci est basé sur l’hypothèse du remariage de Juba II en l’an 5, ce qui indique qu”il était veuf à l”époque, car Juba II étant un citoyen romain était tenu d’être monogame en droit romain.
Dès pièces frappées à l’effigie de leur fils Ptolémée remplaçant ceux de Cléopâtre convergent vers la même hypothèse. Juba II lui survit pendant dix-huit longues années. Et même s’il se remarie avec la fille d’un roi de Cappadoce (Turquie), il ne juge pas opportun de la ramener avec lui à Iol-Césarée. Sans doute que son amour pour Cléopâtre Séléné ne supportait pas la présence d’une rivale sur un territoire que sa première femme avait totalement marqué de son influence. Jusqu’à cette dernière demeure que l’on attribue au célèbre couple royal, le mausolée qui coiffe une colline au sud de la ville sur la route de Tipasa.
Ce monument de style africain, agrémenté d’éléments décoratifs appartenant au monde hellénistique n’a toujours pas livré ses secrets au sujet de la famille royale maure ou numide qui s’y est fait enterrer. Mais on se prend à rêver encore qu’il a été élevé par Juba II en hommage à sa Cléopâtre, fille de la lune…
Mira Gacem
Sources :
« De Iol à Césarée à…Cherchell ». Kamel Bouchama. JUBA Editions. 426 P. 2008
« Iol, Césarée, Cherchell, une cité millénaire d’art et d’histoire ». Mohamed Chérif Ghebalou. 190 P. 2010
Michèle Coltelloni-Trannoy, Le Royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée
Françoise Chandernagor, L’homme de Césarée (3e volume), Paris, Albin Michel