Il était une fois un monarque qui régnait sur un grand pays au relief accidentait et au climat rude. Le royaume comprenait une série de montagnes et de contreforts aux pieds desquels s’étendent des vallées riantes et prospères.
Ce roi était très autoritaire et châtiait sans pitié tous ceux qui s’opposaient à ses projets. Il avait organisé une puissante armée qu’il lançait périodiquement contre les tribus pour prévenir et briser toute velléité de soulèvement. Le peuple souffrait et contenait avec peine la colère qui grondait sourdement en lui pour ne pas s’exposer aux foudres de ce souverain dépourvu de bon sens et de tout sentiment humanitaire.
Un jour, on fit don au roi d’un énorme éléphant qu’il installa dans une salle spacieuse proche de son palais. Il allait souvent le voir pour l’admirer et le regarder s’alimenter en se servant de sa trompe. Comme le mammifère était domestiqué et pacifique, il passait des heures entières à le caresser et à lui offrir les légumes et les fruits qu’il préférait. Pour le nourrir convenablement le roi songea à faire participer les habitants de sa capitale à la dépense. Il ordonna à ses hérauts d’annoncer sa décision à grand renfort de tambour et de trompette et d’inviter son bon peuple à lui témoigner sa fidélité en prenant soin de son pachyderme.
Tout le monde fut touché, les édits étaient d’abord lu à voix haute puis affichés. Ils spécifiaient notamment : « Avis à notre chère population. Pour préserver l’état de santé de notre magnifique éléphant, il est recommandé aux habitants des différents quartiers de la ville d’apporter, quotidiennement au château,, deux grands sacs rempli de carottes et de navets. Pour constituer une alimentation saine, les légumes doivent être frais et surtout propres. Votre roi vous remercie pour votre loyalisme. »
Depuis ce jour et tous les matins on voyait s’acheminer, en direction de la résidence royale, des groupes d’hommes transportant sur leurs épaules les plantes potagères prescrites.
Les gens s’exécutaient en maugréant et en rongeant leur frein car ils n’osaient étaler leur dépit par crainte d’une violente réaction de leur souverain. Pour narguer ses sujets et éprouver leur docilité le roi chargea le guide de promener l’animal à travers les rues de la capitale. Sur son passage des réflexions acerbes et amères fusaient et se faisaient entendre :
– « Regarder comme il est gros et gras. »
– « Il est mieux nourri que nos propre enfants. »
– « Une assemblée peut entretenir un homme, mais un seul homme ne peut subvenir aux besoins d’une assemblée. »
Les esprits commencèrent à s’échauffer tandis que les masses populaires se réunissaient dès la tombée de la nuit, en vue de se concerter pour trouver une solution à leur situation qui se dégradait peu à peu. Elles s’enhardirent, finir par se mettre d’accord et résolurent de manifester car la misère sévissait partout. Pour les conduire, parler en leur nom et plaider leur cause elles firent appel à un artisan cordonnier réputé pour son courage et sa facilité d’élocution. Il était connu aussi pour son intelligence, son esprit astucieux et l’aisance avec laquelle il parvenait à se tirer d’embarras.
Cette corporation est d’ailleurs très célèbre pour la facilité et la manière avec lesquelles elle se joue de la clientèle.
– « Je veux bien me mettre à votre tête leur avoua ce dernier, mais je n’ai pas confiance en vous. »
– « Tu peux compter sur nous promirent les mécontents. Nous te suivrons jusque dans la tombe. »
– « Bon : J’accepte d’être votre chef de file, mais je tiens à vous prévenir que si vous me trahissez en vous sauvant pour me laisser seul, vous aurez à vous en repentir. »
– « Ne crains rien lui affirmèrent-ils nous resterons toujours près de toi à tes côtés. »
Le lendemain matin , au lever du soleil, les habitants de la ville se rassemblèrent sur la place publique. L’artisan cordonnier se tourna alors vers la foule et lui cria :
– « Dès que nous nous mettrons en marche vous scanderez le mot d’ordre suivant : » Pas d’éléphant ! » »
L’énorme masse populaire s’ébranla enfin en battant des mains et en poussant le slogan » Pas d’éléphant ! « . La manifestation était imposante, bruyante et il suffisait d’un incident, si minime soit-il, pour la voir se transformer en émeute. La peur gagna tous les foyer; les portes et les fenêtres des maisons demeurèrent closes, les magasins et les échappes se fermèrent.
Serrés au coude à coude les hommes se pressaient, se bousculaient, gesticulaient et avançaient dans un désordre indescriptible. Ils progressèrent ainsi jusqu’à cinquante mètre environ du palais puis ils marquèrent un temps d’arrêt à la vue de la troupe disposée en rang de bataille autour de la majestueuse résidence.
En avant de la grille se tenait la cavalerie armée de piques tandis que les fantassins occupaient la cour. Il se produisit un moment de flottement, mais au cris de » Courage les amis ! » lancé d’une voix sonore la marche reprit silencieuse et calme.
L’allure se ralentit, devint hésitante, incertaine, les pas trainaient et raclaient le sol poussiéreux Soudain un ordre bref secoua la cavalerie qui se prépara à l’attaque . Lorsque les manifestants virent les lances s’abaisser et entendirent le martèlement des sabots, ils poussèrent une grande clameur et s’enfuirent poursuivis par les cavaliers. Seul l’artisan cordonnier continua à aller de l’avant, la tête relevée, le regard fier et le visage illuminé par un large sourire.
Les soldats de la garde l’entourèrent et l’entrainèrent dans la salle d’audiences où se tenaient le souverain et les hauts dignitaire du royaume.
– « Majesté, voici l’homme qui guidait les rebelles, expliqua un officier en désignant le hardi meneur. »
– « Allez chercher le bourreau, ordonna le monarque . »
Puis, se tournant vers le prévenu, le roi ajouta : « Qu’as-tu à dire pour ta défense ? »
– « Majesté, on vous a mal renseigné et on a déformé les sentiments du peuple à l’égard de l’éléphant. Lorsque celui-ci fait sa promenade on le voit s’avancer d’un pas pesant, la tête basse, le regard terne et l’air morose. On a l’impression qu’il se morfond dans la tristesse et l’isolement. Il risque de mourir d’ennui. Aussi le peuple m’a chargé de vous prier de le marier. Il a besoin d’une campagne pour pouvoir reprendre goût à la vie. Pour vous permettre de comprendre on a commencé à crier de loin » Ps d’éléphant seul ! » »
L’assistance demeura pétrifiée sous le poids de cette déclaration car, à part le mot « seul » qui n’était pas suffisamment audible, chacun se tenait prêt à témoigner qu’il avait entendu prononcer le mot d’ordre en question. Le visage épanoui, le roi fit face à son bon et loyal sujet et lui dit :
– « Je découvre, par ta voix, la sagesse et la fidélité de mon peuple. Tu peux le rassurer, son vœu sera bientôt exaucé. En ce qui te concerne je te donne cette bourse remplie de pièce d’or à titre de récompense pour ton zèle et ton courage. »
Certains conteur attribuent cette belle anecdote au roi de Koukou.
Source : Contes populaires – Tahar Oussedik – Enal