Hizya est une histoire d’amour nomade. « Hizya » est le nom d’une jeune femme issue de la famille dominante des Bouakkaz de la puissante tribu des Dhouaouda (descendants, selon certains dires, des tribus des Banou Hilal qui avaient envahi le Maghreb vers le XIè siècle ap. J. C. venant d’Arabie) et qui régnait en ce 19ème siècle sur toute la région du Zab et dont les terres de parcours et de transhumance s’étendaient des riches plaines de Sétif au Nord jusqu’à l’oasis de Ouled Djellal au Sud, et bien plus loin encore si l’on jugeait par l’influence de son Cheikh ek Arab (titre donné à son chef qui signifie littéralement : Chef des Arabes) à l’époque.
Hizya, la fille d’Ahmed ben el Bey, était amoureuse de son cousin Sayed, orphelin recueilli dès sa tendre enfance par son oncle, puissant notable de la tribu et père de Hizya. Benguitoun dans son poème, fixe la date de la mort de Hizya à 1295 de l’Hégire, soit 1878 de l’ère chrétienne. Elle avait alors 23 ans, nous dit-il. Hizya serait donc née en 1855.
La cause de son décès reste encore une énigme. Le poème ne nous révèle rien sinon qu’elle fut subite : un mal soudain entre deux haltes, à Oued Tell (une localité à 50 km au sud de Sidi Khaled) au retour de la tribu de son séjour saisonnier dans le Nord.
Sayed eut recours, après la mort de Hizya, au génie du poète Benguitoun pour écrire un poème à la mémoire de sa bien-aimée. Plus tard, d’après certains dires, le malheureux cousin s’exilera loin de sa tribu et vivra en solitaire dans l’immensité du désert des Ziban jusqu’à sa mort.
Quoiqu’il en soit, le poème est là pour témoigner de cet amour fou qu’avait porté un jeune homme pour une jeune femme qui valait, à ses yeux, tout ce qu’il avait de précieux en ce monde et que le poète à chanté avec les paroles du bédouin, langue pure du vécu, langue vivante de tous les jours.
A travers les yeux de Sayed, le poète Benguitoun a chanté la beauté de cette femme et décrit les merveilles de son corps, osant lever le voile sur des jardins secrets et nous offrir, à travers les âges, un hymne à l’Amour, un hymne à la Beauté, un hymne à la Femme. Voila ce qui, en dernier lieu, pourrait rester de Hizya jusqu’à l’éternité.
« Hizya », qacida badawya composée par Ould Sghir et chantée respectivement par Ben Guitoun, Ababsa et Khelifi. En voici un fragment :
« Amis, consolez-moi; je viens de perdre la reine des belles.
Elle repose sou terre…
Un feu ardent brûle en moi !
Ma souffrance est extrême.
Mon cœur s’en est allé, avec la svelte Hizya.
Hélas ! Plus jamais je ne jouirai de sa compagnie.
Finis les doux moments, où, comme au printemps,
Les fleurs des prairies, nous étions heureux.
Que la vie avait pour nous de douceurs !
Telle une ombre, la jeune gazelle a disparu, en dépit de moi !
Lorsqu’elle marchait, droit devant elle, ma bien-aimée était admirée par tous.
Telle le bey du camp qui s’avance un cimeterre à la ceinture,
Entourée de soldats et suivi de cavaliers qui sont venu à sa rencontre,
Pour lui remettre chacun un présent;
Armé d’un sabre d’Inde, il lui suffit de faire un geste de la main,
Pour partager une barre de fer, ou fendre un roc.
Il a tué un grand nombre d’hommes, ennemis du bien.
Orgueilleux et superbe, il s’avance fièrement.
C’est assez glorifier le bey ! Dis-nous chanteur,
Dans une nouvelle chanson les louanges de la fille d’Ahmed benal-Bey.
Amis, consolez-moi; je viens de perdre la reine des belles.
Elle repose sous terre…
Un feu ardent brûle en moi !
Ma souffrance est extrême.
Mon cœur s’en est allé, avec la svelte Hizya.
Lorsqu’elle laisse flotter sa chevelure, un suave parfum s’en dégage.
Ses sourcils forment deux arcs bien dessinés, telle la lettre noun, tracée dans un message.
Ton œil ravit les cœurs, telle une balle de fusil européen, qui aux mains des guerriers, atteint sûrement le but.
Ta joue est la rose épanouie du matin, et le brillant œillet; le sang qui l’arrose lui donne l’éclat du soleil.
Tes dents ont la blancheur de l’ivoire, et, dans ta bouche étincelante,
La salive a la douceur du lait des brebis ou du miel qu’apprécient tant les gourmets.
Admire ce cou plus blanc que le cœur du palmier.
C’est un étui de cristal, entouré de collier d’or.
Ta poitrine est de marbre; il s’y trouve deux jumeaux, que mes mains ont caressés,
Semblable aux belles pommes qu’on offre aux malades.
Ton corps à la blancheur et le poli du papier, du coton ou de la fine toile de lin,
Ou encore de la neige, tombant par une nuit obscure.
Hizya à la taille fine; sa ceinture, penche de côté,
Et ses tortis entremêlés retombent sur son flanc replis par replis.
Contemple ses chevilles; chacune est jalouse de la beauté de l’autre;
Lorsqu’elle se querellent elles font entendre le cliquetis de leur khelkhals, surmontant les brodequins.»
Source : Contes du terroir algérien – Editions Dalimen.