La commune d’El Ateuf, située dans la vallée du M’zab, est l’une des plus anciennes localités de la confédération mozabite, qui a célébré son millénaire d’existence en 2011. Sa célèbre mosquée, qui porte le nom de Sidi Brahim, est d’une splendeur architecturale incontestable. Une vieille légende raconte le comment et le pourquoi de sa construction à cet endroit précis :
Il se murmure qu’il y a fort longtemps, après la salate d’El Îicha, la cinquième et dernière prière du soir, Ba Messaoud, un homme pieux et fort respecté, s’endormit. Pendant son sommeil, un vieux Cheikh, tout délabré qui serrait dans sa main, une canne finement ouvragée, lui rendit visite dans un rêve. Il avança vers Ba Messaoud et lui dit :
–«Salam, Ba Messaoud, je suis Sidi Brahim, le Cheikh oublié… J’ai quitté votre monde, il y a fort longtemps. Mais à présent, personne ne se souvient de moi.».
Toujours dans cet étrange songe, Ba Messaoud rendit le salut au Cheikh.
–«Si tu souhaite revoir les tiens, ainsi que ta palmeraie, fais-moi une promesse et je te donnerai ta liberté en te ramenant au M’zab!».
Ba Messaoud, écoutait attentivement et le Cheikh continua :
– «Demain, on t’amènera près de la mer pour effectuer des travaux. Les gardiens, secondés par des chiens, seront très peu attentifs et te donneront pour repas, des abats. Garde-toi de les manger ; et dès que tu les verras un peu éloignés de toi, prends la fuite à toutes jambes vers la mer. Les chiens te poursuivront, mais tu leur jetteras les abats. Etant mal nourris, ils s’arrêteront pour les manger et tu continueras ta route les yeux fermés, droit vers la mer.»
Le Cheikh continue, en tendant sa canne à Ba Messaoud et dit :
-«Voici ma canne ! Quand tu arriveras à El Atteuf, tu grimperas en haut de la colline et tu jetteras ma canne au vent. Tu bâtira en mon nom une mosquée en mon nom, là où elle se plantera.».
En reprenant sa respiration pour poser une question au Cheikh, ce dernier disparut et Ba Messaoud se mit à l’appeler et le chercher, en s’agitant bien fort dans son sommeil, tant, qu’il se réveilla. En se réveillant, il s’est retrouvé avec le poing serré sur la canne finement décorée.
Le lendemain, comme convenu dans son songe avec le Cheikh, les gardiens de la prison l’emmenèrent travailler dans une carrière non loin de la mer. Pour repas, il eut des abats qu’il cacha. Pensant qu’il avait orné sa canne dont il ne se séparait pas, les geôliers se moquaient de lui car la canne semblait être faite pour les seigneurs. Au bout d’un moment, les gardiens s’éloignèrent de lui et il prit la fuite vers la mer, jetant les abats aux chiens qui, comme prédit par le Cheikh, s’arrêtèrent pour les dévorer.
Ba Messaoud continue de courir vers la mer, les yeux fermés, en priant Allah de bien vouloir prendre soin de son âme. Fatigué, il s’assoupit et lorsqu’il se réveilla, il entendit les voix d’hommes disant le Coran dans sa langue …
«Est-ce possible ?, se demanda-t-il, Allah le Bien Aimé, très Miséricordieux, je suis chez moi!».
Sentant la fraîcheur d’une mosquée, il avança sans savoir de quelle mosquée il s’agissait. C’était l’heure de la prière, mais l’Imam n’était pas encore arrivé. Enroulé dans sa qechabyia rayée avec le capuchon sur la tête, Ba Messaoud était assis, appuyé sur un pilier, il savourait son émerveillement dans le silence, croyant à peine à son bonheur de retrouver son village natal L’Imam entra, et, reconnaissant sa voix, Ba Messaoud sut qu’il se trouvait à Melika.
La prière allait commencer, mais l’Imam s’arrêta au milieu de la salle de prière et dit :
– «C’est un jour de réjouissance pour nous, frères. Un des nôtres est revenu : je sens la présence de Ba Messaoud!». La foule se tut un instant et un des hommes répliqua :
– «Ba Messaoud ? Impossible, imam ! Il est prisonnier depuis plus de vingt ans et nous n’avons plus aucune nouvelle de lui : autant dire qu’il est mort. Nous ne le reverrons plus!».
«Je sens la présence de Ba Messaoud!», répéta l’Imam obstiné, parcourant la salle de prière à grands pas, soulevant les capuchons des qachabias pour repérer les visages dessous, mais les rabaissait en soupirant ne reconnaissant pas le visage de Ba Messaoud. Le moment de la prière allait passer quand Ba Messaoud se dressa et baisa la main de l’Imam. Une grande surprise et une plus grande joie s’empara de l’assistance et la prière commença sans tarder. A la fin de la prière, Ba Messaoud raconta ce qu’il avait vécu durants les dernières heures et l’assistance se souvint du Cheikh Sidi Brahim et regretta de l’avoir abandonné à l’oubli.
Comme le dicte la coutume, un groupe de jeunes bâtisseurs se forma aussitôt pour venir en aide à Ba Messaoud à l’accomplissement de sa promesse, et partirent avec lui à El Atteuf, montant directement sur la crête de la colline, juste en haut de la ville et Ba Messaoud jeta la canne au vent … La désolation, alors, s’empara du groupe, car la canne s’était plantée dans une dune de sable… «Comment bâtir sur du sable?», demanda un des bâtisseurs.
Dans cette atmosphère de déception, Ba Messaoud trancha en décidant de se rendre chez lui, rassurant le groupe en disant que la nuit portait conseil. Il rejoignit sa famille déjà prévenue par une foule amassée autour de la maison et chacun rentra chez lui, par ce soir orageux et venteux.
La légende ne dit pas si Ba Messaoud avait rencontré le Cheikh Sidi Brahim dans un songe, mais assure que le lendemain, toute la dune de sable reposait de l’autre côté de la colline et la canne était plantée dans le roc, tout contre la tombe du Cheikh Sidi Brahim, ce qui permit aux bâtisseurs d’ériger la mosquée en son nom.
Source : L’Algérie, ses coutumes, sa culture et ses traditions.
Illustrations 1 et 2 : Mosquée de Sidi Brahim à El Atteuf © Sonia-Fatima Chaoui