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22 juin 1993, assassinat du sociologue M’hamed Boukhobza

mhameM’hamed Boukhobza était un grand homme. Un éminent intellectuel qui appartient à la postérité. Son immense apport à la sociologie est inestimable. Il fut assassiné un triste jour de 1993, alors qu’il avait à peine 52 ans.

« Si l’identité culturelle d’une société ne peut être dissociée de la qualité de ses intellectuels, on peut donc affirmer que la marginalisation de ces derniers ne peut que miner les capacités de la société à se développer, à valoriser son patrimoine culturel et sa personnalité. Phénomène aggravant, une telle situation joue un rôle majeur dans la fermeture de la société à l’égard de la modernité et du développement du progrès scientifique et technique (…). On peut affirmer que sans une promotion des élites, il ne saurait y avoir de réelle démocratie, parce qu’il n’y aura pas de compétition, donc pas de projets alternatifs porteurs d’émancipation et de liberté», écrivait M’hamed Boukhobza en 1991. Plus qu’une prémonition, ces mots sont le fruit d’études et de réflexions d’un visionnaire.

Les intellectuels dont il parle, ont été réduits au silence pour toujours. Ils étaient nombreux et les conséquences de leur absence est aujourd’hui bien visible dans notre société que certains qualifient d’aliénée.

M’hamed Boukhobza fait partie des grands hommes enfantés par l’Algérie et maudis par l’intégrisme. En 1993, alors que des intellectuels tombent dans le nouveau champ d’honneur de l’Algérie contemporaine, c’est au tour de ce sociologue sans pareil de disparaitre dans d’horribles conditions, le 22 juin, assassiné par des terroristes islamistes. C’est une perte inestimable pour l’Algérie, trop d’algériens l’ignorent et ils ont tort.

M’hamed est né en 1941, à Brezina (El Bayadh), dans une famille d’éleveurs nomades de la tribu des Ouled Aissa. Il avait beaucoup de frères et sœurs et il grandit dans la nature, au rythme des transhumances. Ce qui le marqua et a certainement beaucoup contribué à son choix d’aller vers l’étude de la sociologie.

Comme pour la plupart des nomades, il étudiait chez un taleb qui se déplaçait avec la tribu. Il étudia le coran, les préceptes de l’islam et en 1950, il fut pris en pension dans une famille à El Bayadh pour aller à l’école française. Le changement fut brutal pour le jeune M’hamed, mais il était un excellent élève. Il le sera aussi à Dellys, à Mascara, puis à Sidi Belabès.

Durant la guerre de libération, sa famille subit l’oppression  et la répression. Son oncle, responsable politique important dans la région, tombe au champ d’honneur en 1957, après avoir été torturé et décapité. D’autres suivront dans la famille. Pour M’hamed, la réalité fut amère mais le choix était ferme : la cause Nationale était au dessus de tout.  

Il avait à peine 16 ans lorsqu’il fut arrêté, emprisonné et torturé. Ces années furent éprouvantes pour lui, mais il ne baissa pas les bras face à l’oppression et il continua sa quête du savoir. Juste après l’indépendance, il part à Rabat pour en revenir trois après doté d’un diplôme d’ingénieur des statistiques de l’économie appliquée.

En 1966, il participa à l’organisation du premier recensement de la population algérienne, alors qu’il travaillait dans la sous-direction des statistiques des finances à Alger. En 1967, il fut nommé directeur de l’association Algérienne pour la recherche démographique économique et sociale ( AARDES ). En parallèle, il décida de suivre une formation en sociologie à l’Université d’Alger et obtint sa licence en 1969. Il s’engagera aussi dans des études doctorales, à l’Université Paris V, en France, et soutient sa thèse en 1976, sous la direction de Pierre Bourdieu. Sa thèse avait pour titre : «Le nomadisme et la colonisation : analyse des mécanismes de déstructuration et de disparition de la société pastorale traditionnelle en Algérie».

Pour M’hamed, l’AARDES ce sera le début d’une brillante carrière, marquée par d’intenses activités de recherches et plusieurs publications scientifiques. Jusqu’en 1981, il a été l’architecte des bases de sondage, des méthodes d’échantillonnage de dépouillement de toutes les enquêtes de l’association.

Il avait également réalisé plusieurs études sur des thématiques sociales, dont l’emploi et les revenus, les phénomènes migratoires, la consommation des ménages, la démographie, les circuits commerciaux…

En 1982, Boukhobza était nommé conseiller auprès du ministre de la Planification et de l’Aménagement du territoire et a été chargé de créer l’Office national pour le suivi et la coordination de l’investissement privé (OSCIP), qu’il dirigea entre 1983 et 1984.

De même, il a été coordonnateur de la commission d’experts « Algérie-2005 » qui confectionnera, pour la présidence de la République, le rapport du développement stratégique aux plans politique, économique et social.

En mars 1992, il a été l’une des personnalités choisies par le défunt président, Mohamed Boudiaf, pour être membre du Conseil Consultatif National (CCN).

Assassiné, M’hamed Boukhobza a légué à la postérité un héritage scientifique d’une valeur inestimable. Il avait 52 ans et il était un travailleur acharné, profondément ancré dans la société algérienne, et un chercheur de très haut niveau, d’une probité et d’une honnêteté intellectuelle exceptionnelle. Il a également laissé trois ouvrages majeurs et de nombreux autres inachevés.

Zineb Merzouk

Sources :

  1. Ajouad Mémoire (https://ajouadmemoire.wordpress.com/biographies/mhamed-boukhobza/)
  2. M’hamed Boukhobza. Octobre 88 : évolution ou rupture. Editions Bouchène, 1991.
  3. APS

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