Quelques mois après la chute d’Alger, c’est au tour de la ville d’Oran d’être prise par les nouveaux occupants du pays. Nous sommes encore dans ce que les historiens appellent la colonisation incertaine.
Oran ne résistera pas. Son occupation se fera sans la moindre difficulté. Mais pour mieux saisir les faits, il faut d’abord évoquer le contexte de l’époque, puis suivre l’ordre chronologique à partir de juillet 1830, c’est-à dire quelques jours après la chute d’Alger.
Oran était gérée par le bey Hassan avec, sous ses ordres, des lieutenants établit à Mostaganem, à Mascara et à Tlemcen, ainsi que des restes de vieilles milices turques. Les tribus, désorganisées et sans chef influent, étaient souvent en guerre de voisinage. Et les plus importantes, les Douairs et les Zmélas, possédaient les terrains les plus fertiles aux environ d’Oran et étaient à la tête du Makhzen (elles avaient l’exclusivité du commandement, de l’administration et de la police du pays.) Ce qui suscitait bien des jalousies.
Par ailleurs, le roi du Maroc qui convoitait avidement la ville de Tlemcen, constituait une menace sur toute la province d’Oran.
La chute d’Alger, le 5 juillet 1830, avait répandu la stupeur dans cette région. Mais une fois l’information digérée, les tribus ont cru que c’était le bon moment de se révolter et d’en finir avec les Turcs.
Le bey d’Oran avait refusé d’obéir à l’ordre du dey d’Alger qui demandait aux trois beys de se mettre à la tête de toutes les forces dont ils disposaient et de se joindre à lui pour arrêter les infidèles. Seul son khalifa (à Alger pour verser le tribut annuel) fut contraint de combattre avec les douze cents hommes qui l’accompagnaient, jusqu’à la chute d’Alger.
Entre temps, le bey Hassan tenta de sortir d’Oran pour éviter la colère des arabes qui voulaient s’en prendre à lui et bloquaient déjà les remparts de la ville. Un immense convoi de chameaux franchira les remparts, transportant toutes les richesses du bey, notamment son mobilier et le trésor du beylick. Mais les habitants de la ville, armes à la main et menaces à la bouche, l’obligèrent à renoncer à son projet.
Hassan, souhaitant juste sauver sa fortune, sollicita la protection des Français. Ces derniers ne se firent pas prier. Le maréchal comte de Bourmont envoya son fils aîné, capitaine d’état-major, pour recevoir le serment d’obéissance du bey.
Le commandant Derrien qui consacra un livre à Oran raconte : « Louis de Bourmont partit d’Alger le 22 juillet sur le brick le « Dragon », et arriva le 24 en vue d’Oran. Après avoir rallié la petite station française qui croisait devant cette ville, le capitaine de Bourmont fit connaitre au bey, par intermédiaire, l’objet de sa mission, avec promesse de respecter la religion, les usages et les habitants du pays.
Hassan envoya deux turcs à bord du Dragon, pour signifier à l’envoyé du commandant en chef qu’il était prêt à se soumettre à notre autorité ; mais qu’une partie des membres de son divan qu’il avait consultés, avaient manifesté des intentions contraires et qu’ils l’avaient même abandonné pour grossir les rangs des Arabes révoltés contre lui. Réduit à se défendre dans son palais avec sept ou huit cents Turcs, le bey sollicitait vivement l’appui des troupes françaises.
Les deux envoyés turcs ajoutèrent que pour rendre les communications plus faciles, il serait bon que la station française vint mouiller dans le port de Mers-el-Kébir.
Les bricks français le Dragon, le Voltigeur et l’Endymion allèrent aussitôt jeter l’ancre devant les batteries du fort. (…) Le lendemain les deux Turcs apportaient au fils du maréchal la reconnaissance de la souveraineté de la France par le bey.
Le 29 juillet le Dragon levait l’ancre pour retourner à Alger, laissant les marins dans le fort de Mers-el-Kébir, soutenus par la présence en rade des deux autres bâtiments, le Voltigeur et l’Endymion.»
Quelques jours plus tard, le 6 août, le maréchal de Bourmont dirigeait sur Oran les troupes destinées à protéger le nouveau vassal des Français, qui arriva le 13 devant Mers-el-Kébir. Dès le lendemain, des officiers seront reçus par le bey puis, accompagnés de plusieurs Turcs, ils procèdent à la reconnaissance de tous les forts de la ville et des environs, afin de déterminer lesquels devront être occupés par une garnison française.
Mais un ordre venu d’Alger chamboula le programme. Il fallait rentrer immédiatement à Alger. Charles X venait d’être renversé par la révolution de juillet et le maréchal de Bourmont avait estimé qu’il fallait concentrer toutes les forces autour de lui.
Le commandant Derrien écrit : « Le colonel Goutgrey abandonna aussitôt le fort de Mers-el-Kébir et en fit sauter les fortifications du côté de la mer. Avant de s’éloigner, il offrit au bey de l’emmener, comme il en avait manifesté le désir, mais Hassan répondit qu’il espérait contenir les Arabes et les amener à la paix ; il assurera qu’il resterait le fidèle sujet du roi de France. La frégate l’Amphitrite fut laissée à sa disposition, pour qu’il put quitter Oran si la nécessité l’y obligeait. »
Le roi du Maroc, profitant de l’agitation causée par les Français à Oran s’est hâté d’établir son neveu Moulay-Ali à Tlemcen.
Le général Clauzel souhaitait donner à des chefs tunisiens, le gouvernement des provinces d’Oran et de Constantine, en étant sous l’autorité française. Des négociations seront entamées avec la régence de Tunis, mais le roi du Maroc étendait de plus en plus son influence vers l’est. Il était urgent d’arrêter les progrès de ce puissant voisin et c’est dans ce but que le général Denys de Damrémont partit d’Alger le 10 décembre, avec le 21e de ligne. Le bey d’Oran, désespéré, sera heureux de voir revenir les Français. Damrémont arriva en rade de Mers-el-Kébir le 13 décembre. Il s’y installa le 14 et, trois jours plus tard, il prenait possession du fort Saint Grégoire.
Pendant ce temps, les habitants d’Oran menaçaient sérieusement de s’en prendre au bey et aux soldats français, appelant au pillage. Hassan, angoissé, envoya son agha supplier Damrémont de prendre possession de la ville pour éviter un carnage. Et « le 4 janvier 1834, la colonne française se mit en marche et, après une fusillade insignifiante (…) elle fit son entrée dans Oran au milieu du plus morne silence (…) Le vieux bey Hassan s’embarqua trois jours après avec ses femmes et sa suite pour Alger (…) Il en partit bientôt avec le général Clauzel, pour se rendre à Alexandrie et de là à la Mecque où il mourut ». (Derrien)
Z.M.
Sources :
- Le commandant I. Derrien : « Les Français à Oran, depuis 1830 jusqu’à nos jours ». Imprimerie J. Nico, 1886.
- Mahfoud Kaddache : « L’Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954 ». Edif 2000/Paris Méditerranée. 2003.
- Illustration : plan de la ville d’Oran, peu avant 1830