Yamna Bent El Hadj El Mahdi, une maâlema à la fin du XIXe siècle

Issue d’une grande famille algéroise, Yamna Bent El Hadj El Mahdi brave tous les interdits et tous les préjugés en se dirigeant vers la musique. Par son talent et sa personnalité, elle saura s’imposer dans un milieu réservé exclusivement aux hommes, qu’elle parviendra à égaler en talent, voir en dépasser beaucoup.

 

Yamna Bent El Hadj El Mahdi est née à la rue des Abderrames, à la Casbah d’Alger, en 1859. Elle se fait remarquer dès l’enfance pour son aptitude au chant. Précoce mais surtout douée, elle participe dès sa dixième année aux fêtes familiales dans la Casbah d’Alger. On rapporte même, qu’après ses tours de chant elle allait jouer à un jeu de marelle sur les terrasses des habitations avec les fillettes de son âge. Son père, El Hadj El Mehdi, usera de toute son autorité pour la dissuader et n’aura réussi qu’à renforcer sa détermination à persévérer dans une carrière musicale prometteuse.

Yamna va souvent écouter furtivement un musicien réputé qui joue au guembri, dans un café près de chez-elle. Un jour elle sera remarquée par le cheikh Ben Brihmat, grand mélomane et responsable d’une médersa. Souhaitant la prendre en charge pour l’enseignement en arabe et pour l’apprentissage de la musique, il ira convaincre ses parents en proposant qu’elle vienne aider son épouse dans les tâches ménagères. Il maquille ainsi l’affaire pour éviter un refus, sachant qu’à l’époque, la pratique artistique pour une jeune fille est particulièrement taboue.

Son apprentissage durera six années, jusqu’à la mort du père de Yamna, en 1876. Par la suite, elle perfectionnera ses connaissances toute seule au grès de ses rencontres.

Elle est naturellement très douée dans l’exécution des instruments à corde, notamment pour le guembri, le violon, la kouitra, le tar et le oûd. Son idole, à cette époque, est cheikha Kheira Djabouni qu’elle côtoie dans les fêtes familiales de la Casbah. Ses contacts avec cheikh Mohamed Mnèmèche et son disciple Mohamed Sfindja seront très enrichissants pour elle du point de vue de la mémorisation du patrimoine andalou.

Yamna devient mâalema, à l’âge de 21 ans, en constituant sa première formation musicale en 1880, dans laquelle se trouvent des musiciens de renom, dont le violoniste virtuose et interprète apprécié du hawzi, cheikh Mahmoud Oulid Sid Saïd, dit Qelb eddelaâ (cœur de pastèque).

Et si tous les orchestres féminins ou masculins du début du siècle sont à dominance israélite, celui de Yamna est exclusivement musulman : Haoula –surnom dut à son strabisme- à la kouitra, Houria à la derbouka et Tamani au tar (orchestre féminin pour les fêtes de mariage).

Yamna rencontre un grand succès dans les fêtes à Alger et ses environs, ainsi qu’au Maroc et en Tunisie. Menant sa carrière d’une main de maître, elle se fait rapidement remarquée par les premiers promoteurs d’enregistrements sur cylindres phonographiques. Elle en réalise quelques-uns, provoquant ainsi une véritable révolution en cette fin du XIXe siècle. On y retrouve entre autres le célèbre poème profane de Benkhlouf, « Bismillah bdit enzemem aâne tedjeroslah » (Je commence au nom de Dieu à chanter les mérites du Prince des Envoyés).

Plus tard, juste avant le déclenchement de la première Guerre mondiale, elle enregistre dans un premier essai un disque 78 tours à Paris et poursuite, entre 1922 et 1928, à enregistrer ses œuvres, principalement chez Columbia, à Alger.

Sa plus grande consécration aura lieu lors d’un grand gala public le 24 janvier 1927 au Kursall d’Alger qui deviendra plus tard l’Opéra d’Alger, puis le Théâtre National, après l’indépendance de l’Algérie. Initié par Mahieddine Bachetarzi, ce spectacle révèle une Yamna baignant dans al plénitude de ses moyens tant humains qu’artistiques, face à un large public constitué des plus grandes familles algéroises.

En vingt ans de carrière musicale, elle a enregistré environ 500 œuvres connues dans le patrimoine traditionnel hawzi, aroubi ou châabi. Elle a fixé, pour la postérité sur phonogramme quasiment la totalité de ce que nous savons aujourd’hui dans ce domaine.

Maâlema Yamna s’est abreuvée du savoir artistique des grands maîtres de la fin du 19ème siècle, comme cheikh Mohamed Mnemèche, Mohamed Sfindja, Mouzino et d’autres encore. De ce fait, elle a elle-même inspiré tous les interprètes de chants populaires du 20ème siècle.

Sa formation, elle l’avait perfectionné avec une étonnante précision en côtoyant et même en bousculant certains maîtres incontestés en poésie classique andalouse (zedjel) tel qu’Edmond Yafil, l’auteur du célèbre ouvrage «Recueil de chants andalous », ainsi que pour le chant panégyrique et mystique (cheikh Kouider Bensmaïl). Par ailleurs, elle a su donner toute sa forme au dakhli msamaî, une spécialité purement féminine d’Alger et sa région. On lui doit entre autre le célèbre « Rana djinak », qui honore toutes les mariées lors de leurs noces à ce jour.

Maâlema Yamna est décédée le 1er juillet 1933, à Alger, à l’âge de 74 ans. Elle repose au cimetière d’El Kettar.

Synthèse K.T.

Sources :

  1. « Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie », par Achour Cheurfi. Editions ANEP 2007
  2. « Yamna Bent el Hadj el Mahdi ‘’maître’’ de musique algérienne. Patrimoine musical andalou algérien », par Leïla Nekachtali. Publié dans Horizons le 23 – 12 – 2012

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