UNE LUNE POUR L’HISTOIRE – Partie 6 – Climat et patrimoine, par Chawki Amari

Le mois du patrimoine, 18 avril-18 mai, coïncide cette année avec le mois de ramadan. Babzman vous propose un petit tour du secteur en 7 parties

6 CLIMAT ET PATRIMOINE

Depuis des milliers d’années, le climat change et donc le paysage, les ressources et les hommes avec, la culture et l’architecture. Dans quelle mesure peut-on retrouver les grands mouvements de population et les traces du patrimoine national en suivant les changements climatiques antiques ?

   Avec le confinement actuel, c’est comme si un nouveau climat s’installait, moins de pollution, plus de pluies et un retour visible de la nature. Quelles en seront les conséquences ? Comment le climat influe-t-il sur l’Histoire ? A l’heure où des milliers de migrants climatiques occupent actuellement l’actualité, beaucoup se penchent sur les paléoclimats pour expliquer l’évolution de l’Homme. Le temps a beaucoup changé depuis le Néolithique, de pluvieux à aride en passant par de mini ères glaciaires et des réchauffements, entre glaciaires et interglaciaires, pluvieux froids et humides et interpluvieux chauds et secs, les bouleversements ont été tels que l’anthropologue et historien sénégalais Cheikh Anta Diop expliquait l’apparition des hommes blancs par une dépigmentation de la peau pendant les glaciations de ceux qui étaient dans le Nord, Maghreb y compris, étant tous noirs à l’origine. Il y a 14.000 ans BP (before present) se terminait l’épisode glaciaire baptisé Wurm et l’Algérie entrait dans un interpluvial chaud et sec qui se poursuit jusqu’au Capsien et Néolithique. La fonte des glaces entraînant le mythique déluge vers 6 ou 7000 ans, quelles sont été ses conséquences au Maghreb central ? On ne sait pas mais vers 4500 BP, le climat s’établit sous sa forme actuelle en Numidie. Mais avant ? Les premiers graveurs du Sahara quand il était humide, sont partis après la désertification qui a commencé sérieusement il y a 8000 ans. Où ? Une partie vers le Nord, une autre vers les montagnes du Tassili et du Hoggar, les célèbres Garamantes étant probablement les ancêtres des Touaregs, et une troisième enfin vers le Sud Est, peut-être rejoindre le Tibesti des Toubous par l’ancien fleuve Tafassasset aujourd’hui Ténéré, puis le Nil. S’ils étaient restés, l’Algérie serait-elle un pays différent aujourd’hui d’autant que les Touaregs les appellent Kel Erou, « ceux de Erou », dont la racine renvoie à « écriture » ? C’est une question importante car si ce qui correspond aujourd’hui à l’Algérie avait maitrisé l’écriture il y a 3 ou 5000 ans, elle aurait écrit sa propre histoire et n’aurait pas été obligée de se référer à des sources étrangères approximatives, grecques, carthaginoises ou romaines.

Le soleil, ami ou adversaire ?

   Les scientifiques le disent, le Sahara reverdit tous les 12.000 ans, ce qui n’a rien à voir avec le CO2 mais avec l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. Dans 2000 ans donc, il fera bon vivre à In Guezzam mais en attendant, on peut se pencher sur la question, il y a 10.000 ans, il y aurait eu une population nombreuse dans le Sahara, partie ailleurs ou en nombre beaucoup plus faible, regroupée autour des derniers cours d’eau comme l’oued Saoura et d’oasis comme sur le flanc Ouest du plateau du Tadmaït où son inclinaison permet d’acheminer l’eau vers le Gourara et le Touat par le biais de foggaras qui captent l’eau des nappes superficielles. Comment retrouver leurs traces et leurs itinéraires ? Il ya bien les noms, mais relativement récents comme El Marsa près de Timimoun, qui désigne un port, celui du bord de ce grand lac desséché tout comme celui de Kerzaz, encore humide de nos jours, des auteurs romains parlant d’éléphants au sud-ouest jusqu’aux environ du 1er siècle après J.C. Il y a aussi les sebkhas plus hauts, les zahrez et chotts comme le Chott Chergui de Bougtob,  qui est à l’Ouest contrairement à ce que son nom indique et fait encore aujourd’hui plus de 200 kilomètres de long ? Autant de points d’eau autour desquels ont du s’installer des communautés dont les traces doivent être forcément sur les anciennes berges. Plus haut encore, qu’y a-t-il sous les dunes des grands ergs, oriental et occidental, là où certains puits creusés par les hommes sont encore fonctionnels ? Qu’y avait-il autour de l’immense Chott Melghir du Sud de Biskra où des flamants roses (bechrous) viennent encore se poser ? C’est le travail des archéologues qui cherchent dans le Sahara, où les maisons et édifices en adobe (tiré de toub, l’argile) ont remplacé les habitats en pierre parce que le climat est devenu sec et chaud, les traces des premières constructions érigées en dur pour lutter contre les pluies. Plus haut encore enfin, la mer étant à 100 mètres plus bas qu’actuellement il y a 10.000 ans suite à la fin de la grande glaciation, la fonte et la remontée des eaux, qu’y a-t-il sous la mer aux abords des côtes comme à Mers el dadjadj, Port aux poules, où l’on a retrouvé des vestiges sous-marins. Quel est le cas d’anciennes villes côtières « remontées » comme Hippone ? C’est ce que tente de comprendre le conservateur du patrimoine culturel au musée public national maritime d’Alger, Nadjib Benaouda qui a récemment recommandé au cours d’un colloque sur le sujet à Constantine, « des approches scientifiques et pratiques de traitement des vestiges submergés doivent être développées afin d’en assurer une meilleure protection » pendant que des experts internationaux prenaient par à Alger à une conférence relevant de l’UNESCO sur le thème de la valorisation de la convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, adoptée en 2001. Qu’y a-t-il sous la mer ?

La pluie, alliée ou ennemie ?

   Alger, octobre 1541. A 7 heures du matin, une impressionnante armada de navires de guerre arrive dans la célèbre baie. 65 galères, 450 bateaux de transport de troupes, 12.000 hommes, toutes les nations de la Méditerranée Nord participent à l’opération, excepté la France, sous la contrainte d’un traité signé avec Soliman l’Ottoman. C’est la suite de La Reconquista de la péninsule Ibérique terminée le 2 janvier 1492 par la reddition de Grenade par le roi nasride Boabdil aux Rois catholiques qui dans la foulée prennent Ceuta (Sebta) et Tanger, Melilla, Oran, Bougie et Tunis. Ils visent el mahroussa, la bien gardée, la perle et le symbole, Alger au centre de la Méditerranée, Al Djazaïr Mezghenna capitale des barbaresques qui terrorisent toute la Méditerranée. Mais le climat en a décidé autrement, pendant la journée la mer grossit sous l’effet d’un vent d’Ouest (gharbi) particulièrement violent, à cette époque, il y avait de fortes tempêtes d’hiver et il était déconseillé de naviguer entre septembre et mars. Le soir, la mer est en furie, des navires coulent et le reste va se réfugier derrière le Cap Matifou. Les alliés espagnols, italiens et allemands débarquent et installent un camp à El Hamma (Belouizdad) mais la pluie ne s’arrête pas. Les combats sous les murs d’Alger commencent sous une pluie torrentielle, les Alliés reculent vers l’Est et se font gêner par la crue exceptionnelle de l’Oued El Harrach. Le 1er novembre, l’armada abandonne et rembarque péniblement sur ses bateaux, se faisant encore couler par la tempête qui ne s’arrête pas. Charles Quint aura perdu 12.000 hommes et 150 navires dans ce fiasco. A Alger, on fête la victoire et Sidi Abderrahmane, saint patron d’Alger qui avait lancé une malédiction contre la flotte étrangère. La légende aura gardé cette explication pour la tempête qui a sauvé Alger mais c’est la nature qui l’a en réalité permis. Le climat écrit donc l’Histoire mais que ce serait-il passé s’il n’y avait pas eu de tempête et Charles Quint avait gagné ? Parlerait-on Espagnol aujourd’hui et cet article aurait-il été rédigé dans la langue de Cervantès ? Et que sont devenus les vestiges dans les fonds marins de ce tournant de l’Histoire ?

   Poitiers, octobre 732. Les Omeyyades sont en Andalousie, contrôlent le Sud de la France et lancent quelques raids plus haut, non pas pour la conquête mais pour le butin, n’ayant pas envie de s’installer dans ces contrées trop froides. Car en ces temps, l’Europe passe par plusieurs mini âges glaciaires et les hivers sont particulièrement rudes. Lors d’une bataille à Poitiers, bien que l’endroit ne soit pas précis, peut-être Tours, Charles Martel fait reculer l’armée de Abd Al Rahman, gouverneur général d’Andalousie, mettant fin à l’expansion en Europe des Musulmans, préférant rester dans la chaleur espagnole. Selon Françoise Micheau, spécialiste de l’histoire du Proche-Orient arabe, « l’expédition d’Abd el-Rahman avait pour but essentiel le butin, non la conquête » et cette bataille plus ou moins mythique a été exagérée par la suite et surtout servi de fonds de commerce. Même Voltaire moque les exagérations autour du récit de la bataille, concluant dans son Essai sur les mœurs que « la France a failli être une province mahométane mais pour le regretter au regard, des siècles d’obscurantisme chrétien. S’il faisant chaud à Poitiers, les Musulmans auraient-ils insisté pour conquérir la France ? Et si cela avait été fait, que serait la France aujourd’hui ? 

   Dien Bien Phu, mars 1954. Dans cette cuvette indochinoise encerclée par la jungle et un climat tropical, la France coloniale affronte les paysans du Viet-Minh, faiblement armés. Le terrain rendu boueux par la pluie empêche l’acheminement de l’artillerie lourde française, les combats durent plusieurs semaines et les hommes du Viet Minh commandés par le général Giap font subir une lourde défaite à l’une des plus puissantes armées du monde. Bigeard, qui était déjà là, se retire, et c’est un déclic pour les nationalistes algériens qui hésitent encore à déclencher l’insurrection totale. Si les Vietnamiens peuvent battre l’armée française, tout le monde peut le faire. Le 23 mars, le CRUA, Comité révolutionnaire d’unité et d’action, est créé et au moment où les accords de Genève entre la France et le Vietminh sont signés, le 25 juillet 1954 dans une modeste villa du Clos Salambier à Alger, les 22 se prononcent « pour la révolution illimitée jusqu’à l’indépendance totale ».Le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Ben Youcef Ben Khedda, se souvient : « Le 7 mai 1954, l’armée d’Ho Chi Minh inflige au corps expéditionnaire français au Vietnam l’humiliant désastre de Dien Bien Phu. Cette défaite de la France agit en puissant détonateur sur tous ceux qui pensent que l’option de l’insurrection à court terme est désormais l’unique remède, seule stratégie possible. » Un peu plus de trois mois après Genève éclate l’insurrection algérienne du 1er novembre 1954. Mais s’il n’avait pas plu à Dien Bien Phu à 10.000 kilomètres d’Alger, l’Algérie aurait-elle été indépendante ?

L’homme, passif ou actif ?

   A chaque vent de sable dans le Sahara, il y a donc la possibilité de découvrir un vestige des anciens temps et une tempête, un séisme ou un bouleversement climatique peut enterrer ou déterrer une civilisation de même qu’il peut la faire monter ou la réduire à néant. Le climat écrit l’Histoire, mais laquelle ? En l’absence de sources sérieuses, peu d’informations sont accessibles sur l’Algérie avant le grand bouleversement climatique. On sait juste que par exemple, on pouvait remonter des fleuves jusqu’à l’intérieur des terres comme l’a décrit Hannon le Carthaginois, passant de l’embouchure de Sakia El Hamra sur la côte atlantique à un autre grand fleuve communiquant avec un lac du côté algérien. L’oued Draa, l’Oued Guir ? En attendant des fouilles plus sérieuses, on n’en saura pas plus, de même que pour la fameux lac Triton des légendes grecques et le fleuve Tritonis qui se jette dedans, toujours non identifiés. Mais il a coulé de l’eau sur le pays, beaucoup d’eau, ce qui a du engloutir pas mal de choses et de gens, de même que son absence fatale, par la désertification, en a fait fuir d’autres. Comment retrouver ces itinéraires et ces trésors ? C’est le travail de l’homme, même s’il ne s’agit pas que de nature dans ce cas, l’homme est aussi un générateur de changements climatiques locaux. Les invasions hilaliennes du XIIème siècle qui ont décimé le cheptel et la végétation ont accentué l’aridité et le déplacement de populations, de même que les Turcs ont détruit toutes les forêts du littoral pour la construction de bateaux, aggravant ainsi la fragilité de l’écosystème. L’Homme creuse sa propre tombe de ses mains mais parfois, il peut tomber sur un trésor enfoui.

Chawki Amari

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