Le 21 août 2001, Djamel Benachour publie un article au quotidien El Watan relatant le témoignage d’un ancien terroriste, aujourd’hui repenti. Un témoignage poignant, plein de regrets et d’amertume … L’association Ajouade, Algérie mémoires a eu la gentillesse de nous le faire rappeler.
Article El Watan, du 21 août 2001, par Djamel Benachour :
« Je croyais trouver le paradis et j’étais loin de penser que c’est finalement l’enfer qui m’attendait là-haut au maquis. Je conseille à tous les jeunes de rester vigilants, de ne pas se laisser séduire pour ne pas tomber dans le piège. » Ce sont là les conclusions tirées par un jeune de Relizane recruté pour rejoindre un groupe terroriste en septembre de l’année 2000, avant qu’il ne découvre la supercherie et décide en fin de compte de se rendre.
« Ce qu’ils font n’a absolument rien à voir avec la religion et leur action est surtout destinée à récolter de l’argent, car ce qui est dit dans les prêches n’est jamais appliqué dans la réalité », explique B. Tahar qui s’est livré à la gendarmerie de Aïn Tarik (w. de Relizane) le 5 août dernier. Il avait déjà une longue barbe, était habillé en kamis afghan et avait sur lui un fusil de chasse et des munitions (10 cartouches de calibre 12 mm).Pris en charge, il devait être ensuite transféré à Relizane et, suite à une enquête qui s’est soldée par le démantèlement de tout un réseau de soutien, il a été présenté dimanche dernier à la presse en compagnie de la femme (en liberté provisoire) de son recruteur B. Hocine.
Taher, né en 1972, a le niveau de 9e année fondamentale. Il était vendeur de friperie au marché de Relizane. C’est là qu’il a rencontré le recruteur qui était entré en contact avec lui, pour essayer de le convaincre de rejoindre le groupe terroriste affilié à la Daâwa Salafia, ayant installé son fief sur les monts de Ramka. De temps en temps, il lui passait des cassettes audio contenant des discours de propagande antipouvoir, des récits d’accrochages et d’embuscades menées contre les forces de sécurité dont celle de Attatfa (Chlef) et du cimetière chrétien de Relizane, mais aussi des fetwas spécifiques au groupe. Cette situation durera près de trois mois, mais ce qui l’a décidé à monter au maquis sera également la présence de deux repentis de la ville de Relizane qui le soupçonnaient de les épier. « Ils m’ont menacé et c’est ce qui a précipité ma décision de rejoindre le maquis », déclare-t-il en précisant qu’il ne pouvait rien contre eux sachant que Bouteflika leur a pardonné. Ainsi, un rendez-vous a été pris pour le 13 septembre du côté de la cité « Dallas » où deux terroristes habillés en « civil », Othmane et Saïf, abattu plus tard, devaient l’attendre le soir.
A six heures du matin, il arrive à Taâssalt, localité située à une vingtaine de kilomètres et où il passera une semaine seul dans une maison, alors que les autres resteront retranchés en pleine forêt et venaient de temps à autre lui rendre visite et lui apporter des vivres. Déjà, il aura vent d’un vol de bétail commis aux alentours. Là, il affirme qu’en principe les terroristes affiliés à la daâwa salafia rackettent la population mais ne ciblent que les forces de sécurité. Néanmoins il précise tout de suite que « si un citoyen tente de résister, il est abattu sur le champ ». Après avoir transité par Chouala, du côté de Zemoura, il rejoindra les monts de Ramka sous les ordres de l’émir Abou Djaâfar El Afghani, originaire de Sidi Bel Abbès, ayant déjà participé à la guerre contre l’URSS. Mis sous observation avant que lui soit confiée la garde avec des jumelles professionnelles sur les hauteurs afin de prévenir les opérations de ratissage, il a eu le temps d’en apprendre sur les mœurs de ce groupe : les richesses de l’émir et, sa femme (portable, Internet, l’argent que personne ne voit ou a le droit de revendiquer, etc.), les relations homosexuelles pratiquées notamment sur les nouvelles recrues, mais aussi tous les sévices commis contre les contrevenants aux règles proclamées par l’émir, sa famille et ses lieutenants. Les autres vivent dans la saleté, la faim et la peur. Les discussions sont rares, de peur de s’attirer des ennuis et des soupçons car l’émir possède ses propres informateurs, mais Tahar finit par apprendre que les célèbres massacres de Ramka sont ici attribués au GIA pour punir la population de s’être alliée à l’AIS.
La Daâwa Salafia n’a pas de lien direct avec le GIA mais elle considère que les membres de l’AIS sont des renégats. Aucune sorte d’importance ni de reconnaissance n’est accordée à Abassi Madani ou à Ali Benhadj. Les terroristes sous la houlette de Abou Djaâfar, qui considèrent que les repentis sont passibles d’être exécutés, occupent cette région depuis 1997, dans les maisons retranchées des monts de Ramka désertées par leurs habitants le long des oueds et des escarpements. Ils se sont dotés d’un atelier secret pour confectionner des bombes où une vingtaine de personnes travaillent sous les ordres d’un artificier dénommé Samora, originaire de Béchar. Toute la région est ainsi minée. Jusque-là, Tahar n’était pas armé et, sans doute pour qu’il ne soit pas tenté de se rendre, on décide de l’éloigner après deux mois. Nous sommes en novembre 2000 lorsque Taher prend la route en compagnie de quatre autres terroristes aux noms évocateurs : Loth, Arkam, etc. Il devait se rendre à pied pour rejoindre un autre groupe du même courant sur les monts de l’Ouarsenis. Il sera par la même occasion séparé de son acolyte recruté en même temps que lui pour éviter la complicité entre eux. Il séjournera également à Amrouna du côté de Aïn Defla. Il activera sous les ordres de l’émir El Hammam, originaire de Oued Rhiou (Relizane) et fera la connaissance d’un autre émir, Tarek, originaire des environs d’Alger. El Hammam possède aussi son artificier âgé d’une quarantaine d’années : un dénommé Youcef, ancien engagé dans la marine ayant également parmi ses tâches de miner tous les passages des maquis.
Pendant cette période, on lui confiera aussi la charge d’assurer les gardes, mais en même temps on lui fera subir des entraînements à l’arme à feu. Il apprendra ainsi comment sont organisés les faux barrages par des groupes formés d’une cinquantaine d’éléments dont une partie gardée toujours en retrait. Il lui faudra en tout cinq mois avant de se voir confier un fusil de chasse. Dans une synthèse de l’enquête le concernant, l’embuscade tendue contre l’ANP au lieudit Kahouat errih aura coûté la vie à quatre soldats et un membre d’un groupe d’autodéfense. Le repenti dit ne pas avoir participé à cette opération car resté cantonné avec quinze de ses anciens compères. Au bout de six mois, dans un climat général qu’il considère entaché de suspicion, il commence déjà à douter du bien-fondé de son action en découvrant une réalité autre que celle que son recruteur lui décrivait. L’idée de se rendre mûrissait peu à peu dans son esprit. Un événement inattendu l’empêchera de se décider plus tôt.
En effet, le lendemain, au matin d’une tentative avortée de faux barrage destiné au racket, à laquelle il dit ne pas avoir participé, une patrouille de l’armée intervient dans le lieu de leur retranchement. Six terroristes seront éliminés et une quinzaine seront blessés dont Taher, atteint par des éclats de « missiles » à la tête, au pied et au bras.
Alors que les quinze terroristes estropiés seront gardés sur place, lui sera transféré à dos de mulet au fief de la daâwa salafia qui possède aussi sa « katiba des talabas » une soixantaine de recrues dont le rôle est de lire le Coran aux différents groupes avec lesquels ils viennent passer en moyenne une vingtaine de jours. Il recevra les soins adéquats par un médecin terroriste originaire de Sidi Bel Abbès. Nous sommes en mars 2001. Après s’être rétabli, on lui confiera de nouveau la tâche d’assurer la garde. Un matin du 5 août, prétextant qu’il allait faire ses ablutions pour la prière du matin, il s’éloigne légèrement et, hors de vue, il prend la fuite le long d’un oued jusqu’à Aïn Tarik où il se livre à la gendarmerie. Cette frange terroriste a récupéré une partie de Katibat El Forkane démantelée après que son émir fut abattu. Pendant la période passée au maquis, le repenti apprend que vingt-sept terroristes activant du côté de Tipaza avaient rejoint Ramka après avoir subi les attaques des forces de sécurité. Une dizaine d’autres activant à l’Ouest se sont alliés à la Daâwa. Parmi les anciens, il cite un lieutenant déserteur d’Oran (Murdjadjo). La femme du recruteur n’avait pas grand-chose à dire. Divorcée, résidant dans un quartier populaire, Tob, elle a été mariée traditionnellement (fatiha) par l’intermédiaire d’un voisin du recruteur de Relizane sans connaître ses activités. Ce dernier insistera pour que le couple aille vivre dans une maison (construction illicite) de l’autre côté de cet immense quartier. Là, elle se rend peu à peu compte que son mari, pas très bavard avec elle, recevait des gens le soir (pas plus de deux à la fois) pour les héberger et discuter avec eux sans qu’elle soit mêlée. « Quand je demandais des explications, il me répondait : ne cherche pas à comprendre », témoigne-t-elle. Une fois, elle a pu voir une arme dissimulée par l’un de ces étranges invités et c’est là qu’elle décide de quitter son foyer. Cela dure depuis neuf mois avant qu’elle ne soit interpellée et amenée à confronter son mari arrêté suite au témoignage du repenti qui conclura son témoignage, comme pour prévenir les jeunes de sa condition, en disant : « Ces gens-là ne sont pas sur le droit chemin. »