Le sultan d’un pays lointain, connu pour sa bonté et sa générosité, aimait ses sujets. Il sortait souvent, sans escorte, pour ses largesses sans savoir à qui ils avaient affaire réellement.
Un jour, alors qu’il circulait dans les rues de la ville, il vit une jeune mendiante dont la grande beauté éclatait sous les souillures de son visage et de ses pauvres habits. Instantanément, il fut ébloui par tant de grâce et secoué par une passion irrépressible pour la pauvresse.
Il descendit de cheval et rendit hommage à la beauté de la jeune mendiante en lui demandant publiquement d’être sa bien-aimée, son épouse et la mère de ses enfants.
La souillon qui n’avait jamais rêvé qu’une pareille chose puisse lui arriver, se cacha le visage, apeurée. Elle pensa qu’on se moquait d’elle et qu’on se jouait de sa misérable condition. Mais devant la flamme du jeune roi qui refusait de la laisser partir et sous la pression des gens présents qui lui criaient de toute part : « Va donc, fille de la rue ! C’est Dieu lui-même qui ‘envoie un époux-roi ! » La jeune fille céda et gratifia le prince d’un sourire qui effaça de son visage la peur d’un dessin aussi inattendu.
La fille monta à cheval avec le roi et depuis fut reine. On fêta l’événement selon les coutumes de la cour. Sept jours et sept nuits on festoya et le roi, heureux, ne cachait pas son bonheur de vivre auprès de sa bien-aimée, la souillon des rues de sa ville. Ils vécurent heureux et eurent de beaux enfants comme dans un conte.
Le roi était heureux d’ouvrir les yeux chaque matin et de découvrir le visage de sa bien-aimée. Mais il était loin de se douter de ce qui se passait dans les couloirs de son palais, depuis l’arrivée de sa jeune épouse.
Une des servantes surprit, un jour, la reine jouant à un jeu bizarre. Elle dut en informer le roi qui pour en avoir le cœur net se mit à épier son épouse.
Tous les soirs après le diner, la reine s’habillait des guenilles qu’elle avait conservées et allait mendier devant chaque fenêtre du palais où elle avait mis un plat. Elle passait et disait sur un ton suppliant :
-« Lguima ya taka, lguima ya taka!» (Une bouchée, O fenêtre ! Une bouchée O fenêtre ! )
Elle mélangeait ensuite, dans un sceau, les plats des fenêtres pour aller les déguster à sa guise.
Surpris par un tel comportement, le roi demanda à son épouse de s’expliquer. Elle lui répondit alors franchement :
-« Je suis reine c’est vrai, je suis heureuse, c’est vrai, je suis comblée, c’est aussi vrai, mais je n’ai jamais cessé d’être mendiante. »
Le roi devant une telle détermination, interrogea ses sentiments et les liens qui le liaient à son épouse.
-«Est-ce que le comportement de ton épouse dérange tes sentiments pour elle ? Eest-ce que par ailleurs, elle a failli à ses devoirs de reine et de mère ? »
-« Non ! » se répondit le roi qui résolu d’en entretenir son vizir, un homme avisé
-« Sire, lui répondit le sage vizir, tu connaissais les origines de cette femmes et tu en as fait une reine. Si la nostalgie de ses origines lui fait faire de tels actes et si ces actes n’altèrent en rien votre relation, pourquoi vous fâcher contre elle et souffrir de son absence. Laissez la vivre le seul bien qu’elle a ramené avec elle : son art de mendier car elle sait soutirer sa pitance même de la pierre. »
Le roi apprécia les propos de son vizir et donna l’ordre qu’on ne dérangeât jamais la reine pendant cette occupation. On s’en accommoda et on finit par ne plus en parler.
Source: D’aprés le livre «Contes du terroir Algérien» Volume 1, Editions DALIMEN
Illustration: The Water Carrier by Isaac Snowman