Contribution – « Les Djamilates » –

Quand on parle du rôle de la femme algérienne dans la longue marche vers l’indépendance, deux mots reviennent souvent. Ces deux mots sont : héroïsme et sacrifice. Non sans exagération ! Ce n’est pas un compliment non plus. C’est la réalité crue et la vérité pure et absolue. La femme était d’un soutien indéfectible à la révolution en s’engageant jeune, parfois très jeune, dans les rangs du FLN/ALN en abandonnant leurs études, leurs foyers, leurs familles, leurs rêves et tout ce qui leur était cher pour une seule et unique cause, celle qui mérite le sacrifice : la liberté. Leur sens du devoir, leur patriotisme et leur attachement aux valeurs de dignité et de liberté étaient l’une des clés de l’indépendance. 

La femme portait les armes, soignait les blessés, faisait à manger, posait des bombes, portait des valises, ramenait des informations et accomplissait tout ce qui était possible pour l’indépendance et la libération de l’Algérie. Les plus célèbres sont évidemment les membres du réseau des bombes de Yacef Saadi, chef de la Zone Autonome d’Alger. Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Djamila Bouazza et Djamila Amrane connues par la suite sous le nom « les Djamilates ». Auxquelles il faut ajouter Hassiba Benbouali et Zohra Drif. Mais toutes les femmes algériennes étaient des « Djamilates », chacune dans son domaine, chacune dans sa région, chacune dans son rôle.
Que serait la bataille d’Alger sans les « Djamilates » poseuses de bombes ?
Que seraient les moudjahidines blessés sans les « Djamilates » infirmières ?
Que seraient les maquis sans le soutien des « Djamilates » femmes aux foyers dans les villages. Sans ces « Djamilates » héroïnes anonymes ?
Que serait la fédération de France sans les « Djamilates » porteuses de valises ?
Si on prend aujourd’hui un exemple de ce sacrifice, un symbole de cette résistance, une icône de cette lutte, une Djamila de ces « Djamilates » ce serait, celle qui m’a marqué le plus, Djamila Boupacha. Parce qu’à elle seule représente tout le sacrifice de toutes. Une femme comme on en fait plus qui, malheureusement, est peu connue des jeunes générations. Née le 09 février 1938 à Bologhine, cette fille de militant est arrêtée en 1960 avec tous les membres de sa famille et emprisonnée clandestinement. Elle a été violée, torturée et a subi les sévices les plus atroces, les plus ignobles et les plus abominables ! Mais elle n’a pas renoncé, ne s’est pas découragée. Elle est restée digne dans sa souffrance et dans son martyre. Mieux, elle l’a utilisé contre ses tortionnaires, en médiatisant son procès et apportant une autre voix à la cause algérienne sur le plan international en dénonçant les méthodes de l’armée coloniale. Ceci grâce à ses avocats Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir auxquels s’est joint nombre d’intellectuels Français en constituant un comité de défense avec Jean Paul Sartre, Louis Aragon et d’autres dont le courage et l’abnégation de Djamila n’ont pas laissé indifférents. Ce qui a obligé les autorités coloniales à la transférer à Caen pour la juger dans un procès au cours duquel elle identifia ses tortionnaires mais au terme duquel elle fut condamnée à mort en juin 1961, à l’âge de 23 ans ! Après, elle a dû affronter la mort tous les jours, toutes les minutes qui passaient sans mourir jusqu’à son amnistie après les accords d’Evian.

 Après l’indépendance elle a été progressivement mise de côté à l’image de nombreuses militantes nationalistes qui ont joué un rôle déterminant dans la libération du pays. Préférant se retirer sur la pointe des pieds et renonçant à toute vie publique, elle a refusé toute sorte de corruption devant la guerre que se sont livré les hommes dans leur course pour le pouvoir, et a préféré gagner sa vie avec un vrai travail. Elle a travaillé comme simple secrétaire. Éclipsée et oubliée, Djamila reste vivante, à travers les œuvres d’artistes que sa vie a inspirés tel que son portrait créé par Pablo Picasso ou le supplice de Djamila réalisé par le peintre Roberto Matta en 1962. La même année, le musicien Luigi Nono rend hommage à Djamila en lui consacrant une pièce vocale dans son Canti di Vita e d’Amore d’une durée de dix minutes, intitulée Djamila Boupacha. En 2000 Francesca Soleville interprète Djamila composée par Bernard Joyet sur le disque Grand frère petit frère. En 2012 Bernard Joyet reprend la chanson dans son disque Autodidacte.
Les Djamilates ont fait, milité, se sont sacrifiées, celles d’aujourd’hui en ont hérité !
Les Djamilates étaient belles certes. Mais elles étaient aussi militantes, dévouées, courageuses et dignes.

 

Samir Houassine

 

  • Image à la une : Moudjahidates de de OUED RHIOU – https://oued-rhiou48.e-monsite.com/pages/femmes-de-oued-rhiou/
  • Image intérieur: Moudjahidates – Photo de Mazouni Mohamed

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Extrait revue Babzman : Les femmes à la veille et au lendemain du 1er Novembre 1954