Les dirigeants de la IIIe République veulent avec cette manifestation qui se veut « festive », convaincre l’opinion publique du bien-fondé des conquêtes coloniales. LA manifestation s’inscrit dans un contexte de crise économique et de repli sur l’Empire; c’est une étape essentielle pour convaincre les Français de l’importance de l’empire.
Le ministre français des Colonies, Paul Reynaud, inaugure en fanfare l’Exposition coloniale en compagnie du président de la République Gaston Doumergue…Cet événement marque l’apothéose de la IIIe République et de l’oeuvre dont elle a été la plus fière : la colonisation.
L’exposition de la honte
L’Exposition coloniale internationale s’installe dans le bois de Vincennes, à l’est de Paris.
Pour l’occasion est construit un musée permanent des colonies à la Porte dorée et une pagode bouddhiste. On aménage aussi un parc zoologique. On reconstitue à l’échelle 1 un temple cambodgien d’Angkor Vat et la mosquée de Djenné (Niger).
L’inauguration se déroule en présence de milliers de figurants : danseuses annamites, familles d’artisans africains dans un village reconstitué, cavaliers arabes…
Le pavillon de l’Algérie construit pour cette « exposition », se composait d’un bâtiment aux allures de mosquée et d’un minaret.
Témoignage au sujet du pavillon algérien, paru le 15 juin 1931 dans la revue des Deux Mondes
« Et d’abord, l’Algérie est-elle une colonie? Je sais beaucoup d’algériens qui bondiraient au seul énoncé d’une telle question. C’est un pays de vielle civilisation, d’une civilisation qui fut la mère de la nôtre, par conséquent civilisée avant nous; qui a eu depuis, ses éclipses, ou ses périodes de somnolence, mais qui n’a jamais cessé de garder son importance et de tenir son rang parmi les autres pays méditerranéens. Il compte une population d’origine française ou européenne, qui équivaut à celle de plusieurs de
Il représente enfin un admirable effort de conquête sur le sol et d’organisation, une oeuvre française qui n’a d’égale que la lente création de la France elle-même. Il illustre d’une façon éclatante la pensée qui a présidé à la genèse de cette exposition : glorifier une des grandes entreprises civilisatrices qui font le plus d’honneur à notre nation.
Et c’est pourquoi, on est un peu étonné et, quand on est un vieil algérien conscient de tout ce que la France tient si peu de place dans cette exposition algérienne. On croirait vivement qu’il n’y a pas de français, ni d’européens en Algérie. Les foules ignorantes qui se promènent à travers ces salles […] peuvent avoir l’injuste illusion que cela s’est fait tout seul, qu’il n’y a en algérie que des populations bizarrement costumées et vêtues de couleurs voyantes, […]et qui n’ont qu’à se baisser pour cueillir de superbes grappes de raisins dignes de la terre de Canaan… Commençons donc par rendre hommage aux grands Françai, aux soldats, aux colons de la première heure, dont l’héroïque effort a préparé cette étonnante réussite, qu’est l’Algérie contemporaine! »
La propagande anticolonialiste
Face à la mobilisation du parti colonial, les anticolonialistes avaient décidé d’intensifier leur action. Le Komintern avait jugé qu’en 1930, lors du Centenaire de l’Algérie, la propagande anti-colonialiste avait été trop peu active. Il chargea donc la ligue ligue internationale contre l’oppression coloniale et l’impérialisme, le P.C.F. et la C.G.T.U. de lancer une grande campagne d’agitation contre «l’Exposition internationale de l’Impérialisme».
La Ligue française contre l’impérialisme, association fantomatique qui, après trois ans d’existence, n’avait réuni en 1930 que deux cents adhérents, dut organiser à Paris une «Exposition anti-impérialiste».
Baptisée »la vérité sur les colonie », cette contre-exposition se borna à présenter un pavillon des soviets, un ensemble de photographie sur les guerres coloniales, et des dessins satiriques sur les « profits fabuleux » des sociétés capitalistes.
L’écrivain Aragon y exposa une collection d’objets d’art dit « nègre », océanien et indien en regard d’imageries religieuses de facture
sulpicienne : ces symboles du mauvais goût occidental. Des photographies naïves sur le bonheur des peuples asiatiques libérés par la révolution soviétique complétaient cette mini-exposition.
Malgré sa durée exceptionnelle (de juillet 1931 à février 1932) et des visites collectives organisées par les syndicats, quelque cinq mille visiteurs seulement furent dénombrés par la police parisienne.
Il est vrai que dans diverses villes françaises des comités de lutte contre l’Exposition coloniale agirent peut-être plus efficacement. Ils distribuèrent à tous les colonisés des tracts en langue vietnamienne, malgache et française. Ceux-ci dénonçaient «l’oppression sanglante des impérialistes exploiteurs», «l’oeuvre de civilisation, cette pure hypocrisie aux dessous ignobles».
Ils protestaient contre « les curiosités de l’Exposition frisant la barbarie, telles que l’exhibition de cannibales en cages, de pousse-pousse… ». Des tracts en quôc-ngu avertissaient les Annamites qu’on les avait fait venir pour se servir d’eux «comme d’un troupeau d’étranges bêtes» et «faire de vous une bande de singes pour parc zoologique»…!
Selon la préfecture de police, cette campagne aurait été un échec, car l’anticolonialisme ne faisait pas recette en 1931 chez les militants communistes et les travailleurs socialistes, qui boudèrent les appels au front unique prolétarien pour l’évacuation des colonies.
En revanche, les communistes indochinois et les nationalistes algériens ont mieux réussi dans leur campagne antifrançaise. Messali Hadj a confirmé dans des pages inédites de ses Mémoires que l’Exposition, «cette mascarade colonialiste», avait permis le renforcement de son parti, l’Étoile nord- africaine !
Mira B.G
Sources :
- C.-R. Ageron : Les lieux de mémoire. La République (dir. Pierre Nora) (1984), éd. « Quarto » Gallimard, 1997, p. 493-515
- Témoignage L. Bertrand, la revue des Deux Mondes, 15 juin 1931
- Lacoste « la colonisation maritime en Algérie« , collection du centenaire, Paris 1931