Les habitants d’Alger à l’époque ottomane – Les esclaves et affranchis noirs, ou la liberté avilie

En préambule il convient d’apporter quelques précisions sur le sens des termes « esclaves » et « captifs ». Si « esclave » est utilisé dans cet article pour caractériser l’état de servitude des noirs sub sahariens, alors que dans la publication précédente (), les chrétiens sont qualifiés de « captifs », c’est en raison de l’état permanent d’asservissement des noirs, en dépit de l’affranchissement. En effet, contrairement aux captifs chrétiens blancs, les noirs sub sahariens ne pouvaient ni être rachetés, ni rapatriés. Leur seul espoir de recouvrer la liberté, reposait sur l’affranchissement ; un statut ambivalent qui toutefois, les maintenait dans un état de quasi dépendance, ou du moins d’allégeance, vis-à-vis de leur ancien maitre.

UNE PRATIQUE TRADITIONNNELLE

La traite des hommes était une pratique courante en Afrique sub saharienne rendue possible grâce à des ethnies noirs qui capturaient d’autres noirs, pour les vendre*. Trois ethnies à l’Est du royaume du Soudan (Mali actuel) et du Sénégal, les Haoussa (Bornou, Katchena, Zouzou), quatre pour l’Ouest (Bambara, Sonraï, Tombou, Gourma) étaient les principales pourvoyeuses d’esclaves . Les luttes fratricides inter – ethniques et les vicissitudes climatiques, firent des populations noires sub saharienne, une proie facile pour les mercantiles esclavagistes, qui les tirèrent de force de leur terre, pour les revendre au plus offrant.

Ce trafic des esclaves sub sahariens lié au commerce caravanier a constitué d’importants revenus pour la régence d’Alger avec les prises de corsaires (jusqu’au déclin de la Course) et l’exportation du blé. Considérable au XVI e S*, il commence par faiblir à partir du XVIIIe S pour cesser à la fin du XIX e S. Ces esclaves noirs, qui provenaient soit des tribus alliées aux ottomans, soit de la filière des traites marocaines, soudanaises, éthiopiennes ou nigériennes étaient revendus d’abord sur les marchés de Biskra, M’sila, Bou Saada, Ouargla, Ghardaia, et ensuite envoyés dans les grandes villes après un transit à Médéa, où on leur apprenait à parler l’arabe et les rudiments de l’islam(1) avant être revendus ou remis à leurs maitres ottomans ou Maures.

UN STATUT DE BIEN ET D’ALLEGEANCE INALIENABLE

Les esclaves noirs sub-sahariens étaient généralement destinés aux taches domestiques ou devenir des concubines pour les jeunes filles. Le célibat était la règle. Dès leur capture, les hommes sont séparés des femmes. Il n’y a aucune possibilité d’union entre eux, encore moins avec un esclave chrétien, un acte puni de la peine de mort. Les esclaves noirs étaient considérés comme une marchandise (certains diront objet) et entraient dans la succession ou la donation nuptiale (sauf si le maître décidait de les affranchir) comme un bien qui était évalué en numéraires, en fonction du rang social de leur propriétaire.

Un esclave noir affranchi n’hérite que d’un prénom, il sera dépourvu de nasab, de patronyme , ni ibn (fils de), ni abou (pére de) ; il gardera toujours sa dépendance d’affranchi et d’indice d’identification du maitre (nom fonction, titres tel que Hadj ou Siyed). Les affranchis sont placés sous l’égide d’un Caid el abid ou cheikh el abid , chargé d’intervenir et de régler les différends entre affranchis. En l’absence de repères comme la parenté ou la tribu, les affranchis se créent d’autres indicateurs internes comme se marier qu’entre eux ; en ce cas c’est l’époux de son ex maitresse qui sera le tuteur d’une affranchie.

Ces marqueurs opèrent une hiérarchie de groupe et sous groupes en fonction du rang social de l’ancien maitre par exemple. Par ailleurs, on ne signale jamais dans les actes de l’affranchi ou le concernant de repères spatiaux, le montrant ainsi comme placé ad vitam aeternam, sous la protection de son ex maitre. L’affranchi aura ainsi, un lien inaliénable d’allégeance avec son (ex) maitre.

Au début du XIXe S, il y avait environ 2 000 sub sahariens, dans la Casbah d’Alger, sur une population globale estimée à 30 00 âmes; mais il n’en restait plus que 418, en 1855.

TRADITIONS

Les traditions ont été perpétuées par des rituels quasiment disparus, pour laisser à des pratiques folkloriques. Afin d’atténuer leur servitude, ils trouvaient refuge dans la représentation affective de leurs traditions venues des fonds des âges. Régulièrement, ils faisaient battre les oreilles des habitants de la Médina (Casbah) , notamment à la rue N’ Fissa, en orchestrant des « Derdebas« , au son du tambourin orné de grelots, du guembri et des karkabous. Regroupés, comme pour soulager leur douleur, autour de leur  » Amine el ouasffane » qui résidait à la rue Tombouctou, ils demeuraient fortement empreints de leur africanité.

Suivre et observer leurs us et coutumes était une obligation, un devoir, un lien de reconnaissance qui les rattachait à leur pays perdu et leur remémorait les souvenirs occultés . Bien que priant avec le reste de la population musulmane malékite, ils possédaient aussi, leur propre mosquée : »Djamâa Nigrou« .

Un autre rituel louant les vertus de Sidi Bacoua**, était également pratiqué au niveau du marabout de Sidi Yahia (Hydra). C’était également le cas pour Sidi Yacoub dont le mausolée était situé à l’intérieur de l’actuelle caserne ex salpêtrière, en face du stade Ferhani, à la sortie Ouest de BEO. De nos jours, ces rituels se déroulent au Sud Ouest et notamment à Bechar, une région ou les descendants d’esclaves subsahariens sont nombreux.

Farid GHILI

Histoire et Patrimoine d’Algérie (HPA)

Notes(1) Selon Abdulazizi Lodhi, professeur de swahili et de linguistique africaine à l’Université d’Uppsala en Suède.  » si les arabes étaient très actifs dans le commerce des esclaves noirs, et de par leur activités de négociants, ils s’occupaient de l’exportation et non de la capture ».

*Il est noté que ce trafic d’hommes qui a commencé au Royaume du Ghana (Sénégal, Maurétanie, Mali) bien avant les ottomans, était déjà pratiqué par les dynasties berbères, notamment les almoravides, et les Zianides. Le dernier roi d’Alger Salim Toumi lui aussi, recrutait sa fameuse garde noire.

** ça diffère selon les régions, mais en général dans le sud la waada est faite en mémoire de Sidna Billal le compagnon du prophète (ex: à Ain Sefra où il y a son mausolée) avec tbal, karkabou et le diwan (goumbri) le soir et cela après récitation complète du coran (Selka)

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