- Voilà notre jeune moderne : se laisser porter tranquillement par l’âne, obligeant son pieux père, avec son lourd turban, de le suivre à pied !
- Père, ne te l’ai-je pas dit ? murmura le fils. Allons, cesse ton entêtement et prend ma place.
Nasrddin Hodja acquiesça.
Ils firent ainsi un bout de chemin lorsqu’ils s’entendirent interpeller par un groupe de paysans :
- Eh Hodja, tes os sont durcis, tu es rompu par le souvenir des ans, pourquoi contrains-tu cet adolescent, dans la fleur de l’âge, à boitiller !
A ces paroles, le Hodja retrouva rien de mieux qu’à faire monter son fils dernière lui, sur le dos de l’âne.
Ils n’étaient pas allés bien loin que quelques individus leur barrèrent le chemin, s’écriant :
- Quels gens sans pitié ! Deux personnes sur une pauvre bourrique !Et dire que c’est notre fameux Hodja qui tolère cela ! Si ce n’est pas honteux !
Cette fois, Nasrddin Hodja, hors de lui, descendit vite du baudet, ainsi que son fils, et tous deux poursuivirent leur chemin en marchant dernière l’âne libéré de sa charge.
Comme toute chose a une fin, ils subirent les quolibets de quelques chenapans qu’ils croisèrent peu après.
- Quelle idiotie ! Voir l’ne gambader et sautiller tout à son aise, pendant que ses maitres, bravant la poussière et la chaleur intolérable, font route à pied !
A-t-on jamais vu sottise pareille !
- Vois-tu mon fils, dit Nasrddin Hodja, au comble de la patience.
j’admire les personnes qui se sont délirées des mauvaises langues ! Toi, fais comme bon te semble et le monde dise ce qu’il voudra, car la bouche des hommes n’est pas un ça que tu puisses la fermer !
Alfred MÖHER, Conte Choisis de Nasrddin Hodja, éd Minyatûr Yayinari 1982